Prédications Protestantes dans les Alpes du sud 

Dimanche 23 Juillet 2006

Arvieux (05350)

Lectures Bibliques :

I Samuel 26, 1-25

Luc 6, 27-36

Romains 12, 17-21

Aimez vos ennemis

"Je vous le dis, à vous qui m'écoutez : aimez vos ennemis..."[1]

Nous voulons bien être de ceux qui écoutent Jésus, mais là, il y va fort..!,

Cette injonction d'aimer nos ennemis n'est-elle pas une exigence insoutenable?

Un paradoxe en tous cas, car l'ennemi c'est celui qui a de la haine pour nous, et nous veut du mal. Si nous réussissons à ne pas le haïr en retour, c'est déjà beaucoup, mais nous demander de l'aimer ! N'est-ce pas une impossibilité psychologique ? Nous sommes effectivement dans l'impasse si nous entendons le verbe aimer dans son sens courant dans notre langue, qui le situe sur le registre du sentiment, de l'affectivité. Dans ce domaine, l'amour ne se commande pas ! Maïs tel n'est pas le sens de ce verbe dans la terminologie biblique, dans la plupart des cas et en tous cas chez Jésus.

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Nous pensons souvent, à juste titre, qu'il est bon d'interpréter l'Ancien Testament à la lumière du Nouveau. Mais la réciproque est vraie aussi, et la référence au récit que nous avons lu dans le livre de Samuel peut nous aider à bien comprendre le commandement évangélique. L'épisode de David épargnant Saül illustre pleinement ce à quoi doit penser Jésus quand il nous dit : "aimez vos ennemis".

Reprenons l’essentiel :

Saül, le premier roi d'Israël, se comporte depuis longtemps en ennemi du jeune David, son gendre, dont il est jaloux et qu'il craint de le voir un jour l’évincer. A deux reprises, il a tenté de le tuer en le clouant au mur avec sa lance ! Maintenant, David est en fuite et Saül le poursuit pour l'arrêter et le faire périr. L'attitude de David en ces circonstances dramatiques a tellement impressionné les contemporains que la tradition a véhiculé deux récits parallèles ou l'on voit David tenir en ses mains la vie de son ennemi acharné, et l'épargner de façon magnanime.

David a une occasion inespérée de se venger, de rendre à Saül le mal que celui-ci ne cesse de vouloir lui faire. Cette lance avec laquelle Saül a failli le tuer, elle est là, plantée en terre à côté du dormeur royal, et Abichaï, le complice de David dans cette équipée nocturne, propose de l'utiliser pour clouer au sol l'ennemi de son maître. David le lui interdit, car il ne faut pas attenter à la vie du roi que le Seigneur a choisi.

Etonnante victoire sur la tentation de la vengeance, conduite exemplaire de celui qui triomphe des pulsions de haine et rend le bien pour le mal. Est-ce à dire que David s'est mis à "aimer" Saül, au sens de le trouver aimable, agréable à fréquenter, d'avoir pour lui les sentiments de profonde affection qu'il éprouve pour son ami Jonathan ? Loin de là !

Le dialogue émouvant qui achève l'épisode est très significatif: David, avant d'interpeller le roi, a pris soin de mettre une bonne distance entre eux, une vallée les sépare. David alors ne se gêne pas pour rappeler ses torts à celui qui le persécute sans raisons, et lui exprimer son indignation. Il semble l'amener à se repentir: " Je suis coupable ! Reviens, David mon fils, je ne te ferai plus de mal, puisque cette nuit tu as respecté ma vie. Je me suis conduit comme un insensé, je me suis lourdement trompé".

Mais David n'est pas un naïf, à plusieurs reprises dans le passé, il a expérimenté à ses dépens les sautes d'humeur du roi . Prudent, après cette déclaration de Saül, il ne court pas tomber dans ses bras pour une réconciliation sentimentale ! Saül reste en un sens l'ennemi "objectif" dont David se méfie, mais un ennemi dont il déclare que la vie a eu un grand prix pour lui, ce qu’il a montré par un acte extraordinaire de générosité. Après quoi, leurs routes se séparent définitivement.

Il ne s'agit pas davantage de relations affectives dans l'ordre que Jésus donne à ceux qui l'écoutent. "Aimez vos ennemis" se décline en un comportement positif: "faites du bien à ceux qui vous haïssent" ou dans une attitude spirituelle de bienveillance: "Bénissez ceux qui vous maudissent et priez pour ceux qui vous persécutent". Il s'agit de rendre le bien pour le mal, en actes; il est frappant de voir sans cesse revenir dans ce passage de l'Evangile l'expression "faire du bien": "Si vous faites du bien seulement à ceux qui vous font du bien, pourquoi vous attendre à une récompense particulière ?" "Aimez vos ennemis, faites-leur du bien et prêtez sans espérer recevoir en retour" (l'amour sentiment, lui, espère la réciprocité...). Donc Aimer son ennemi, c'est respecter sa vie et faire son possible pour le tirer d'un danger ou l'aider à mieux vivre. Déjà, dans le livre des Proverbes, que Jésus connaissait, cet amour de l'ennemi qui se manifeste concrètement était prôné :

« Si ton ennemi a faim, donne-lui à manger ; s'il a soif, donne-lui à boire; en agissant ainsi, tu le mettras mal à l'aise, comme s'il avait des charbons brûlants sur sa tête ».

