Prédications Protestantes dans les Alpes du sud 

DIMANCHE 22 Février 2015

Culte à Gap (05000) * Assemblée Générale

Lectures du jour :

Genèse 9, 8-15,

1 Pierre 3,17-22,

MARC 1, 12-15

Qu’as-tu fait de ton frère ?

Frères et sœurs, je suis heureux de vous retrouver ce matin, pour ce RDV annuel, qui coïncide, comme l’an dernier avec le 1° dimanche de Carême. L’an dernier je vous avais indiqué pourquoi il ne fallait pas avoir peur de ce mot. Cette année, nos lectures du jour me tendent une perche que je vais me risquer à saisir, pour une courte méditation en ce culte particulier, à travers la lecture du texte de 1 Pierre 3, 17-22, que voici :

Frères et sœurs, ce 1° dimanche de Carême ouvre un temps de préparation à cette fête du dimanche de Pâques, mais il faudra passer auparavant par le vendredi et cette croix qui s’impose à nous, que l’on ne peut éviter, que Jésus n’a pas voulu éviter, accomplissant le projet de Dieu jusqu’au bout, jusqu’à ces souffrances et humiliations absolues.

Notre texte de ce matin, nous renvoie au Symbole des Apôtres qui nous renvoie lui-même au Vendredi Saint il a souffert sous Ponce Pilate, il a été crucifié, il est mort puis vient le dimanche de Pâques, le 3° jour il est ressuscité des morts, mais entre les deux, dans notre calendrier, il y a le samedi : il est descendu aux enfers.

Calvin voyait dans cette expression du symbole des apôtres, l’aboutissement de cette humiliation, rajoutant du sordide à l’horreur, dans cette descente aux enfers où Jésus subit le même sort que les criminels, les esclaves, et ces malheureux contemporains de Noé, qui, pour s’être moqué de lui lorsqu’il construisait son arche, furent condamnés à pourrir dans ce shéol, ce lieu de ténèbres qui échappe pour l’éternité à l’autorité et à la présence Divines.

Cette descente de Jésus aux enfers était donc pour Calvin, une descente passive destinée à manifester de façon encore plus éclatante la puissance de Dieu, capable de ramener Jésus de ce séjour des morts, ce puits sans fond dont aucun humain n’était jamais remonté.

Or, ce n’est pas ce que dit notre texte : C’est alors qu’il est allé prêcher aux esprits en prison, qui autrefois avaient été incrédules, aux jours de Noé, où seules huit personnes furent sauvées.

Cette lecture a permis à Sébastien Castellion de développer une autre interprétation, ce qui fut l’objet d’une nouvelle controverse avec Calvin, après celle de Michel Servet[1].

Si Jésus est descendu aux enfers, c’est pour prêcher, nous dit Pierre, pour évangéliser, dira-t-il un peu plus loin : Car l’Évangile a été aussi annoncé aux morts, afin que, après avoir été jugés par les hommes quant à la chair, ils vivent selon Dieu quant à l'Esprit.

C’est donc un appel au salut universel que Castellion voit dans ce passage. Il imagine même Jésus remontant, tirant derrière Lui cette cohorte de condamnés, de réprouvés et les ramenant à la présence du Père.

Nous sommes là au cœur du sens de la croix : par ce sacrifice, la réconciliation possible avec notre créateur qui se fait sauveur, le salut par celui qui vient nous chercher là où nous sommes, dans nos caves, dans nos puits sans fond, dans nos obscurités.

Et Castellion concluait ainsi son interprétation par cette phrase que vous connaissez certainement : Jésus est descendu aux enfers, pour en fermer la porte !

Alors j’imagine ce Jésus tirant par la main cette longue chaîne humaine, la ramenant à la Lumière, et j’entends ce Jésus, sauveur de l’Humanité à la force du poignet, les mains encore noires de la fange du cul de basse fosse où il est allé la chercher, je l’entends me dire comme à Caïn, voyant mes mains scandaleusement blanches, « Et toi qu’as-tu fait de ton frère » ?, me rappelant à cette éthique de responsabilité dont chaque chrétien est redevable, devant répondre à ces 2 questions simples :

- De qui dois-tu rendre des comptes ?

