Prédications Protestantes dans les Alpes du sud 

Ce texte est la transcription d’une prédication prononcée par Charles LAVAUD (1881-1945), originaire de Trescléoux, durant son ministère pastoral (1906-1940), successivement à Alès, St Laurent du pape, Montélimar. Charles LAVAUD fut membre de la Brigade de la Drôme, avec Jean Cadier.

Saint Laurent 19 octobre 1919

(Version 1)

Lectures :

Ésaïe 65-17-25

Luc 19 - 11-28

Chants

Ps - 25-1

C. 97-1-5

C. 163-1-2

" Vous êtes le sel de la terre, mais si le sel perd sa saveur avec quoi la lui rendra-t-on ?

Il ne sert plus qu'à être jeté dehors et être foulé aux pieds des hommes."

Math.5 v. 13-16

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Chacune de ses comparaisons que Jésus emploie pour toucher le cœur de ses auditeurs, est comme un écrin rempli de richesses, renfermant de véritables joyaux faits pour le bonheur de l'âme ; il suffit de l'ouvrir pour qu’aussitôt apparaisse aux yeux des humains des merveilles de grâce ou de vérité, des trésors d'amour. Soulevez le couvercle qui nous cache de profondes leçons contenues dans les paroles que nous avons choisies pour texte et vous verrez une fois de plus se vérifier cette assertion. Jésus-Christ parle du sel, cet élément nécessaire pour relever la saveur des aliments. Quoi de plus naturel que cette image ? De plus commun, de plus connu, de plus compréhensible. Le sel, chacun connaît son usage, peut énumérer ses qualités ; et cette comparaison si vulgaire, précisément parce que tous sont aptes à la saisir, devient une mine riche en enseignements religieux et divins ; une mine tellement riche qu'aujourd'hui encore nous pouvons y puiser abondamment.

Le sel, disons-nous, est un aliment nécessaire pour relever le goût des aliments. Une préparation culinaire

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où le sel ferait défaut perdrait toute saveur, toute valeur. Le sel par contre, lui fait acquérir ou met en évidence toutes les qualités particulières qui la font apprécier et les rend excellentes. Tel est le chrétien dans l'humanité. Une humanité où ne s'exercerait pas l'action chrétienne verrait s'annihiler en elle les qualités qu'elle possède comme en secret ; elle serait incapable de faire valoir les dons précieux qu'elle recèle ; elle perdrait toute saveur, toute valeur ; un monde au contraire où le christianisme devient supérieur. Est-il nécessaire de vous en donner la preuve à vous, chrétiens ? N'êtes-vous pas, par avance assurés que la vie chrétienne est l'élément indispensable qui donne au monde sa raison d'être et fournit à chaque individu son plus puissant motif de vivre ? Sans doute. Et pourtant je vous donnerai cette preuve, car elle ne doit pas exalter votre orgueil et encenser vos mérites - cela serait indigne et de votre attention et de mon ministère - elle servira uniquement à vous convaincre de la nécessité du rôle que, vous chrétiens, vous avez à jouer dans le monde, elle vous rappellera le devoir que vous devez remplir dans la société contemporaine, car en ce jour spécialement où vous êtes appelés à montrer par vos dons, par vos largesses, par vos libéralités, la valeur, et la vérité, la profondeur de vos convictions religieuses, ne l'oubliez-pas, cette démonstration, qui est un titre d'honneur, se trouve immédiatement suivie dans la bouche même de Jésus d'un avertissement, d'un appel à votre responsabilité, elle vous redira tout l'honneur qui est attaché à ce titre de chrétien et toute la responsabilité qui s'ensuit, si le sel perd sa saveur avec quoi la lui rendra-t-on ? Il ne reste plus qu'à être jeté dehors et foulé aux pieds par les hommes."

                Considérez donc quelle est l'action du christianisme dans le monde. Ne parlons que pour mémoire des évangélistes dont les récits nous ont fait connaître le Christ authentique, vivant, agissant, faisant le bien, se donnant, souffrant, mourant par amour pour les hommes ; ne faisons que rappeler le nom d'un St Jean dont l’âme pleine de douceur a jeté sur l'humanité comme un reflet d'amour dont elle est

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encore éclairée, bornons nous à citer un St Paul dont la logique hardie et Sainte subjugua le monde païen et l'emmena captif au pied de la croix ; laissons enfin reposer en silence tous ces nobles représentants de notre race, ces élus de Dieu, ces confidents du Christ qui maintenant se reposent de leurs travaux tandis que leurs œuvres les ont suivis. Jetant un regard d'envie sur leurs cendres refroidies nous dirons seulement : "Ils ont été le sel de la terre."

