Prédications Protestantes dans les Alpes du sud
DIMANCHE 09 Février 2020
Culte à Gap (05000)
Lectures du Jour:
Ésaïe 58, 7-10
Matthieu 5, 13-16
1 Corinthiens 2, 1 à 5
Les Vertus de l’échec
Nous commencerons par un éloge de la faiblesse. Vous pourrez le trouver dans Paroles pour tous à la date d’aujourd’hui :
La faiblesse n’a pas bonne presse. Paul en a bien conscience en écrivant sa lettre aux Corinthiens.
Qui penserait à aimer sa faiblesse et en espérer quelque chose ?
Pourtant, chacun, chacune en fait l’expérience : lors d’une maladie, d’un projet avorté, d’un deuil, d’un recul par manque de courage. Le sentiment de faiblesse s’impose alors et nous la ressentons bien souvent comme une blessure.
Paul en a fait l’expérience... douloureusement. Puis, il a expérimenté la transformation de cette faiblesse. Presque malgré lui, c’est un autre qui a agi avec puissance.
En regardant la trajectoire du Christ il comprend : l’esprit de Dieu ne peut agir que dans nos faiblesses. Débarrassé d’une quelconque puissance humaine, il y a une place pour l’action de Dieu en chacun de nous. C’est là la bonne nouvelle de la faiblesse.
Je commencerai par préciser que -hasard ou coïncidence – j’étais au moment de la rédaction de cette prédication en train de lire un livre qu’on m’avait offert à Noël. Ce livre a pour auteur Charles Pépin, le philosophe, et pour titre « Les vertus de l’échec » (paru en 2016 chez Allary Editions – format Pocket). Critique expérimentée du système éducatif, universitaire et professionnel français, il ouvre les yeux sur d’autres systèmes, d’autres modes de pensée (américains, scandinaves, anglais, allemands, etc), où l’expérience de l’échec, loin de vous ôter toute valeur, vous rend crédible. Aux Etats-Unis, dans la Silicon Valley, par exemple, existe ce qu’on appelle des « failCon » (conférences sur l’échec).
En effet, l’homme ou la femme qui est déjà passé(e) par un échec se connaît mieux, a plus les moyens de cibler son véritable objectif, a déjà « perdu » un certain temps dans une voie qui n’était pas forcément la sienne, et donc présente moins de risques d’être dans l’erreur que celui ou celle qui n’a connu que des succès. Dans le « système français », c’est encore très différent. Il semble que ce soit en train de changer doucement...
Ceci pour résumer. Je vous le recommande !
Maintenant, attardons-nous un peu sur la figure de Paul de Tarse, et poursuivons le travail initié par Pierre (Brunet) il y a quinze jours (pour ceux d’entre vous qui étaient là...).
Nous l’avons vu, Saul est né à Tarse en Cilicie, sans doute un peu après la naissance du Christ. Il est à la fois Grec, citoyen romain de naissance, Juif, au moins quadrilingue, instruit, fils de tisserands, bref, un honnête homme de son époque. Fondateur en 51 de la paroisse de Corinthe.
Il apparaît pour la première fois en Actes 7 verset 58 et 60, où il assiste à la lapidation d’Etienne.
Shaoul en hébreu signifie “Désiré”, “Celui qui est demandé à Dieu”; grécisé, il se prononçait Saoulos. Il n’était pas rare à cette époque et dans ces milieux de porter un double prénom, juif et grec. Ce nom avait justement été celui du premier roi d’Israël au 9e s. av. J.C., lui aussi de la tribu de Benjamin. Mais on ne connaît pas le nom de famille de Saul.
Comme cela se fait aussi très couramment dans les familles immigrées, le père de Saul doit l’envoyer assez vite, vers 14 ans, âge de la majorité juive, poursuivre ses études à Jérusalem. “C’est ici, dans cette ville - Jérusalem - que j’ai été élevé et que j’ai reçu aux pieds de Gamaliel, une formation stricte à la foi de nos pères” (AC.22,3). Notez le mot « stricte ». Dans la maison de Gamaliel, un maître libéral, hellénisé, qui enseignait à Jérusalem dans les années 25/30, Saul approfondit sa connaissance des Écritures et apprend les techniques d’interprétation qu’il utilisera par la suite.
Gamaliel est un pharisien, docteur de la loi, estimé de tout le peuple. Saul est donc un pharisien...
Mais dites-moi... Qu’est-ce qu’un pharisien ?
