Prédications Protestantes dans les Alpes du sud
Ce texte est la transcription d’une prédication prononcée par Charles LAVAUD (1881-1945), originaire de Trescléoux, durant son ministère pastoral (1906-1940), successivement à Alès, St Laurent du pape, Montélimar. Charles LAVAUD fut membre de la Brigade de la Drôme (1922-1938), avec Jean Cadier.
Saint Laurent 25 mai 1919
Montélimar 2 septembre 1928
Lectures :
Genèse 45,25 à 46,7
Luc 15, 11 à 24
Chants
C. 128/1-6 128/5
C. 135/1-4-5 136/2-5
C. 233/1-3-4 235, 2-4
"Mon fils était mort et il est revenu à la vie" (Luc XV -24)
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F°1
Quelle joie ! Quelle joie celle du père qui, retrouvant son fils, le présente aux gens de la maison et s'écrie "Mon fils que voici était mort et il est revenu à la vie." Nous tous qui, chacun à notre heure, pleurons des êtres chers à jamais disparus, nous comprenons l'allégresse traduite par cette exclamation : "Non plus mort mais vivant" nous la comprenons d'autant mieux que jamais hélas l'occasion nous fut donnée de la connaître : nos morts à nous ne reviennent pas !
Mais ce n'est pas de mort ou de vie physique qu'il s'agit dans la bouche du père dont parle Jésus. Il est question pour lui d'une existence autrement haute, autrement belle, autrement précieuse que celle enfermée dans les horizons terrestres : autrefois mort aujourd'hui vivant, cela veut dire : autrefois malheureux ; aujourd'hui dans la joie ; autrefois dégradé, dévoyé ; aujourd'hui relevé, redressé ; autrefois séparés ; aujourd'hui réunis. Être mort c'était être loin du Père, hors du Père ; être vivant c'est être avec le Père. Comprenez-vous alors la joie de ce Père ? Oui, vous la comprenez, vous la partagez, elle est la vôtre, vous qui êtes revenus au Père Dieu.
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F°2
Vous vibrez d'un même enthousiasme devant ce retour à la vie. Et vous la comprendrez bientôt vous qui voyez encore la vie sous un faux jour, vous qu'un certain aveuglement empêche momentanément d'apprécier la vie à sa vraie valeur. Prenons occasion de cette joie du père pour ouvrir les yeux sur le sens et la valeur de la vie. Quel crève-cœur en effet de voir des créatures humaines traverser la vie en aveugles. Oh ! je désire que vous parveniez à la pleine lumière, la lumière de la vie, la joie de la vie, du retour à la vie . Je sais bien qu'un jour vous y verrez clair, vous comprendrez la vie. Un pauvre petit animal, la taupe, passe son existence sous terre et n'ouvre ses yeux à la lumière qu'à l'instant où il va mourir.
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F°3
Un monde nouveau et vrai apparaît alors à l'animal infortuné. Oh ! je souhaite que vous y voyez clair avant votre dernière heure et que dès maintenant se fasse pour vous la lumière de la vie.
Qu'est-ce que la vie ? On a souvent comparé la vie à un navire qui vogue sur la mer ; ce navire va tantôt mollement bercé par les flots, tantôt violemment secoué par la tempête. L'image n'est pas neuve. Laissez-moi la reprendre. Elle est si vraie, si exacte ; elle représente si bien la vie humaine telle qu'elle est comprise et vécue. La vie c'est l'échange incessant qui se produit entre les êtres. On reconnaît vivant tout être qui absorbe qui attire à lui et s'assimile, et en retour donne après l'avoir transformé en énergie ce qu'il a reçu. Ce qui est inerte, immobile est mort. C'est exactement ce que fait le navire qui d'un continent à l'autre emporte et rapporte les produits du commerce, qui introduit dans un pays les matières premières issues de pays des terres lointaines et ramène ces matières transformées par l'industrie pour les besoins des nations. La vie ! le navire la dépeint, non seulement de cette manière générale, à grands traits, mais il la traduit dans tous ses détails, il en exprime toutes les richesses. La vie c'est tout ce qui fourmille dans le monde et dans le navire, n'y a-t-il pas aussi tout ce qui s'agite dans le monde ? La science déesse, fée adorée et bénissante ; de la cale où des
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machines puissantes actionnent la masse flottante jusqu'au sommet des mats où la télégraphie sans fil transmet incessamment des nouvelles intéressantes ; les jouissances de la vie y sont connues. On y trouve les derniers perfectionnements, et confort le plus grand, salles de théâtre, de jeux, orchestre, rien n'y manque. Le cœur lui-même y exerce ses droits ; c'est en famille qu'on voyage, pères mères enfants vont ensemble vers l'autre partie du monde, tous réunis comme dans la vraie vie, dont ce voyage, après tout, n'est qu'un épisode. Et comme dans la vraie vie encore, il y a une espérance sur le paquebot qui vogue. Il va vers un but déterminé ; il court, il glisse, il file emportant vers ce but des milliers de créatures pleines d'espoir ; le jour le soleil éclaire la marche ; et le soir, les étoiles disent encore aux matelots et aux passagers : "Bon courage ; notre lumière vous guide ; notre clarté veille." Il y a même comme dans la vie ce frisson d'incertitude, la petite angoisse d'un danger voisin, de l'avenir inconnu, car sur la mer, comme dans la vie, qui sait si l'on atteindra le but ? Hélas, il y a enfin cette ressemblance, trop souvent vérifiée, de la catastrophe, l'accident inattendu, imprévu, soudain, rapide, la terreur, les cris, l'agonie, la mort. C'est bien toute la vie.