            Et venons-en aux temps nouveaux, nous verrons de plus près ce que peut être le sel chrétien sur la terre habitées par les hommes. Nous remarquons tout d'abord que les sociétés où le christianisme est en honneur sont à la tête des nations. Que sont-elles devenues ces antiques civilisations qui ont refusé au Christ le droit de leur infuser un sang nouveau ? Disparues, épuisées, mortes à tout jamais. Vivaces et prospères, productrices de génies et de chefs d'œuvre, tant qu'elles demeuraient servantes des desseins du Dieu Éternel pour préparer l'apparition du Sauveur, elles sont allées de déclins en déclins du jour où refusant de s'associer à cette œuvre elles travaillèrent, par leur corruption et le débordement de leurs mœurs à son anéantissement. C'en fut fait alors de leur puissance, de leur domination, de leur gloire, de leur bonheur.

                    Mais alors la vie fut communiquée à ces populations à demi sauvages de notre Europe occidentale. Latins et Germains furent christianisés et à mesure que le Christ étendait sa domination sur ces peuples la vie se développait et plus grande était leur

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fidélité à la foi chrétienne plus grand en même temps était le succès de leurs entreprises. Ils allaient de progrès en progrès, perfectionnant leurs découvertes, raffinant leur intelligence, élevant sans cesse leur degré de culture, se constituant en sociétés solidement assises sur des bases chrétiennes qu'ils avaient adoptées. Voyez aujourd'hui quels peuples s'accroissent, grandissent, Ce sont précisément ceux dont la vie est inspirée de l'idéal chrétien : Allemagne, Angleterre, États-Unis. Voyez encore quels peuples barbares et sauvages autrefois prennent aujourd'hui conscience de leur dignité et de leur valeur ; ce sont ceux qui se soumettent à l'influence chrétienne : témoin le peuple Bassouto au sud de l'Afrique. Voyez enfin notre France elle-même qui prétend s'élever en se déchristianisant. Savez-vous le jour où elle fut la plus grande ? Vous le savez. Ce fut le jour où dans un magnifique élan de la nation entière décrétant que tous les hommes étaient frères acclama "la déclaration des droits de l'homme", elle en vit encore et n'en mourra que le jour où ces glorieux principes ne seront plus que des phrases et des mots. Or cette déclaration est exactement copiée d'une déclaration américaine, directement issue elle-même des principes religieux et chrétiens que les puritains émigrés dans ce pays avaient apportés et qu'ils avaient puisés dans la Bible. Tant il est vrai que même pour ceux qui le dédaignent, le christianisme demeure le sel de la terre.

         Le sel de la terre socialement, il l'est aussi moralement. Ce qui fait la valeur d'une vie humaine, c'est la beauté, c'est la pureté de la conscience. Sans doute de tous temps et de nos jours plus que jamais pour être honoré, encensé, adulé, il suffit d'avoir du succès quelle que soit l'origine de ce succès ; il n'en demeure pas moins que l'on s'incline toujours avec respect devant une conscience droite ; il n'en demeure pas (moins) que toute vie sociale

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serait impossible si à la base il n'y avait pas une vie morale, s'il n'y avait pas à la base quelques hommes, quelques personnalités qui, par leur valeur morale propre, imposent aux autres une règle de conduite. Oui, soyez fiers, vous que le monde semble ignorer ou ne connaît que pour mépriser votre naïveté. C'est vous, n'en doutez pas, qui soutenez l'édifice tout entier, vous êtes la pierre angulaire sans laquelle tout croulerait, vous êtes le fondement solide qui le retient encore et l'empêche de tomber en ruine. Vous entendrez dire, il est vrai, que la morale est indépendante de la religion, on essayera de vous démontrer que la morale est une science qui n'a rien à faire avec les théories nuageuses ou les mystères de la divinité ; que l'on peut être honnête sans être religieux. Ne vous laissez pas surprendre ; car ceux-là mêmes qui parlent ainsi sont obligés de convenir que nulle morale humaine ne surpasse et ne vaut la morale chrétienne. Ils doivent reconnaître que là où la sève chrétienne n'a pas circulé, la conscience humaine toute seule n'a pu reproduire les fruits merveilleux que nous admirons tous ; ils reconnaissent ainsi à part eux que le Christ et les disciples conséquents vivent la vie la plus belle, la plus pure, la plus Sainte qu'ils aient jamais contemplée. Vous êtes le sel de la terre.