En ce temps de Pâques je crois utile de rappeler, toujours pour continuer le travail de Pierre, les différents courants religieux qui parcouraient Israël au 1°siècle de notre ère. Cela peut être un peu long, mais cela peut nous permettre de mieux comprendre ce qui s’est réellement joué dans le destin de Saul/Paul.
J’ai dénombré quatre courants, et un groupe social : les pharisiens, les sadducéens, les esséniens, les zélotes et les publicains. Tous sont apparus entre le IIe siècle av. J.-C. et le Ie siècle de notre ère. Nous commencerons par les publicains, le « groupe humain » plus éloigné, pour finir par les pharisiens, le mouvement auquel appartenait Saul.
GROUPE I : les Publicains.
A vrai dire, les publicains, contrairement aux 4 autres groupes sociaux, ne se définissent pas comme un mouvement religieux, mais comme un simple groupe social ayant pris naissance directement dans l’économie romaine :
Pendant la période romaine, les publicains (du latin publicanus) bénéficiaient de contrats publics, en regard desquels ils fournissaient l’armée romaine, géraient la collection des taxes portuaires et supervisaient les projets de constructions publiques.
Ils exerçaient également comme collecteurs d’impôts pour la République Romaine (et plus tard pour l’Empire), offrant leurs services au Sénat à Rome pour obtenir les contrats de collection des divers types de taxes.
Ils doivent faire l'avance des sommes à collecter et recouvrer leur fond et leur commission qui, selon les auteurs antiques, pouvaient être substantiels. Ils étaient organisés en "syndicat" et constituaient, en raison du montant des sommes collectées, un ordre puissant. Ils pratiquaient notamment l’usure à 45% ! Les Juifs tels que certains en ont colporté l’image !
La figure évangélique des publicains que nous connaissons est Zachée, chef des collecteurs d'impôts, rappelez-vous : il voulait voir Jésus, et pour cela grimpa sur un sycomore. Jésus le vit et lui dit :
« Dépêche-toi de descendre, Zachée, car il faut que je loge chez toi aujourd'hui. » (Luc 19.1-10).
GROUPE II : les Zélotes
Le courant des Zélotes « se définit par un nationalisme intransigeant et agressif. Ils sont, de façon très directe, à l’origine de la révolte de 66-70.
L’historien Flavius Josèphe, partisan de composer avec la puissance romaine, reproche amèrement aux Zélotes leur fanatisme qui est selon lui à l'origine de la catastrophe.
Vers l'époque de la chute du Temple (70), leur chef Eliazar prend la tête de l'armée de Massada avec 960 personnes - les guerriers, les femmes et leurs enfants - faisant face aux légions romaines estimées à 15 000 hommes. Préférant mourir que de se rendre, les derniers Zélotes se suicident avec leurs familles.
Une horreur !
GROUPE III : les Esséniens
Rien à voir :
Le plus marquant dans cette communauté était la mise en commun et la répartition des biens de la collectivité selon les besoins de chaque membre. Le shabbat était observé strictement, comme la pureté rituelle (bains à l'eau froide et port de vêtements blancs). Il était interdit de jurer, de prêter serment, de procéder à des sacrifices d'animaux, de fabriquer des armes, voire même de faire des affaires ou de tenir un commerce. Et c’étaient aussi des Juifs !
Les membres, après un noviciat de trois ans, renonçaient aux plaisirs terrestres pour entrer dans une sorte de vie monacale. Leur alimentation était particulière en ce qu'elle ne devait pas subir de transformation, par la cuisson par exemple. La consommation de viande était interdite. Leur nourriture se composait essentiellement de pain, de racines sauvages, et de fruits. Ils vivaient selon des règles strictes.
Cela nous rappelle peut-être un peu le mode de vie de Jean le Baptiste.
GROUPE IV : les Sadducéens
Les sadducéens rejettent l'interprétation de la Torah faite par les Pharisiens et plus exactement le Talmud qui s'en suivra. Flavius Josèphe, dont on peut penser qu'il penche pour les sadducéens, résume ainsi cette opposition : «Les Pharisiens ont transmis au peuple certaines règles qu'ils tenaient de leurs pères, qui ne sont pas écrites dans les lois de Moïse, et qui pour cette raison ont été rejetées par les saducéens qui considèrent que seules devraient être tenues pour valables les règles qui y sont écrites et que celles qui sont reçues par la tradition des pères n'ont pas à être observées.» (Antiquités juives, XIII-297)
Cette spiritualité amena les sadducéens à se séparer des pharisiens sur certaines questions, dont : la résurrection des morts.