- à qui dois-tu rendre des comptes ?

Je dois rendre des comptes de mes frères, mais qui sont mes frères ? Mes frères en Christ, récemment encore, objets de persécutions dans différentes régions du monde, cibles innocentes d’une violence et d’une barbarie que l’on croyait révolues en ce nouveau siècle, victimes collatérales de l’expression arrogante d’une liberté qui a oublié au passage le principe d’altérité ?

Oui, eux, bien sûr, tes frères en Christ, il faut prier pour eux, mais pas seulement. Tous tes frères, toutes les victimes mais aussi les bourreaux, car l’Humanité est une, il n’y a pas eux et nous, nous et les autres, il n’y a pas ceux qui sont morts avant Jésus Christ, ceux qui sont morts après. L’Humanité est une car Jésus nous rassemble tous dans son salut universel, voilà ce à quoi nous sommes prédestinés, voilà ce que nous dit Pierre, au risque d’une nouvelle controverse avec Calvin.

Mais, loin de ce débats théologiques, je regarde mes mains, désespérément blanches, et je pense à d’autres frères : Robert Mac All[2] et sa femme, au milieu des vaincus de la Commune de Paris, à la recherche de leurs frères ou plutôt de leurs sœurs sur les trottoirs de Belleville, à William Booth[3], sa femme et sa fille, accueillant tous ces laissés pour compte de la révolution industrielle, sur leur péniche avec leur fameux slogan S.S.S.[4] Eux, au moins, ils ont mis les mains dans le cambouis, on sait ce qu’ils ont fait de leur frère.

Mais moi, il y a longtemps que je me suis habitué à l’idée que je ne suis qu’un homme ordinaire, et accepté de vivre avec cette infirmité, à moins qu’elle ne soit qu’un alibi.

Alors il me reste ce Carême, ces 5 semaines de cheminement pour retrouver celui à qui je dois rendre des comptes, 5 semaines pour non pas pour essayer de mener une vie juste et droite à mes propres yeux, à défaut des yeux de Dieu mais pour me laisser bouleverser, retourner, recevoir comme un nouveau souffle de vie, cette nouvelle d'un Dieu qui nous rejoint jusque dans la souffrance des déchirures et des égarements de notre monde. 5 semaines pour accueillir Dieu dans notre faiblesse, dans nos chutes et dans nos épreuves, pour recevoir cette Parole de pardon qui nous relève et qui nous rend libres.

Dieu aurait-il pu transmettre ce message d’amour, dire le don et le pardon, autrement que par la croix ? Que par le prix du sang ? Je n’en sais rien. Tout ce que je sais c’est que la croix est là et qu’elle dit l'engagement total et définitif de Dieu aux côtés de notre Humanité.

Et cela nous renvoie à la façon dont Paul parle de la croix dans l'hymne aux Philippiens (Phil 2, 7,9). Il dit de Jésus qu'il s'est vidé lui-même de sa divinité en se faisant vraiment esclave et il termine en disant : C'est pourquoi Dieu l'a souverainement élevé. Parce que Jésus s'est fait petit, il a été grand, parce qu'il s'est abaissé, il a été élevé.

5 semaines pour me faire suffisamment petit, pour diminuer suffisamment afin que Jésus puisse grandir en moi.

Amen,


François PUJOL

[1] Médecin espagnol et théologien, Servet rejette l'idée que le Christ serait « le Fils éternel de Dieu » et soutient qu'il n'est que « le Fils de Dieu éternel » et développe des idées anti-trinitaires (unitariennes). Brûlé vif pour hérésie sur ordre de Calvin en 1553, Castellion prendra sa défense avec le célèbre « « Tuer un homme ce n'est pas défendre une doctrine, c'est tuer un homme. On ne prouve pas sa foi en brûlant un homme mais en se faisant brûler pour elle ».

[2] Robert Mac All (1821-Cornouailles, 1893-Paris), Fondateur de la mission Populaire Evangélique

[3] William Booth (1829-Nottingham, 1912-Londres), Fondateur de l’armée du Salut

[4] Soupe, Savon, Salut