Prédications Protestantes dans les Alpes du sud 

DIMANCHE 02 novembre 2014

Culte à Trescléoux-05700

De la Loi à l’Action de Grâce

Matthieu, que nous continuons d’étudier, poursuit après plusieurs paraboles dans les chapitres précédents, ses règlements de compte avec les pharisiens[1], en regroupant ici tous les arguments que Jésus emploie dans sa polémique contre la Synagogue de son temps.

Mais il ne faut pas nous laisser abuser par ce caractère polémique qui masque un débat théologique profond, au cœur de l’obsession des pharisiens à « coincer » Jésus sur la question centrale pour eux, sa position vis à vis de la Loi :

D’où leur obstination à démontrer qu’il veut l’abolir, ce qui leur aurait permis de le condamner pour des raisons religieuses, alors que Lui, annonce qu’il est venu l’accomplir, pour nous faire passer du temps de la Loi au temps de la Grâce.

Si Matthieu nous montre les pharisiens comme les méchants de l’histoire, il n’en a pas toujours été ainsi car :

Le pharisaïsme est né lorsque toute la région était sous l’influence hellénique, après l’épopée d’Alexandre le Grand et le règne de la dynastie des Ptolémée. La philosophie grecque (et la langue) régnait en maitre sur tout le proche orient, les juifs se compromettaient religieusement et politiquement avec l’occupant et se forma au sein des communautés juives, en particulier de la diaspora, un noyau de résistance, revendiquant sa fidélité à YHWH, réactivant tous les préceptes de la Torah. C’est d’eux dont parlent les petits prophètes des derniers livres de l’A.T. dans les oracles de Sophonie, Malachie : Le petit troupeau, pour qui se lèvera le soleil de Justice.

C’est grâce à eux que le peuple juif a gardé son identité alors qu’il risquait une dilution mortelle au sein des cultures et des grandes nations environnantes.

Mais, ils sont tombés dans le piège du piétisme. Les rites, les traditions, les préceptes vestimentaires, les interdits alimentaires qu’ils respectaient, comme moyen d’expression de leur foi et comme marqueurs de leur identité, ont fini par perdre leur sens originel et sont devenus la fin en eux-mêmes, un outil de jugement de la piété de l’un ou de l’autre, un outil de discrimination entre purs et impurs, illustré par cette prière du pharisien « Mon Dieu, je te rends grâces de ce que je ne suis pas comme le reste des hommes, qui sont rapaces, injustes, adultères, ou bien encore comme ce publicain » (Luc 18,11)

Ainsi s’est élaborée une théologie de la rétribution, dans laquelle ils étaient leur propre sauveur, s’auto-justifiant eux-mêmes : Mes péchés d’hier me seront pardonnés si je suis irréprochable demain, d’où les célébrations comme celle du Yom Kippour.

Cherchant sans cesse à s’élever, montant en tige, ils ne pouvaient plus voir ceux qui restaient en bas, oubliant au passage ce commandement du Lévitique (18,13) « C’est ainsi que tu aimeras ton prochain comme toi-même, c’est moi le Seigneur ».

L‘amour : sans l’amour, la Loi ne devient plus qu’une sorte de code civil, un minimum syndical pour vivre ensemble. (Vous remarquerez que sur les 10 commandements, 7 commencent par « tu ne », rédigés sous forme d’interdit).

Et lorsque Jésus leur rappelle (Matt.22, 36) la complémentarité et la suprématie de ces 2 commandements, que l’on ne peut dissocier, que peuvent-ils lui reprocher ? Ce n’est pas sur ce terrain-là qu’ils pourront le piéger. C’est au contraire Lui qui leur reproche d’avoir oublié le second et c’est pourquoi il leur dit que « les prostituées et les publicains seront avant vous au royaume du Père ».

Car la Loi étant d’essence divine le peuple hébreu aurait du comprendre que son observance intégrale était hors de portée de l’être humain, et que c’est seulement en acceptant cette idée et en se plaçant sous la dépendance bienveillante de Dieu, en pratiquant l’amour les uns pour les autres, au nom du Seigneur, que la Loi pouvait devenir une source de bénédiction et non le juge implacable et froid que les pharisiens en ont fait.

C’est alors que Jésus, tout en affirmant la continuité de la Loi, enseigne que la fidélité à Dieu impose un dépassement du rapport traditionnel à la Loi. Il n’y a pas d’accomplissement de la Loi sans ce dépassement : C’est la répétition des « Vous avez appris que, mais moi je vous dis que » (Matt.5). À la fin de cette série Jésus conclut en disant : « Soyez parfaits comme votre Père du ciel est parfait » (Matt.5/48)

Or le seul qui peut être parfait comme le Père c’est Lui, Jésus.

Jésus fonde la nouveauté évangélique sur cette relation filiale avec Dieu et, en corollaire, sur un rapport fraternel entre les humains.

La seule façon pour nous d’accéder à cette relation, est de laisser Jésus entrer en nous, pour devenir à notre tour fils/fille de...

Avec Jésus, nous passons du « tu aimeras ton prochain comme toi-même » au « aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés », voilà l’accomplissement de la Loi.

