Prédications Protestantes dans les Alpes du sud 

DIMANCHE 23 JANVIER 2022

Semaine de l’Unité - Trescléoux (05700)

Lectures du jour :

Néhémie 8, 1-10 (Voir méditation du 24-janv-16)

Luc 1,1-4 & 4,14-21 (Voir méditation du 27-janv-19)

1 Corinthiens 12, 12-30,

Tous membres du même corps !

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Frères et sœurs,

En ce dimanche au cœur de la semaine de prière pour l’unité des chrétiens, 3 lectures nous sont proposées, et parmi elles, la lettre de Paul aux Corinthiens paraît centrale, c’est pourquoi elle revient régulièrement pour cette célébration.

La TOB (1) ne s’y trompe d’ailleurs pas puisqu’elle intitule ce passage : « La communauté chrétienne forme le corps du Christ » (2).

Eh oui, nous sommes, à nous tous, le corps du Christ et chacun de nous en est un membre, expression à prendre au sens propre, et pour mieux se faire comprendre, Paul se livre à une leçon d’anatomie détaillée (v.15 à 17).

Ce texte peut être lu et compris à trois degrés :

• Individuel : Qui suis-je, Que suis-je, où suis-je dans ce corps ? (On peut également lire 1 Corinthiens 6),

• Intracommunautaire : Comment chaque communauté intègre-t-elle tous ses membres, anciens et nouveaux ?

• Intercommunautaire : Comment chaque communauté se reconnait-elle comme membre de ce corps et quelle place reconnait-elle aux autres communautés ?

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Une vision à contre-courant

Paul insiste : Cette diversité des membres du corps du Christ transcende les différences sociales, culturelles, ethniques (juifs/païens, esclaves/hommes libres) et évidemment le fait que cette thématique soit utilisée dans une lettre adressée à la communauté de Corinthe ne doit rien au hasard. A Corinthe, port cosmopolite et international placé sur un isthme, tourné vers l’Asie à l’Est et vers l’Europe à l’Ouest, on trouvait aussi bien des maîtres que des esclaves, des grecs que des romains, des juifs que des païens, autant d’ethnies, autant de cultures dont la rencontre au sein d’une même communauté, chrétienne de surcroît, relevait du miracle (ou de l’œuvre du Saint Esprit, qui accompagnait Paul). Communauté dont il fallait tenir l’unité à bout de bras, d’où la lettre !

Mais aujourd’hui, comment vivre cette diversité alors que la tendance des humains, y compris à l’intérieur de nos communautés est de vivre dans le confort de l’entre-soi, plus que jamais d’actualité ?

Vivre nos singularités dans l’unité relève d’une aporie que seules l’action du Saint-Esprit et la prière peuvent nous permettre de surmonter.

Car le risque pour nous est aussi de tomber dans le piège, également très actuel, des tentations centrifuges, causes et conséquences d’un communautarisme interne que l’on voit poindre ici ou là, en particulier chez les protestants pour qui le culte de « la différence » (3) semble consubstantiel de la Réforme : Tout sauf l’uniformité !

On pourrait également citer l’éclosion des « églises ethniques », modèle ou contre-modèle de la culture de l’entre-soi, une tendance à ne pas suivre, tant elle est contraire au modèle évangélique : une assemblée locale pluriethnique, multiculturelle. Lorsque la culture et/ou l’ethnicité prennent le pas sur l’évangile, la mission inclusive de l’Eglise risque fort d’être aux abonnés absents.

Alors dès le v.13, Paul nous rappelle aux fondamentaux, il nous ramène aux origines : à notre baptême. C’est lui qui scelle notre unité en Christ. Tous baptisés au nom de cette transcendance trinitaire (Père/Fils/Esprit Saint), le seul nom auquel nous appartenions. Tout le reste n’est que le fruit de constructions humaines (4).

Dans sa lettre aux Galates (5), Paul précise : Oui, vous tous qui avez été baptisés en Christ, vous avez revêtu Christ. Le baptême nous donne un nouvel habit, une nouvelle identité, qui n’annule pas nos identités sociales, culturelles, ethniques, mais qui les transcende, les surpasse, faisant du baptême LE facteur de cohésion, de fraternité, dans un monde qui cultive le clivage et la discrimination.

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Une diversité non hiérarchisée

Paul, à la suite du Christ, nous exhorte à ne pas entrer dans cette mécanique qui empoisonne les relations humaines : le jugement des autres à travers mon propre filtre et ma propre échelle de valeurs. Ainsi, à cette aune, je me retrouve plus vertueux, plus généreux, plus travailleur, plus sympa, que ceux que je passe à travers mon filtre.

Au sein de nos communautés, ce filtre est en harmonie avec une tendance universelle qui conduit à considérer les fonctions « intellectuelles » plus nobles que les fonctions « manuelles ». Distinction dont nous avons beaucoup de mal à sortir : faire un beau sermon n’est-ce pas plus noble, plus gratifiant, que balayer la salle après la fête ?

Eh bien non ! On peut facilement le dire ou l’écrire, mais le vivre, c’est une autre his-toire ! Ainsi combien de nos paroissiens ne passent-ils pas sous le radar de notre fraternelle attention, nous mettant en porte-à faux avec la recommandation du Christ ?

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Prendre soin de l’Autre :

C’est que le « vivre ensemble » dans des relations non hiérarchisées, va à l’encontre du mode de relations que nous rencontrons à longueur de journée dans tous les milieux : scolaire, professionnel, y compris peut-être même dans nos propres familles.

