Prédications Protestantes dans les Alpes du sud 

Dimanche 3 juin 2018

Culte à Gap (05000)

Lectures du Jour :

1 Rois 19, 19-21

Luc 9, 57-62 (voir également sous cette référence, prédications du 14/02/2010 et 04/03/2018)

Reconstruire en Orient

A entendre les informations, il n’y a plus presque plus de chrétiens en Syrie, et le pays vit sous une dictature qui écrase tout sur son passage. Comme toujours, lorsque l’on regarde de plus près, cette représentation caricaturale de cette situation vraiment douloureuse ne rend pas compte de sa complexité. Ici, je ne vais pas faire d’analyse politique, mais essayer d’être le témoin de ce que vivent ceux qui veulent suivre le Christ … en Syrie. Car il y a des chrétiens et des Eglises en Syrie, catholiques, orthodoxes (elles-mêmes subdivisées en de nombreuses sous-groupes) et des protestants (eux aussi divisés, mais c’est un sujet que nous connaissons bien).

Pour en parler, j’aimerais partir de deux textes qui me paraissent, dans la tension de l’un par rapport à l’autre, être une bonne illustration de ce que vivent mes sœurs et frères là-bas, mes amis dans la foi.

Je vous invite à entendre et à méditer brièvement ces deux textes l’un après l’autre.

1 Rois 19, 19-21

19 ¶ (Elie) Il partit de là et trouva Elisée, fils de Shafath, qui labourait ; il avait à labourer douze arpents, et il en était au douzième. Elie passa près de lui et jeta son manteau sur lui.

20 Elisée abandonna les bœufs, courut après Elie et dit : « Permets que j’embrasse mon père et ma mère et je te suivrai. » Elie lui dit : « Va ! retourne ! Que t’ai-je donc fait ? »

21 Elisée s’en retourna sans le suivre, prit la paire de bœufs qu’il offrit en sacrifice ; avec l’attelage des bœufs, il fit cuire leur viande qu’il donna à manger aux siens. Puis il se leva, suivit Elie et fut à son service.


Luc 9, 57-62

57 Comme ils étaient en route, quelqu’un dit à Jésus en chemin : « Je te suivrai partout où tu iras. »

58 Jésus lui dit : « Les renards ont des terriers et les oiseaux du ciel des nids ; le Fils de l’homme, lui, n’a pas où poser la tête. »

59 Il dit à un autre : « Suis-moi. » Celui-ci répondit : « Permets-moi d’aller d’abord enterrer mon père. »

60 Mais Jésus lui dit : « Laisse les morts enterrer leurs morts, mais toi, va annoncer le Règne de Dieu. »

61 Un autre encore lui dit : « Je vais te suivre, Seigneur ; mais d’abord permets-moi de faire mes adieux à ceux de ma maison. »

62 Jésus lui dit : « Quiconque met la main à la charrue, puis regarde en arrière, n’est pas fait pour le Royaume de Dieu. »

A lire ces deux textes l’un après l’autre, on se rend compte que Luc voulait montrer que le choix qui amène à suivre Jésus est un peu comme le choix d’Élisée de suivre Élie, mais dans une version plus radicale. Le passage Élie-Elisée est une très belle histoire (et comme je suis aussi en train de passer la main à mon successeur qui dirigera l’ACO à partir de la rentrée, cela me touche quelque peu – même si ce n’est pas le sujet ici).

Je ne peux en tirer que la conclusion : le choix de suivre Jésus doit être fait de manière conséquente ! Car ce choix implique de lâcher nids et terriers, appartements et villas, il implique aussi parfois de faire le deuil des siens, de se tourner résolument vers la tâche à accomplir, sans le regard en arrière, paralysant et stérile (dont une autre histoire lourdement symbolique du premier testament rend compte, la femme de Loth changée en statue de sel lorsqu’elle quitte Sodome et Gomorrhe).

La nostalgie de ce qui était et qui n’est plus est un poison, attention, c’est autre chose que le travail de mémoire- lui nécessaire et utile pour avancer ! La nostalgie enferme dans les regrets et empêche justement de tourner les pages, d’aller de l’avant. Et Jésus demande des siens d’aller de l’avant, d’aller vers la vie, de ne pas se laisser fasciner par la mort, de ne pas se perdre en adieux qui sont en fait des souhaits d’au-revoir, des essais d’arrêter le temps ! En même temps, Jésus dit clairement aux siens que ce n’est pas tous les jours facile ou plaisant.

Mes amis en Christ du Moyen Orient en savent quelque chose : j’ai le privilège de partager leurs quelques joies et leurs nombreuses peines. Durant les dix dernières années, nous avons eu les attentats innombrables en Irak, en Égypte, le printemps arabe et le cauchemar qu’il est devenu en Syrie, nous avons eu une répression accrue des chrétiens en Iran, nous avons eu l’émergence et puis la quasi-destruction de l’État islamique, deux coups d’état en Égypte. Des millions de personnes fuyant la Syrie. Le Liban traversé par une crise politique quasi permanente, à laquelle s’ajoute le poids des réfugiés, 1,5, plus probablement 2 millions sur une terre tout juste 20% plus grande que l’Alsace, donc bien moins grande que le Grand-Est.