Et puisque les images nous aident à comprendre certaines vérités, laissez-moi maintenant vous
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rapporter le récit ou plutôt les impressions d'un voyage aérien. Ce voyage est à son tour la traduction de la vie, non plus telle qu'elle est actuellement comprise et vécue mais plutôt telle qu'elle devrait être. "C'est sans heurt et sans émoi, dit le narrateur, qu'on quitte la vieille terre maternelle. Aucun vertige, nul malaise. De la douceur, un bien-être inconnu ; tout est calme, léger, plaisant, disons le mot "aérien". On a l'impression d'être jeté dans un bain lustral d'air, où l'on respire mieux et plus large ; pour un peu, on voudrait se jeter dans ce gouffre bienfaisant ; on a tôt fait d'oublier les petitesses de là-bas... On ne songe qu'à l'horizon qui est un merveilleux panorama changeant ; on entre en lui sans violence. On boit des yeux et de la gorge les paysages. C'est même plus : les yeux s'ouvrent pour la première fois ; avant cette minute, les poumons n'avaient jamais respiré. Le temps est aboli ; nulle peur mais le calme le plus complet... On est brusquement devenu un homme nouveau, d'une autre espèce, meilleur en vérité ; car on se prend à aimer pitoyablement et sans regret ces petits frémissements de la plaine qui sont nos semblables. La sécurité de la force vous garrotte. Comme désir, le seul désir, le fou désir d'aller ainsi ainsi des lieues et des jours dans cette aventure de la lumière et du grand air." Et quand il a touché terre le voyageur dit : déjà ! C'est avec rage que j'ai foulé le vieux sol des ancêtres ; me voilà tout à coup réinstallé dans cette guenille et ces états d'esprit que je croyais à jamais remisés au vestiaire. On est pareil à quelque mendigot que, par caprice, on aurait fait le plus riche
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des hommes pour le rejeter une heure après à sa misérable condition. Le retour en bas, c'est la déchéance." Et après quelques autres réflexions le narrateur termine par cette boutade "J'ai idée que le grand justicier, s'il existe, doit être aviateur." Et vous m.fr., dans cette ascension, dans ce baptême de l'air libre, insondable et pur, dans cette sensation de douceur, de calme, de sécurité, dans cette vision de choses nouvelles et meilleures, dans cette évasion des petitesses et des laideurs, des travaux, des fatigues, des mensonges, des hontes, des jouissances et des larmes d'en bas, nous voyons l'image de la vie, de la vie véritable vers laquelle nous aspirons sans la connaître, que nous pressentons sans la voir, que nous entrevoyons sans la posséder ; et nous avons idée que Dieu est non pas un pauvre petit aviateur, mais infiniment élevé, infiniment grand, infiniment bon, infiniment juste et Saint et Pur. Nous avons idée qu'il est l'amour infini ; c'est à dire que Sa vie, la vie dont il vit, et la vie dont il voulait faire vivre ses créatures, la vie qu'il tient en réserve pour ceux qui veulent une fois reprendre le chemin de la maison du Père, la vie qu'il donne déjà à ceux qu'Il appelle et qui s'appellent ses enfants , cette vie est toute différente de celle que nous vivons. Il y a entre ces deux manières de comprendre et de pratiquer la vie, il y a entre ces deux vies, une opposition
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absolue, irréductible. Il y a la même différence qui existe entre le navire qui sombre dans les flots par un fonds de plusieurs milliers de mètres et l'aviateur qui s'élève léger et triomphant vers l'azur des cieux ; et nous comprenons alors que pour Dieu le Père sont mortes, perdues, les créatures qui rêvent sur le navire, notre vie de tous les jours. Et nous comprenons aussi la joie qu'il y a au ciel parmi les anges et dans le cœur de Dieu, quand un homme, fils prodigue échappé de la Maison du Père d'un coup d'aile victorieux, par la foi, revient pour vivre désormais en nouveauté de vie. L'allégresse paternelle et divine a raison de s'exhaler : " Mon fils était mort et il est revenu à la vie ".