Paul nous exhorte à effectuer ce gros travail : faire abstraction de toute distinction dans nos relations et en premier lieu au sein de nos communautés où inconsciemment les échelles sociales de valeurs se reproduisent : les personnes "brillantes" tiennent le haut du pavé, et il y a les petites gens, les gens bien habillés et les autres, les paroisses à succès des métropoles et les paroisses de dissémination, déférence envers les premiers de cordée, aura (6) des patronymes prestigieux de ceux dont les ancêtres ont été « galériens de la foi » (7), ignorance polie des derniers de cordée qui sont souvent les petites mains indispensables à l’organisation de nos fêtes et manifestations.

Ni affirmation de soi (v.21), ni mésestime de soi (v.16) : Les forts et les faibles unis autour de la table de communion, se rappelant cet avertissement du Christ :

Ainsi les derniers seront les premiers,

et les premiers seront les derniers.

Devant cette difficulté des églises chrétiennes d’être en fidélité à l’enseignement du Christ, est née en Amérique Latine, dans les années 1960, l’idée que l’Église du Christ devait proclamer et défendre « l’option préférentielle de Dieu pour les pauvres ». Ainsi naquit la « théologie de la libération », soutenue par les archevêques locaux comme Helder Camara (8) et Oscar Romero (9), s’inspirant de la doctrine de Grégoire le Grand (10) : « Quand nous donnons aux pauvres les choses indispensables, nous ne faisons pas pour eux des dons personnels, mais nous leur rendons ce qui est à eux. Plus qu'accomplir un acte de charité, nous accomplissons un devoir de justice ».

Car l’enjeu est bien celui-là : remplacer la charité par le partage, la commisération par la compassion, prise dans son sens originel : partager la souffrance de ceux qui souffrent.

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Conclusion : Le regard de Dieu

Dans nos communautés, composées de membres si différents, dont chacun est une pièce unique, façon puzzle, certaines pièces peuvent avoir plus de mal que d’autres à s’imbriquer dans l’ensemble.

Cela amène nos communautés à réfléchir : ouvertes ou fermées façon club ? Car si l’image du corps est tout à fait pertinente, elle soulève une difficulté : une fois que le corps est parfaitement constitué et opérationnel, avec chacun de ses membres bien à sa place, comment accueillir de nouvelles pièces, comment leur faire une place ? C’est là qu’il faut être vigilant afin que personne ne puisse conclure, devant cette difficulté, « je suis de trop ». Personne n’est de trop dans nos Églises dont la vocation est d’accueillir la multitude.

Alors dès demain changeons notre regard car si nous sommes tous membres du corps du Christ, nous sommes aussi membres les uns des autres, attachés les uns aux autres comme les maillons d’une chaîne.

Adoptons pour cela le point de vue de Dieu, car entre l’être et le paraître, entre l’être et l’avoir, la seule chose qui intéresse Dieu est ce que nous sommes, même s’il a de multiples raisons de ne pas se satisfaire de ce que nous sommes.

Ce changement de regard concerne aussi chaque communauté, chaque Église, aucune d’entre elles ne pouvant prétendre embrasser la totalité de ce Tout Autre que nous appelons Dieu, prétendre être la seule « Église du Christ », en se rappelant cette phrase prononcée par Jésus, le Christ, ce seul lien qui nous unit, dans son discours d’adieu :

Il y a plusieurs demeures dans la maison de mon Père.

Si cela n'était pas, je vous l'aurais dit.

Là où je vais, je vais vous préparer une place.

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Amen !

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François PUJOL

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1. Traduction Œcuménique de la Bible. (Mise à jour interconfessionnelle de la Bible de Jérusalem -1970)

2. Si le Christ est « corps », il est aussi « corps et membres », d’où notre difficulté à vivre cette ambivalence dans notre quotidien.

3. En 2020, la Fédération Protestante de France c’est : 26 Églises ou Unions d’Assemblées locales, 7 Églises membres associées, 75 institutions, œuvres et mouvements, 11 communautés ou congrégations,

4. Éphésiens 4, « il y a un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême ».

5. Galates 3, 27.

6. Un jour un paroissien me questionne avec une déférence ostensible : « Pujol… vous ne seriez pas de la famille de…? » persuadé que j’allais répondre OUI. Il est vrai que ce patronyme comprend un certain nombre de pasteurs, surtout dans le Sud, mais je dus lui répondre NON, ma famille étant venue au protestantisme il y a un siècle via la Mission Populaire Évangélique (et en particulier le pasteur Henri Roser), ce qui est un peu l’autre côté de la montagne. Mon questionneur a brutalement tourné les talons, tout triste comme le jeune homme riche. Je ne l’intéressais plus.

7. Sort réservé aux huguenots qui refusaient d’abjurer, après la révocation de l’Édit de Nantes en 1685. Lire « La Superbe » d’André Chamson-1967

8. Archevêque de Recife jusqu’en 1985, ardent militant contre la pauvreté dans son diocèse et dans le monde, surnommé « l’évêque des bidonvilles » et « l’évêque rouge » durant la dictature, suscitant cette réflexion : « Je nourris un pauvre et l'on me dit que je suis un saint. Je demande pourquoi le pauvre n'a pas de quoi se nourrir et l'on me traite de communiste. »

9. Archevêque de San Salvador (Salvador) assassiné en pleine messe en Mars 1980.

10. L’un des quatre Pères de l'Église d'Occident (540-604).