Vous avez entendu que Paul a repris ce texte comme exprimant bien l'extraordinaire de la morale évangélique, dans ce ch.12 de l'épître aux Romains où l'on entend comme l’écho du sermon sur la Montagne.

Dans le récit du livre de Samuel, nous avons entendu David expliquer sa motivation : s'il a épargné Saül, c'est parce qu'il respectait en lui "Celui que Dieu a consacré. » Sa vie avait quelque chose de sacré à ses yeux. Cela sous-entend que lorsqu'il s'agissait de combattre les Philistins, David n'avait pas de scrupule à frapper à mort ses ennemis. Son exemple n'est pas exhaustif en tous points. Mais son respect de l’oint de Dieu, l’Evangile l’élargit à tous.

Pour nous, à la suite de Jésus, nous croyons que toute personne humaine a droit au respect de sa vie, en tant que créature que Dieu a fait à son image. Toute vie humaine est précieuse aux yeux de Dieu, pour ne pas dire "sacrée", terme trop ambigu. La motivation foncière d'un comportement évangélique, plus profondément que celle de David, Jésus l'exprime à la fin de notre texte: « en agissent comme je vous le demande, vous serez les fils du Dieu très-haut, car il est bon pour les ingrats et les méchants. Soyez miséricordieux, comme votre Père est miséricordieux » (dans le verset parallèle, Matthieu a écrit : « soyez parfaits, comme votre Père est parfait » : cette idée d’imiter la perfection divine peut nous laisser perplexes ! Luc, dans l'esprit de toute la révélation biblique, nous précise que/la perfection de Dieu, c'est sa miséricorde, sa bonté sans discrimination. Matthieu ne l’ignore pas, lui qui rappelle cette autre parole: « le Père qui est dans les cieux fait lever son soleil aussi bien sur les méchants que sur les bons, et fait pleuvoir sur ceux qui agissent bien comme sur ceux qui agissent mal"[2]. C'est l'engagement du Dieu créateur depuis le déluge, de renoncer à détruire la terre même si les hommes continuent à la remplir de violence. N'oublions pas à quel point Dieu est bon pour nous, alors que nous sommes si souvent des ingrats, sinon des méchants !

Mais l'évangile nous entraine plus loin que ce premier constat de la bonté du créateur. La miséricorde de Dieu s'est incarnée en son Fils, et spécialement révélée sur la croix. L'amour des ennemis, Jésus le vit intensément lorsqu'il prie pour ceux qui le rejettent: «Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu'ils font[3] ». Lui qui avait lancé de si violentes invectives contre les scribes et les pharisiens hypocrites, n'imaginons pas que tout à coup il les trouve sympathiques et éprouve pour eux de la tendresse, au moment où ils sont allés jusqu'au bout de leur haine à son égard. Ils sont indéniablement ses ennemis. Il les aime en renonçant à tout esprit de vengeance, en priant pour qu'ils reconnaissent leur erreur funeste.

A sa suite, à commencer par Etienne, beaucoup de martyrs chrétiens ont prié pour ceux qui les persécutaient.

C'est bien parce que nous vivons de cette miséricorde que nous pouvons essayer d'accomplir des gestes qui témoignent du même respect d'autrui, quel qu'il soit, de manifester de la solidarité active sans nous soucier si celui qui est en face de nous, nous est sympathique ou antipathique, et risque fort d'être un ingrat !

Chacun de nous, dans ses relations personnelles, rencontre des gens qui se comportent avec méchanceté ou ingratitude, ou simple indifférence. Ne manquons pas les occasions de leur témoigner en actes une vraie sollicitude, avec pour seule et merveilleuse récompense de nous sentir ainsi frères de Jésus-Christ, les enfants du Père.

Je vous propose une dernière réflexion :

* Une éthique de l'amour des ennemis ainsi comprise ne serait-elle valable que pour nos comportements individuels et à titre de témoignages, ou pour l’Eglise lorsqu’elle est persécutée ? Je ne le pense pas. Loin d'être une utopie, elle est sans doute le seul chemin qui permette à l'humanité de surmonter ses conflits mortels. Bien sûr, ce serait une utopie naïve d'espérer que ceux qui se combattent avec une haine farouche puissent par quelque coup de baguette magique voir cette haine se transformer en chaleureuse affection du jour au lendemain ! Mais arrêter unilatéralement la violence, tendre la main à l'ennemi en lui disant : essayons d'accepter l'existence de l'autre et de chercher les conditions d'une coexistence pacifique : il y a eu dans l'histoire des exemples d'un tel courage politique, et il s'avère payant ! Devant les situations actuelles qui nous paraissent sans issue (je pense au conflit israélo- palestinien dans sa phase actuelle si inquiétante, mais il y en a d'autres), il nous faut repousser la tentation du pessimisme absolu, et prier avec persévérance pour que les responsables aient ce courage, et osent engager leurs peuples sur la voie de la réconciliation possible, dans le respect dû à l'adversaire.

N’oublions jamais que cette Intercession pour le monde, que Dieu aime, est un élément essentiel du culte de l’Eglise.

Amen !


Charles L’Eplattenier

[1] Luc 6, 27

[2] Matthieu 5,45

[3] Luc 23, 34