GROUPE V enfin : les fameux Pharisiens (Pharisaïsme)
Les Pharisiens se définissent avant tout comme un mouvement de stricte observance religieuse. Ils passent en effet, encore selon la formule de Flavius Josèphe, « pour l’emporter sur les autres Juifs par la piété et, par une interprétation plus exacte de la Loi ». Ils font ainsi de la surenchère par rapport à la pratique commune.
Leur capacité à faire évoluer le dogme juif tient au rôle qu'ils ont dévolu à la Loi orale. En effet, ils vont au-delà du texte écrit et au nom de la tradition orale, révélée à Moïse en même temps que la Loi écrite, ils le précisent et l’enrichissent. Leur soumission à la Loi orale les place en opposants aux sadducéens et impliquera le développement de la synagogue comme lieu où l'on interprète la loi. Le pharisaïsme est ainsi à l'origine du rabbinisme et de la mise par écrit de la Loi orale dans le Talmud (rejeté par les saducéens).
Le nom « pharisien », d’ailleurs tire ses origines du grec pharisaioi, provenant lui-même de la racine du verbe hébreu « parash », qui signifie « distinguer », « séparer » mais aussi « éclaircir », « expliquer ».
En tant qu’époux d’une orthoptiste, je proposerais personnellement le verbe « discriminer ».
L’origine de cette dénomination donne lieu à deux interprétations.
I : Étant donné l’importance qu’ils attachaient à la Loi, il se pourrait que leur nom marque le fait que ce groupe se soit « séparé », pour des raisons de pureté rituelle, du reste du peuple, moins soucieux des prescriptions de la Loi.
II : Il peut aussi être compris comme « ceux qui séparent la loi » (en d’autres termes, la décortiquent, la discriminent) pour chercher à mieux l’interpréter et l’expliquer. Quoi qu’il en soit, l’attachement à la Loi était donc prépondérant dans cette secte juive.
Ainsi, au temps de Jésus, ils cherchaient à suivre la Loi de façon très scrupuleuse. Selon eux, la personne croyante se devait d’observer à la fois la Loi écrite ou Torah, et les traditions orales auxquelles ils accordaient une grande importance. En tout, ils avaient donc compilé 613 préceptes à respecter, comprenant pas moins de 365 interdictions. Plus de la moitié !
Mais dites-moi, dites-moi... Les pharisiens... nous en avons entendu parler, non ? Et dans les évangiles. Et il me semble que le Christ lui-même n’avait pas la dent particulièrement tendre envers eux.
Notamment dans le chapitre 23 de l’Évangile de Matthieu :
« Malheureux êtes-vous, scribes et pharisiens hypocrites, parce que vous fermez à clé le royaume des Cieux devant les hommes ; vous-mêmes, en effet, n’y entrez pas, et vous ne laissez pas entrer ceux qui veulent entrer ! Malheureux êtes-vous, scribes et pharisiens hypocrites, parce que vous parcourez la mer et la terre pour faire un seul converti, et quand c’est arrivé, vous faites de lui un homme voué à la géhenne, deux fois pire que vous ! Malheureux êtes-vous, guides aveugles, vous qui dites : “Si l’on fait un serment par le Sanctuaire, il est nul ; mais si l’on fait un serment par l’or du Sanctuaire, on doit s’en acquitter.” » (Mt 23,13-16)
Revenons maintenant au texte I Corinthiens 2 1-5.
« Je ne suis pas venu vous annoncer le mystère de Dieu avec le prestige de la parole ou de la sagesse. Non, je n’ai rien voulu savoir parmi vous, sinon Jésus Christ, et Jésus Christ crucifié ».
Paul et le Christ ne sont pas venus à nous avec leur verbe et leur savoir, juste avec leur vie.
Quel contraste avec la sapience des pharisiens, et quelle humilité ! Quel désir d’être non pas dans la sagesse, la stricte observance et le savoir, mais ici, maintenant, avec leurs frères humains !
Manifestement, Paul a mis de l’eau dans le vin de Saul...
Nous voyons ici - de façon lumineuse, si je puis dire – le changement dans la façon de penser de Saul/Paul, et à quel point le Christ, qu’il rejetait jusqu’à Damas, a su l’atteindre dans son cœur.
Lui dont la profession de foi était jusqu’alors « Respecte à fond les 613 préceptes – sois le meilleur de croyants – le meilleur », il professe aujourd’hui « Non ... sois simplement un homme, un enfant de Dieu, même pécheur, mais sois-le honnêtement et humblement envers toi-même et envers le Père ».