En reconnaissant notre incapacité à atteindre seuls cette perfection divine, parce que nous ne sommes tous que des hommes et des femmes ordinaires, cet acte d’humilité, de repentance sera le fondateur d’une vie nouvelle illuminée par la proximité bienveillante du Père et la présence du Fils à nos côtés (Matt.28/20). C’est cela que l’on nomme la grâce.

Et dès lors, nous ne sommes plus des justes, comme se l’imaginent les pharisiens, mais des justifiés, par notre foi en cette grâce, cette « faveur imméritée ».

La Grâce de Dieu ne nous est pas octroyée parce que nous sommes méritants, ce ne serait plus une grâce, ce serait un mérite. Elle ne nous est pas offerte parce que nous en sommes dignes, ce ne serait plus la grâce, ce serait un dû. La Grâce passe à côté de ceux qui s’en jugent dignes pour atteindre ceux qui s’en estiment indignes, selon le verset de Matthieu 23/12.

La grâce est un don, gratuit, sans contrepartie, sans rien à faire sinon exprimer notre reconnaissance.

La Grâce de Dieu ne nous est pas octroyée parce que nous sommes méritants, ce ne serait plus une grâce, ce serait un mérite. Elle ne nous est pas offerte parce que nous en sommes dignes, ce ne serait plus la grâce, ce serait un dû. La Grâce passe à côté de ceux qui s’en jugent dignes pour atteindre ceux qui s’en estiment indignes, selon le verset de Matthieu 23/12.

La grâce est un don, gratuit, sans contrepartie, sans rien à faire sinon exprimer notre reconnaissance.

Et c’est là que la lecture de la lettre de Paul vient en écho à ce qui précède :

Cette lettre est le plus ancien des écrits du Nouveau Testament. Expulsé de Philippes, Paul arrive à Thessalonique en l'an 50. Il fonde à Thessalonique une église qu'il est obligé de quitter pour échapper à une arrestation. L’Église de Thessalonique tient bon, seule, dans la foi malgré les difficultés. Elle a pris le relais dans l'annonce de l'Évangile. C'est tout à la joie de ces nouvelles que Paul adresse à la jeune communauté chrétienne cette première épître dominée par l'action de grâce envers le Seigneur qui a laissé son Esprit agir de sorte que, à partir de Thessalonique, l'Évangile se répande.

Imaginez un instant ces communautés qui se réunissaient dans les synagogues, avec les problèmes de coexistence que cela devait poser, n’avaient aucun support, aucun repère, autre que la prédication des apôtres qui passaient de temps en temps, et leur propre foi. Cette lettre est la première marche du nouveau testament, et ce qu’écrit Paul prend tout son relief :

« C'est pourquoi nous rendons continuellement grâces à Dieu de ce que vous avez reçu la parole de Dieu, qui agit en vous, qui croyez »


Rendre grâces, mais de quoi, au juste,

De la foi qui nous a été donnée, cette volonté de vivre et ce courage d’être, de l’amour qui nous fait regarder l’Autre comme un frère, de l’espérance, qui nous fait regarder chaque fois plus loin, relever la tête dans l’adversité, reprendre la route, malgré tout : 3 thèmes : Foi-Amour-Espérance, présents tout au long de cette épître.

Les occasions de rendre grâce sont multiples et nombreuses. Si nous rendons grâce surtout par notre prière, notre vie elle-même peut être une action de grâces, et je me souviens aussi, lorsqu’avant chaque repas nous disions ce que nous appelions « les grâces », avec le verset 1 du Psaume 103.


Et puis, je voudrais vous rappeler cette histoire : les «Pères Pèlerins », calvinistes persécutés par les anglicans, fondateurs des États-Unis qui accostèrent à Plymouth en 1620, décrétèrent trois jours d’actions de grâces après la première récolte engrangée sur cette nouvelle Terre Promise. C’est aujourd’hui encore un jour de fête nationale, le « Thanksgiving Day », le « jour d’action de grâces».

Enfin, nous rendons grâces dans notre liturgie, ce matin en particulier, car la reconnaissance, l’action de grâces, c’est l’eucharistie en grec.


Ce mot n’est pas très en vogue chez les réformés qui trouvent qu’il «fait catholique», même si on le rencontre parfois chez Zwingli et Calvin.


Et pourtant, il correspond à la première appellation donnée à la cène dans la tradition grecque; au 1° siècle, par la génération qui suivit les apôtres. Ce mot rappelle qu’avant de célébrer la Cène, Jésus a rendu grâces (1 Co 11,24).


On a donc raison de placer la cène sous le signe fidèle d’une action de grâces et non pas d’un sacrifice. Et puisque la Réforme est dominée par la réalité de la grâce, le mot eucharistie convient, paradoxalement, bien mieux à l’esprit du protestantisme qu’à celui du catholicisme !


Mais n’est-ce pas plutôt le culte tout entier qui est eucharistie, puisqu’il est avant tout un chant de louange et de reconnaissance, une action de grâces englobant les 5 soli de Luther : « Les écritures seules, la foi seule, Christ seul, la grâce seule, et surtout, à Dieu seul la gloire. »


Amen !


François PUJOL

[1] Matthieu (Lévi avant sa rencontre avec Jésus) était lui-même collecteur d ‘impôts (publicain), trahison aux yeux des pharisiens, et membre de la tribu de Lévi, en charge du sacerdoce du Temple, représentée par les sadducéens, alors que les pharisiens étaient les « juifs des synagogues ».’