Prédications Protestantes dans les Alpes du sud
Dimanche 08 AOUT 1999
GAP (05000)
Lectures du jour :
1 Rois 19,1-16,(Voir également méditation du 13 Aout 2017)
Romains 9,1-5,
Matthieu 14, 22-33 (Voir sous cette référence, méditation du 07 Aout 2011)
Vous n’êtes pas seuls
Notre récit se situe après la fameuse scène du Mont Carmel, où le prophète Élie a gagné le défi lancé aux prophètes de Baal, et fait reconnaître la Seigneurie du Dieu d'Israël d'une manière fort spectaculaire. Mais il a scellé cette victoire en égorgeant les 450 prophètes idolâtres, ses rivaux ! Il se heurte alors à la violente réaction de la reine Jézabel, protectrice du culte de Baal., que son mari, le roi Achab, informe de l'événement/
Réaliste, la reine sait que l'opinion publique est pour le moment subjuguée par le héros du jour. Elle n'ose donc pas faire arrêter sur le champ et exécuter Élie en représailles pour le massacre des prophètes qu'elle soutenait. Mais elle recourt au bluff, arme fréquente des politiques. Elle menace avec imprécations, en évoquant les dieux païens, de faire subir à Élie, dès le lendemain, le sort qu'il a fait subir à ses rivaux.
Pris de panique, Élie s'enfuit pour sauver sa vie. Cela peut paraître une défaillance inattendue chez ce vaillant serviteur du vrai Dieu. Le récit biblique ne nous cache pas que le prophète passe alors par une profonde crise de découragement. L'homme exceptionnel nous devient ainsi bien plus proche, bien plus humain; Cependant le récit, dans sa sobriété, ne nous permet pas d'interpréter avec certitude ce qui se passe à ce moment critique dans la conscience d’Élie.
Est-il amené par la menace de Jézabel à considérer que sa victoire du Carmel sera sans lendemain, qu'il lui sera impossible d'arracher en profondeur l'idolâtrie du cœur de son peuple ? A-t-il seulement honte de sa propre lâcheté ? Se sent-il coupable d'avoir outrepassé la volonté de Dieu en égorgeant ses rivaux païens ? Ce scrupule est cependant peu probable dans le contexte de l'époque... Est-il tout simplement à bout de forces après un combat épuisant ? Si nous n'arrivons pas à démêler ces divers sentiments possibles, Élie nous rejoint par là-même dans la complexité de nos propres déprimes ! Nos sentiments dans ces cas-là ne sont-ils pas toujours ambigus : l'impression d'être victimes de l'adversité, se mêlant à un sentiment diffus de culpabilité, ce qui nous enferme dans une vision pessimiste de notre situation, voire nous mène à des pensées suicidaires...
Élie en est là. Non pas à vouloir se donner la mort, mais à demander à Dieu de mettre fin à sa vie. Son amer sentiment d'échec le fait crier: "Je n'en peux plus, Seigneur, reprends ma vie" Cette vie était si totalement engagée dans sa mission qu'elle n'a désormais plus de sens à ses yeux ! Il touche vraiment le fond du désespoir. Qu'un tel homme de foi puisse en arriver là doit prendre sens pour nous. Nous avons trop souvent une notion bien idéalisée de la foi, comme si un vrai croyant devait perpétuellement marcher dans des certitudes inébranlables. Oublions-nous que Jérémie ou Job, et Jésus lui-même, ont eux aussi côtoyé le désespoir ?
La foi se manifeste alors en ce que, dans l’épreuve, c'est à Dieu que l'on crie, fût ce pour se révolter ou lancer des pourquoi qui semblent sans réponse ! Ici, Dieu a entendu le cri d’Élie. Dans un symbolisme sobre et puissant, le vieux récit proclame que le Seigneur ne veut pas la mort de son serviteur découragé et lui fournit le viatique pour reprendre son chemin. C'est le centre du récit qui a été souligné dimanche dernier, ce "Lève-toi et mange"[1] qui en quelque sorte ressuscite notre prophète.. Élie comprend que sa vie reste précieuse aux yeux de Dieu, même si le sens qu'elle peut prendre lui reste encore caché. La suite du récit est à nouveau d'une importance capitale et d'une grande beauté littéraire.
Fortifié par la nourriture angélique, Élie en effet se lève et "marche 40 jours et 40 nuits jusqu'à la montagne de Dieu, l'Horeb" Ce chiffre de 40 est conventionnel, il signifie que le prophète refait en sens inverse le parcours d'Israël au désert, qui avait duré 40 ans, pour un pèlerinage aux sources de la révélation à Moïse, sur la montagne de l'alliance et du don de la Loi (Horeb est un autre nom du Sinaï) Il passe la nuit dans la caverne, probablement celle où la tradition disait que Moïse avait séjourné.