Saul/Paul a quitté toute prétention, toute idée de perfection dans la foi.
Ce qui me paraît personnellement tellement plus en phase avec l’idée du péché originel. Nous sommes tous faillibles, tous pécheurs à l’origine, et nous n’y pouvons rien.
Tout ce que nous pouvons faire, c’est tenter humainement, et par tous les moyens à notre disposition, de nous améliorer.
Rappelons-nous les paroles du Christ envers les petits enfants et inspirons-nous de leur façon de grandir, d’apprendre sans cesse, d’avancer dans la vie et en eux-mêmes.
Le mieux que nous puissions faire pour le Père est de réduire – autant que nous le pouvons, même modestement – la distance pourtant irréductible qui nous sépare de Lui.
Que faut-il en conclure ? Que le Christ – et Saint Paul après Lui - savait notre faiblesse et voyait dans le pharisaïsme toute l’impossibilité humaine à tenir d’aussi belles promesses ? Il disait peut-être que notre valeur réside non pas dans nos perfectionnismes et nos strictes observances, mais dans notre volonté de nous corriger. C’est pour cela sans doute qu’Il s’invite chez Zachée, le publicain, le pécheur.
[[PASTING TABLES IS NOT SUPPORTED]] Zachée, debout devant le Seigneur, lui dit : « Écoute, Maître, je vais donner la moitié de mes biens aux pauvres, et si j'ai pris trop d'argent à quelqu'un, je vais lui rendre quatre fois autant. » Jésus lui dit : « Aujourd'hui, le salut est entré dans cette maison, parce que tu es, toi aussi, un descendant d'Abraham. Car le Fils de l'homme est venu chercher et sauver ceux qui étaient perdus » (Luc 19.1-10).
Zachée est sauvé par son désir sincère de corriger sa part de péché.
L’homme, symboliquement aussi, serait un bipède : il ne lui suffirait pas d’un seul pas pour avancer, mais de deux : un premier, imparfait, pour pécher, faillir, un second mieux ajusté pour corriger son équilibre, sa direction et son péché.
Pour finir sur « Les Vertus de l’échec » de C. Pépin, l’homme est faillible par définition, et c’est justement ce qui ferait toute sa valeur aux yeux du monde. L’imperfection liée à la possibilité de se corriger. JJ Rousseau disait que l’homme est « perfectible ». Ce que ne permettait pas le pharisaïsme.
Charles Pépin cite notamment Henri Bergson : « L’homme est le seul animal dont l’action soit mal assurée, qui hésite et tâtonne, qui forme des projets avec l’espoir de réussir et la crainte d’échouer ».
« Pouvez-vous imaginer une araignée qui ne sache pas tisser sa toile ? », demandait avec malice Michel Serres au public d’une de ses conférences. L’araignée ne peut pas rater parce qu’elle obéit à son instinct, ne fait que suivre le code de sa nature. De la même façon, les abeilles ne commettent pas d’erreur dans la transmission d’informations. Leurs signaux sont parfaitement émis, parfaitement reçus – aucun malentendu chez les abeilles. « L’animal ne peut pas rater », concluait le philosophe. Il n’en va pas de même des humains. Nous ne réussissons pas toujours à nous comprendre, et peu d’entre nous sont capables de se construire un abri en forêt. Mais nous avons inventé la littérature et l’architecture.
C’est peut-être pour cela que Jésus nous aime : nous sommes fondamentalement capables de faillir, de pécher, MAIS nous sommes capables d’apprendre de ces péchés, et donc, potentiellement, capables de génie.
Je terminerai donc cette toute première prédication par la prière suivante :
Mon Dieu, qu’il est difficile de me regarder en face !
De découvrir à quel point je suis incapable et faible.
Si loin de l’image que je voudrais avoir de moi-même.
Je connais la tentation de me donner des apparences.
De m’accrocher à des certitudes semble tellement rassurant.
Tu le sais : me regarder en face t’ouvrirait une porte.
Je voudrais croire que ta force puisse jaillir dans ma faiblesse. Je voudrais lâcher prise pour trouver appui en toi.
Regarder le Christ, venu à nous dans sa faiblesse humaine – passant par la mort pour trouver la vie, me donne l’élan pour prendre le même chemin :
Je veux faire confiance en ta puissance. Transforme ma faiblesse en puissance de vie.
Amen !
Jean-David HUMBERT