TT Et maintenant, fr. et s., il s'agit de savoir où vous en êtes, vous, dans la vie. Sur le navire ? ou en route dans les airs ? Sur le navire, dites-vous, c'est plus sage, plus normal. Je vis comme tout le monde, je travaille, je mange, je bois, je jouis, je souffre, et ensuite je mourrai et puis il en sera ce que Dieu voudra. Quelqu'un qui savait lire au fond de l'âme humaine a dit : " L'homme naturel ne comprend pas les choses de Dieu." Or, vous vivez de la vie de l'homme naturel. Pour rien au monde vous ne voudriez n'être pas cet homme naturel. Au reste l'homme naturel peut être un très honnête homme, ayant même des habitudes religieuses ; il fréquente le temple avec un certain plaisir ; il chante, il prie, il croit.
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Seulement le Dieu auquel on croit n'est pas celui qui parle ; il n'est surtout pas celui qu'on écoute, qui commande et à qui on obéit. C'est un Dieu inerte. Quelqu'un disait de lui : "Il est atteint de paralysie générale." On dit qu'il existe mais on fait comme s'il n'existait pas. C'est qu'à l'homme naturel, il manque, pour être complet, bien conformé, bien vivant, un sens, le sens du divin, l'intelligence de Dieu et des choses de Dieu. Le psalmiste disait : "À ta lumière, Ô Dieu, je vois la lumière." Et l'homme naturel marche dans les ténèbres. Aussi intelligent, actif, très fort pour beaucoup de choses, il détourne toutes ces choses de leur véritable sens. Dans l'obscurité, le buisson qui s'agite au vent paraît être un homme baissé prêt à bondir sur nous ; un rocher ressemble à un gros chien. Ainsi dans la vie, sans la lumière de Dieu toutes choses nous apparaissent différentes de ce qu'elles sont en réalité. Alors, laissez-moi répéter en votre faveur la prière de l'apôtre : "Que le Dieu de notre Seigneur Jésus-Christ, le Père de gloire, vous donne un esprit de sagesse et de révélation, dans sa connaissance et qu'il ouvre les yeux de votre cœur pour que vous sachiez quelle est l'espérance qui s'attache à son appel, quelle est la richesse de la gloire de son héritage résumé aux saints et quelle est envers nous qui croyons l'infinie grandeur de sa puissance manifestée avec efficacité, par la vertu de sa force."
Mais cette révélation, fr. et s. vous a été apportée.
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La lumière brille désormais. Sans doute le proverbe dit bien : Il n'est pire sourd que celui qui ne veut entendre, ni pire aveugle que celui qui ne veut voir. Écoutez pourtant un instant celui qui a dit : "Je suis la vie." et regardez-le vivre. N'est-ce pas que ce mot "Je suis la vie" est extraordinaire. On s'attache quelquefois à discuter les miracles de Jésus ; on prétend parfois pouvoir les expliquer naturellement, (ce qui ne prouve d'ailleurs pas que ce ne sont pas des actions de Dieu) ; mais ce qui subsistera toujours, ce à quoi personne n'a jamais touché et n'osera jamais toucher, ce sont les paroles de vie prononcées par le Christ et résumées dans cette affirmation exorbitante : "Je suis la vie." Relisez donc le 11° chapitre de l'Évangile selon St Jean. Quelle lumière ces paroles projettent sur notre pauvre âme habituée à vivre de la vie d'en bas. Relisez les admirables épîtres des apôtres : quelle clarté, quelle puissance, quelle joie, quelle vie ! Oh ! Certes cela bouleverse toutes les notions de la vie que nous avons ; mais qui oserait mettre en regard la vie dont nous vivons et la vie qui nous est proposée, et une fois la comparaison faite affirmer que mieux vaut vivre à la manière de l'homme terrestre, naturel, animal ?