Élie a surmonté sa défaillance personnelle. Au Seigneur qui l'interpelle, il répond avec une certaine véhémence/ comme pour se justifier, qu’il s'était passionné pour sa cause, que son échec est dû à l'infidélité de son peuple. Il est resté le seul fidèle et on veut le faire mourir. Il semble faire reproche à Dieu de cette situation : sous-entendu„ comment ton plan pourrait-il se réaliser ? Ton histoire avec le peuple de l'alliance est dans l'impasse !
Le Seigneur offre alors à Élie de passer devant lui. Et c'est comme un rappel des vieilles théophanies du Sinaï: orage, tremblement de terre et feu. Mais à chaque fois le refrain : Le Seigneur n'était pas dans le vent, le tremblement de terre, le feu. "Et après le feu, le bruissement d'un souffle ténu" traduit la TOB. Littéralement la voix d'un silence qui s'évanouit. Le récit ne dit pas que le Seigneur était dans ce murmure silencieux, c'est seulement un signe de son approche mystérieuse. I1 ne faut pas donner ici une interprétation éthique, comme si prophétiquement ce texte opposait au Dieu terrifiant d'une première révélation la douceur évangélique qu'incarnera le Christ.
Dans l'histoire d’Élie, il faut me semble-t-il le comprendre ainsi : Dieu reconnait l'impasse à laquelle a abouti la spectaculaire manifestation du Carmel, lorsqu'il a exaucé l'audacieux défi du prophète. Il veut faire comprendre à Élie que sa manière d'intervenir dans la vie de son peuple peut être plus subtile, comme cachée. Il agit le plus souvent à travers l'action des hommes qu'il inspire et qui lui font confiance Quand le prophète, de retour à l'entrée de la caverne, réitère ses doléances, le Seigneur lui révèle que sa mission n'est pas finie. Il compte sur lui pour une action d'ordre politique en Syrie et en Israël, avant de se donner un successeur en la personne d’Élisée.
Le dernier verset de notre récit est d'une grande importance. Élie prétendait être resté le seul fidèle à son Dieu. Celui-ci lui révèle qu'en réalité la résistance à Jézabel avait mobilisé 7.000 hommes en Israël, "dont les genoux n'ont pas plié devant le Baal " Avec ce reste fidèle, le Seigneur va préparer l'avenir. Le défaitisme absolu d’Élie était sans fondement. L'espérance reste possible. Dans ce dernier trait, je pense que nous pouvons recevoir un message très actuel.
Les Jézabel d'aujourd'hui s'appellent dictatures sanglantes, puissances financières inhumaines, dégradation de la biosphère etc... Les Baal modernes s'appellent l'argent roi, la compétition forcenée, le repli identitaire, le fanatisme etc. Notre monde est entré dans une crise sans précédent, les dirigeants, même lorsqu'ils sont lucides et de bonne volonté semblent dépassés par la complexité des problèmes. Tout nous pousse vers le défaitisme, sinon vers un catastrophisme radical, l'injustice et la violence sont comme une fatalité qui nous écrase. Comment ne pas nous sentir impuissants avec nos bonnes volontés aux mains nues, nos professions de foi idéalistes ? Nous nous sentons proches du désespoir d’Élie.
C'est ici que Dieu nous invite à voir la réalité moins visible mais bien réelle des 7.000 qui n'ont pas fléchi les genoux devant le Baal, de ceux qui ont le courage de résister à Jézabel. Ils font moins la une des journaux ou de la télé, ils sont pourtant nombreux dans le monde entier, croyants, ou incroyants, engagés dans des luttes pas toujours désespérées contre toutes les formes d'oppression, contre la faim dans le monde, contre les fanatismes mortifères, et pour des solidarités qui font reculer la misère. Nous ne sommes pas seuls à vouloir changer la vie, alors en dépit de toutes les déceptions et de toutes les craintes il faut continuer notre combat et notre témoignage. Tout n'est pas joué ! Il est vrai que la course à l'autodestruction de l'humanité peut s'accélérer. Mais tout peut aussi basculer du côté de la vie, si les résistances grandissent et deviennent plus efficaces.
Une nouvelle conscience planétaire pour le sauvetage de l'humanité et la sauvegarde de la création est peut-être en train de naître et il nous faut tout faire pour qu'elle se fortifie, y compris dans la prière pour ceux qui croient aux promesses du Seigneur. Soyons raisonnablement optimistes et ne désertons pas le combat.
Amen !
Charles L'Eplattenier
[1] « La galette et la cruche »