Nous ne pouvons continuer à l'infini l'énumération des bienfaits du christianisme. Nous ajouterons cependant que vous êtes le sel de la terre en donnant au monde la joie. Or un monde sans joie, une vie sans joie, seraient indignes de l'affection des hommes. Ce n'est point à dire que hors du christianisme il n'y ait pas de joies. Au contraire il y en a des joies abondantes et bruyantes. Vous les connaissez ; elles vous sont offertes sans marchandage. En avez-vous épuisé quelques-unes, de nouvelles se présentent ; elles viennent d'une source qui semble intarissable. Et pourtant, si vous avez trempé vos lèvres dans cette source, vous avez connu la vérité du mot de Jésus : "Celui qui boit de cette eau aura

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encore soif." À peine un désir est-il satisfait, qu'aussitôt un autre désir naît, grandit, torture, désespère et jamais n'assure la pleine satisfaction du coeur. "Celui qui boira de cette eau aura encore soif, mais celui qui boira de l'eau que je lui donnerai n'aura plus jamais soif." C'est surtout aux heures d'angoisse et de détresse que l'on vérifie la réalité de cette promesse, c'est alors que les joies frelatées ou malsaines manifestent leur impuissance. C'est alors que les consolations humaines apparaissent vides et creuses. Il y a peu de jours, un incrédule disait franchement à un chrétienne qui lui demandait compte de son espérance : "Nous avons une espérance désespérante." Telle n'est point l'espérance chrétienne. À quelque moment de la vie que ce soit elle est lumineuse, joyeuse, glorieuse. Elle illumine tout d'une clarté souveraine, céleste, vraiment divine. Elle soutient le pauvre et lui donne une richesse incorruptible ; elle soulage le malade et anime son âme d'une vigueur renouvelée qui lui permet de s'envoler vers des hauteurs plus sereines de l'amour divin ; elle sourit au mourant et lui fait contempler le céleste rivage où bientôt il abordera ; elle demeure avec l'affligé et murmure à son oreille des mots pleins de douceur et soulage ses larmes, elle fait briller son regard d'une flamme purifiée, sanctifiée, divinisée. L'espérance chrétienne c'est la joie actuelle que rien ne trouble, c'est la joie attendue dans la foi que rien n'ébranle ; c'est la force souveraine qui assure à notre pauvre vie terrestre une victoire prochaine, un triomphe définitif. "Vous êtes le sel de la terre."

                  Réjouissez-vous donc, m. fr. chrétiens, vous êtes le sel de la terre, c'est à dire, sans vous, ce qu'il y a de beau et de bon sur la terre n'existerait pas . Toutes les forces secrètes, tous

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les germes divins déposés dans le sein de l'humanité demeureraient cachés, stériles, improductifs. L'honneur est donc pour vous qui croyez." "Vous êtes la race élue, le sacerdoce royal, la nation sainte, le peuple acquis." L'honneur est pour vous, oui, mais aussi la responsabilité. C'est sur vos épaules que le monde repose. Prenez garde de faillir à votre mission, de manquer à votre tâche. Pour reprendre l'image employée par Jésus nous disons : "prenez garde de perdre votre saveur."

TT - Je ne sais pas si le sel naturel peut perdre sa saveur. Ce que je sais, c'est que le sel chrétien peut perdre la sienne. Il est inutile de s'attarder à le démontrer. Aussi bien que moi, vous savez tous, pour ne parler que de ce qui nous concerne immédiatement, combien petite et pauvre est l'action chrétienne dans notre milieu. Notre grain de sel a été, semble-t-il, jeté dans une immense étendue d'eau où il est entré en dissolution, où il est en train de perdre sa saveur. C'est à le conserver que nous devons travailler, et peut-être alors, sous l'action de grand soleil divin, verrons-nous toute la masse liquide et dissolvante dans laquelle nous sommes perdus peu à peu s'évaporer, se dessécher et retrouverons-nous toute notre saveur, une saveur suffisante pour nous permettre encore de rendre à la terre ses qualités les plus précieuses. Comment conserverons-nous donc toute notre saveur ? Tout d'abord en gardant la foi, une foi basée sur les grands faits chrétiens et l'enseignement apostolique. L'ancien insensé, dont parlait le psalmiste, disait : "Il n'y a point de Dieu." Sous prétexte de progrès, n'allez pas répéter cette formule qui n'a pour elle ni la nouveauté ni le bon sens. Mettez-vous à l'abri de cette incrédulité qui s'empare de l'esprit et mine adroitement les bases de la religion.