Voyez donc ce Christ, ce vivant. Jugé à la manière de l'homme naturel, il a manqué sa vie. Par sa faute, par son inexpérience, diraient quelques-uns, par ses folles idées de rénovation individuelle et sociale, il est mort, mort à 33 ans,
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en pleine jeunesse, à l'âge où la vie est belle et bonne. Il a passé son temps et perdu son temps, peut-on ajouter, à parler de choses élevées, nobles, idéales. Accompagné de 12 rêveurs et de femmes à l'émotion facile, il s'est promené sur la terre, puis il a péri sur une croix. Vie manquée !
Mais pour qui juge les choses sainement, à la lumière de la vérité : vie parfaite. Mort ? Sans doute. Mais c'est pour cette heure-là, c'est pour mourir qu'il était venu ; et quand il rendit le dernier soupir, il put dire : " Tout est accompli." j'ai achevé mon œuvre. Vie parfaite ! Oui, puisque sa mort était la condition de sa résurrection glorieuse, manifestation d'une vie à jamais indestructible, prémisses d'une race nouvelle actuellement en voie de formation, dans une humanité régénérée. Depuis qu'il a parlé en effet tous ceux qui l'ont suivi ont connu et possédé la vie. Ils la répandent autour d'eux.
À votre tour, m.fr. allez avec ce Christ lumière et vie ; lumière de la vie. Pour un instant oubliez la manière de vivre que vous avez - très honorable, je le veux, mais oubliez-là quand même, considérez l'autre manière de vivre à la lumière de la vie du Christ. Vous verrez alors le Péché.
Non pas le mot péché écrit dans un livre, ou entendu, ou prononcé ; mais le péché que vous commettez, votre péché, et vous le prendrez en horreur ; car ce que le Christ, prince de la vie, montre et veut et donne c'est la Sainteté ! Quand vous direz alors je vis, cela signifiera non pas encore : je suis Saint, mais je me sanctifie !
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Vous serez aussi stimulé pour le travail ; non plus des êtres inertes et mous pour l’œuvre divine ; mais débordants d'activité pour le bien ; jamais lassés par les oppositions ou les insuccès ; doués de persévérance, de ténacité, avec la volonté ferme de réussir quand même. Et pour vous soutenir vous aurez l'Espérance, la vision de la réalité dernière, ce que d'un mot nous appelons le ciel. Sainteté, activité, espérance, ciel, cela ne dit rien à ceux de la terre. C'est pourtant la vérité suprême et éternelle.
Il arriva une fois que les passagers embarqués sur un navire durent modifier du tout au tout leurs idées sur la vie et la valeur de la vie. Il y avait là de grands personnages qui, pour parler le langage ordinaire, valaient beaucoup. Certains possédaient des millions. En vérité ils ne valaient pas plus que les plus humbles passagers de la dernière classe. Ils le comprirent eux-mêmes ; ils eurent tout d'un coup la révélation de la vie véritable quand la catastrophe se produisit. Aux dernières minutes, l'orchestre interrompant brusquement le morceau par les accords du quel on essayait de chasser l'effroi de tous les cœurs, entonna la mélodie du cantique bien connu : "Plus près de toi, mon Dieu, plus près de toi" Alors tous, fermant les yeux à la vanité, à la folie de la vie d'en bas, tous connurent la beauté et la sécurité de la vie éternelle et divine. Ils jugèrent l'une et l'autre à leur vraie valeur, et beaucoup, sans doute, furent accueillis par le Père avec un mot joyeux : "Mon fils était perdu et il est retrouvé, il était mort et il est revenu à la vie."
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Pour vous, m.fr. la catastrophe ne semble pas immédiate. Pour vous, selon toute apparence, le temps est encore de rester ici, mais en continuant toute chose, en travaillant pour gagner votre subsistance, en aimant, en riant, en souffrant, en pleurant, puissiez-vous voir la vie d'En Haut. Il y aura alors une grande joie au ciel et dans votre cœur. C'est à nous que s"appliquent ces mots divins :
"Mon fils (mon enfant) était mort, mais il est revenu à la vie."