Prédications Protestantes dans les Alpes du sud
Dimanche 26 Juillet 2020
Culte à Gap (05000)
Lectures du Jour, en communion avec les autres paroisses protestantes et catholiques
1 Rois 3, 4-15
Matthieu 13, 44-52
Romains 8, 26-30.
Présenter à Dieu nos multiples visages
Frères et sœurs, amis, qui êtes-vous ? Qui suis-je ?
Réponse facile : je m’appelle Charlotte, j’ai trente et quelques années, je suis étudiante en théologie protestante et suffragante à Gap jusqu’à tout à l’heure. Oui, mais encore ? Ne suis-je que cela ? Et est-ce que cela définit vraiment qui je suis ?
Dans le premier texte que nous avons lu, il est question d’un roi, d’un serviteur, d’un membre du peuple, d’un petit garçon et d’un fils. Tous ces termes désignent en fait un seul et même personnage, Salomon. Difficile, à partir de ce texte, d’imaginer un instantané de ce roi et poète. Ce n’est pas pour rien qu’en hébreu, le mot « visage » n’existe qu’au pluriel. Nous ne sommes jamais ce que nous paraissons être, ou du moins nous ne sommes jamais que cela.
Alors, je repose la question : qui êtes-vous ? Qui suis-je ?
Vouloir répondre en vérité à cette question nous confronte aux limites de notre langage, mais surtout de notre connaissance de nous-mêmes. Incapables de présenter tous nos visages à la fois, nous nous mettons à bredouiller. Nous voilà « faibles » et incapables de « prier comme il faut »[1], c’est-à-dire de nous présenter en vérité face à face avec Dieu mais aussi avec nos amis, parents ou inconnus qui sont quelques-uns de Ses multiples visages. L’humain est, à l’image de Dieu, multiple et complexe. Il n’est pas possible de le saisir en une photo de profil, quelques lignes de présentation sur un réseau social, ni même à une épitaphe.
Oser la rencontre
Revenons à notre texte, à Salomon se rendant à Gabaon, accompagné de 1000 bêtes destinées à être sacrifiées. Vous imaginez-vous un tel cortège ? Cette scène est très éloignée d’un tête-à-tête discret entre Salomon et son dieu. D’ailleurs, Dieu n’est pas cité dans ce premier verset relatif aux sacrifices :
Le roi se rendit à Gabaon pour y sacrifier, car c'était le principal
des hauts lieux. Salomon offrit mille holocaustes sur cet autel.
(1R 3.4)
Le texte ne nous dit pas que Salomon se serait rendu à Gabaon car il aurait espéré y rencontrer Dieu, ni car il aurait voulu Lui demander Son aide. Le roi Salomon se rend à Gabaon car c’est le principal des hauts lieux, c’est-à-dire, à cette époque qui précède la construction du temple de Jérusalem, que c’est le lieu de culte principal, un « passage obligé ». Salomon se rend à Gabaon en tant que roi, pour sacrifier à Dieu, mais surtout à ses fonctions. Et il ne ménage pas son investissement pour être à la hauteur des attentes du peuple. Il prouve sa piété, de façon spectaculaire, en faisant le sacrifice complet de 1000 bêtes, consumées par le feu sur l’autel jusqu’à la dernière cendre. Tout cela, Salomon peut le faire en n’ôtant jamais le masque du roi glorieux que son peuple attend qu’il soit, et en ne prononçant pas une seule parole.
Mais ce n’est pas dans ce moment spectaculaire que Dieu apparait à Salomon. Ce n’est pas au roi glorieux qu’il dit : « Demande ce que tu veux, je te le donnerai » (1R 3.5).
Dieu vient à notre rencontre et nous donne les mots.
Dans ce texte, c’est Dieu qui est à l’initiative de la rencontre. Il vient à la rencontre de Salomon, dont il connait tous les visages. Il s’adresse au fils qui ne sait comment être à la hauteur de l’héritage de son père. Il s’adresse au petit garçon qui subsiste dans l’adulte. Il s’adresse au roi qui fait bonne figure devant un peuple qu’il ne sait comment juger ni gouverner, deux prérogatives royales devenues les fardeaux de Salomon, sans qu’il puisse s’en ouvrir à quiconque.
À Gabaon, Salomon cependant fait « bonne figure », et sacrifie à ses obligations. C’est ce que nous faisons tous, à certains moments de notre vie, en choisissant de ne sacrifier qu’à l’une des facettes de notre existence, de n’être « que ». Qu’un père, qu’une mère, qu’un époux, qu’une épouse, qu’un ou une employée, qu’un ou une chef d’entreprise, qu’un fils de, qu’une fille de, qu’un grand-parent, qu’une « personne-comme-il-faut », à nos propres yeux ou à ceux de notre entourage. Il nous arrive même de vouloir être « comme Dieu attend que l’on soit », en allant au culte pour prier sans conviction, pour sacrifier à notre devoir de baptisé.