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Mettez-vous aussi à l'abri de cette incrédulité plus subtile qui fait dire non pas : "Il n'y a point de Dieu" mais "Il n'y a point de Sauveur" Cela répond si bien au cœur naturel de l'homme. Voir en soi un être imparfait mais non radicalement mauvais, en Jésus-Christ un modèle, mais non le Fils de Dieu immolé pour nos péchés, dans l'enseignement biblique des formules passagères d'une vérité insaisissable mais non l'expression authentique et définitive de la vérité révélée est assurément plus facile, correspond mieux aux désirs de notre âme aveuglée par le péché, que l'acceptation réfléchie mais fidèle de la Parole de Dieu. Mais croyez-vous donc qu'en abandonnant ainsi les articles les plus caractéristiques de votre foi, en nous mettant à la mesure des gens de notre siècle nous aurons une action puissante et bienfaisante ? Non, non. " Nous ne nous laisserons pas prendre aux prétendues avances que l'on nous fait " déclarait naguère un incrédule en parlant d'un mouvement religieux qui prétend avoir l'avenir pour lui. Souvenez-vous de ce mot et gardez toute votre foi, toute votre saveur chrétienne évangélique. C'est en étant vous-mêmes, distincts, des autres, que vous forcez le respect et communiquez aux autres votre propre saveur.

         Gardez la foi, mais gardez aussi le contact permanent avec Jésus-Christ. Ce qui fit la force des premiers chrétiens, ce qui leur permit de continuer les œuvres du Christ et d'en faire même de plus grandes, ce qui au cours des âges donna à tous les disciples courage et succès c'est que chacun d'eux pouvait dire ce que St Paul exprimait ainsi : "Ce n'est plus moi qui vis, c'est Christ qui vit en moi." Ce que Luther rendait ainsi :" Si l'on me demandait : qui donc vit là-dedans, je répondrais : ce n'est plus Martin Luther, c'est le Seigneur Jésus."

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Vous aussi, établissez une communication perpétuelle entre Jésus-Christ et vous. Peu efficace, peu productive, peu savoureuse serait votre foi s'il lui manquait d'être sans cesse réchauffée, ranimée, vivifiée sans la présence en vous du Prince de la Vie. Quel dommage si vous aviez l'impression qu'il faut être exceptionnellement doué pour faire de grandes choses ou seulement de bonnes choses. Non, il suffit d'avoir en soi la puissance divine que le Christ communique aux siens. On est alors transformé, les forces naturelles sont décuplées. John Bost, ce grand chrétien dont l'œuvre fait l'admiration du monde, avouait que s'il avait quelque qualité, 1000 autres personnes les possédaient au moins autant que lui et il s'en consolait en disant plaisamment que même au sujet d'un âne il fut dit une fois : " Le seigneur en a besoin." Oui, ce qui met en valeur les dons naturels, ce qui leur donne une saveur particulière, c'est le contact permanent avec Jésus-Christ. C'est pourquoi priez sans cesse ; soyez sans cesse inspirés, animés de son esprit.

                    Et enfin, dépensez-vous au dehors. La Parole de Dieu ne dit-elle pas : "Vous avez été créés en Jésus-Christ pour de bonnes œuvres" et aussi encore " Portez des fruits en toutes sortes de bonnes œuvres." Il y a sur la terre des êtres que l'on qualifie d'inutiles et je ne connais pas de situation plus triste que celle-là. Inutile, c'est traverser la vie au milieu de la plus grande indifférence, c'est ne provoquer aucune affection, aucun espoir, aucune joie ; c'est être à charge à soi-même et aux autres. Un chrétien inutile perd par là-même la qualité de Chrétien ; toute action sur ceux qui l'approchent. Celui qui travaille au contraire provoque parfois, toujours même une opposition, mais toujours aussi il exerce une action purificatrice, sanctifiante, il rayonne, il éclaire, et lui-même dans cette action s'encourage, de fortifie, s'exalte.

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Le sel chrétien à l'œuvre ne perd point sa saveur ; il ne mérite point d'être jeté dehors ni foulé aux pieds par les hommes. Chrétiens, m. fr. qui vous réjouissez de savoir que vous êtes le sel de la terre, ce qu'il y a (de) mieux dans le monde, de plus exaltant sur la terre : croyez, priez, travaillez. Ne considérez pas votre petit nombre. Il suffit de peu de sel pour donner du goût à une grande masse d'aliments : il suffit de quelques vrais chrétiens pour relever toute une société, tout un monde. S'en trouve-t-il qui prendront au sérieux l'ordre du Maître : " Alors ils verront notre Église, notre ville, notre pays régénérés sous leur action."