C’est un privilège de pouvoir croiser la route de ces chrétiens, j’y reçois le témoignage de quelque chose d’infiniment précieux : la foi au milieu des obstacles. La foi qui permet de traverser des dépressions. La foi qui trouve un chemin où à vues humaines, il n’y en a pas. La foi qui permet d’affronter les pertes, pertes de bâtiments, pertes d’illusions sur les voisins que l’on croyait amis et qui vous trahissent.

Quand il y a deux ans, j’ai rencontré la dizaine de pasteurs du Synode Arabe de Syrie réunis au Liban, j’ai été frappé par la joie qui émanait d’eux. Bien sûr, ils étaient aussi heureux de sortir pour un temps de chez eux, d’échanger, de partager. Mais c’était plus profond. Ils avaient tous beaucoup perdu, l’église d’Alep avait été dynamitée, celle de Homs dévastée, le pasteur Mofed disait avec humour qu’il avait battu le record de brièveté d’une location : devant les destructions dans les bâtiments de l’église, il avait loué un appartement. Il venait de s’y installer. Il était sorti faire une visite, et de là, il a vu une roquette tomber sur son appartement et le brûler entièrement… Devant de telles histoires, on relativise bien vite ses soucis d’européen, vivant dans la sécurité, même s’il y a aussi eu des attentats horribles chez nous !

Tous ont perdu des amis, des membres de la famille, tués ou blessés. Alors oui, ils regrettent les temps passés, quand la Syrie connaissait un développement modeste certes, mais réel, avec un bon système scolaire, des soins sanitaires pour tous. Quand chrétiens, kurdes, druzes, musulmans chiites, alavites et sunnites vivaient ensemble, certes sous une direction politique très répressive, mais enfin, c’était mieux que cette guerre insensée dont on ne voit pas la fin. Et certains à force de souffrir n’en peuvent plus et cherchent leur salut dans la fuite.

Ceux qui restent, vivent une précarité totale, des problèmes quotidiens à ne plus en finir, des conflits de loyauté, comme : faut-il réserver l’aide qui est à leur disposition aux paroissiens ou aussi à ceux qui viennent frapper à leur porte ? Et pourtant, après cinq ans de conflits, parfois après avoir traversé de vraies dépressions, leur foi a en quelque sorte été purifiée par l’épreuve, ils ont perdu leurs illusions sur le monde, sur leurs voisins, sur ce que l’église peut faire, et aussi sur eux-mêmes. Et … - je vous le confesse, c’est difficile de parler en leur nom - ils font l’expérience qu’ils peuvent quand même compter sur Dieu, que leur présence avec les petites aides qu’ils peuvent donner a du sens, que célébrer des cultes au milieu de ruines console des gens désespérés… Et qu’ils pourront, à leur échelle modeste, et venant de leur foi chrétienne, contribuer à préserver de l’humanité dans une guerre où celle-ci est terriblement mise à mal.

Certains s’attellent à la tâche de la reconstruction. Les bâtiments, oui, c’est le plus facile. Mais reconstruire des relations pour permettre à nouveau un vivre ensemble, voilà un autre enjeu, autrement important. Quand l’ACO a financé en pleine bataille d’Homs la réparation de la maison de retraite de l’Eglise, cela a été perçu comme un signe d’espérance dans tout le voisinage. Lorsque le pasteur Mofed a lancé le projet Hope for Homs, consistant en jeux collectifs et en sport d’équipe regroupant musulmans de tous bords et chrétiens de toutes obédiences à Homs, le succès a été immédiat : c’était une manière de renouer avec le vivre ensemble. Et là, le succès a dépassé toutes les espérances : on attendait une vingtaine d’enfants, une centaine sont venus. Et l’expérience continue !

Ne les envions pas, cette guerre est une horreur ! Mais retenons la leçon : suivre le Christ, ce n’est pas simplement trouver, au fond de son fauteuil, que oui, Jésus parlait bien et que son exemple est admirable. C’est se mettre en route. Et cela amène des ruptures, des renoncements, du chagrin, mais aussi de la joie, car suivre le Christ, c’est prendre la voie de la vie.

Personne ne sait où le Seigneur le mènera ! Ni quel renoncement lui sera demandé ! Ni quelle mission s’imposera de manière évidente à lui ! Ce que l’Evangile nous dit là, ce que nous confirment les témoignages de nos sœurs et frères au loin et au près, c’est qu’une vie dans la suivance du Christ est une vie pleine de sens.

Amen !

Pasteur Thomas WILD

Directeur de l’ACO (Action Chrétienne en Orient) :