Mais Dieu n’est pas dupe. Dieu connait la multiplicité de nos visages, notre complexité à son image. Dieu connait nos difficultés d’être, et nos difficultés de le dire. Et lorsque nous balbutions, lorsque même nous nous taisons, c’est Lui qui vient à nous et poursuit notre discussion silencieuse.
En effet, nous ne savons pas prier comme il faut ; mais l'Esprit lui-même prie Dieu en notre faveur avec des gémissements qu'aucune parole n'est capable d'exprimer. Et Dieu, qui voit dans les cœurs, comprend ce que l'Esprit saint veut demander. (Rm 8.26-27)
Dieu nous rejoint dans nos déserts
Comme il le fait pour Salomon, je crois que Dieu nous rejoint dans nos déserts.
Quand notre voix est étouffée par le masque que nous portons, il entend ses gémissements. « Et Dieu, qui voit dans les cœurs, comprend ce que l’Esprit saint veut demander. » (Rm 8.27) Alors, pourquoi prier ?
Dans notre texte, Salomon ne prie pas, du moins pas de façon consciente. Il dort, il rêve. Salomon a ôté sa couronne, il est redevenu le petit garçon, le fils, l’humble serviteur de Dieu qu’il ne peut être dans sa vie éveillée. Dieu le sait, et il rejoint Salomon dans le lieu où il est disponible. N’est-ce pas cela, finalement, être en prière ? Être disponible à la rencontre avec Dieu, laisser tomber les masques pour être soi, entièrement soi devant Dieu ?
Dieu comprend nos silences et nos errements ! La prière ne nécessite rien d’autre que notre disponibilité. Qu’importe si nous ne savons que dire, ni que demander.
Il est à ce propos intéressant de relever la façon dont Dieu s’adresse, le premier, à Salomon : en hébreu, littéralement, Dieu ne dit pas exactement à Salomon, comme nous l’avons lu, « demande ce que tu veux, je te le donnerai » (1R 3.5). Dieu n’est pas le génie de la lampe ! Non, en hébreu, Dieu dit à Salomon, littéralement : « Demande ce que je te donnerai ». Ce que Dieu donnera à Salomon lui est, en quelque sorte, déjà acquis. Là n’est pas l’enjeu de la prière.
« Demande ce que je te donnerai » c’est l’énigme que Dieu adresse à chacune et chacun de nous dans la prière. Elle nous permet, comme à Salomon, de découvrir, petit à petit, qui nous sommes et de quoi nous avons ultimement besoin – en sachant d’avance que cela nous est accordé.
Au génie de la lampe, Salomon aurait peut-être demandé la richesse, une longue vie, la mort de ses ennemis, la gloire, etc. Toutes ces choses matérielles qu’il peut désirer en tant que roi. Mais dans le face à face avec Dieu, Salomon est invité à formuler ce dont il a ultimement besoin, pour devenir non pas un grand roi riche et glorieux devant son peuple, mais lui-même, Salomon, face à Dieu.
« Donne-moi un cœur attentif pour gouverner ton peuple, pour discerner le bon du mauvais ! » demande dans un premier temps Salomon.
« Tu y es presque ! » aurait pu lui répondre Dieu. Car si l’on fait bien attention, encore une fois, ce n’est pas tout à fait cela, la réponse à l’énigme que Dieu lui pose. Ce que Dieu donnera à Salomon ne concerne pas le peuple. Et Dieu reformule ainsi la demande de Salomon : « Tu demandes pour toi de l'intelligence afin d'être attentif à l'équité. » (1R 3.10)
Ce dont Salomon a ultimement besoin, c’est de ce don qu’il a déjà reçu, et qui lui permettra de devenir lui-même, cet être complexe et unique, « de telle sorte qu'il n'y aura jamais eu avant [lui] et qu'il ne se lèvera jamais plus après [lui] personne de semblable à [lui]. » (1R 3.12).
Frères et sœurs, amis, nous sommes invités, dans le face à face avec Dieu, à découvrir qui nous sommes. Dieu nous connait chacun par notre nom, dans notre complexité et dans notre singularité. Il nous appelle à devenir nous-mêmes, « de telle sorte qu'il n'y aura jamais eu avant [nous] et qu'il ne se lèvera jamais plus après [nous] personne de semblable à [nous], » (1R 3.12) car chacune et chacun d’entre nous est unique, et appelé à devenir l’un des innombrables visages de Dieu.
Amen !
[1] Romains 8, 26