Prédications Protestantes dans les Alpes du sud
Ce texte est la transcription d’une prédication prononcée par Charles LAVAUD (1881-1945), originaire de Trescléoux, durant son ministère pastoral (1906-1940), successivement à Alès, St Laurent du pape, Montélimar. Charles LAVAUD fut membre de la Brigade de la Drôme (1922-1938), avec Jean Cadier.
St Laurent 30 mai 1920
Montélimar 21 août 1927
Lectures :
Romains 12 / 1-8
Je vous exhorte donc, frères, à vous offrir vous-mêmes en sacrifice vivant, saint et agréable à Dieu.
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F°1
Il est bien possible, fr. et s. qu'au simple énoncé de ce texte quelques-uns d'entre vous aient surpris en eux cette réflexion : nous allons encore entendre quelque exagération : il va nous être proposé d'offrir nos corps en sacrifice ; quelle extravagance ! Décidément nos prédicateurs n'ont pas un sentiment bien net des idées d'ici-bas ; ils ne savent pas se tenir dans un juste milieu. Peut-être demandent-ils beaucoup pour obtenir un peu, comptant que nous saurons être raisonnables et mettre les choses au point.
Eh ! bien non, il ne s'agit pas de discuter la pensée de Dieu, ni sa volonté.
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F°2
Nous voulons prendre tout le conseil de Dieu, et c'est à justifier cette attitude que nous nous emploierons.
Au reste l'idée même de sacrifice est-elle si déplaisante ? Pour beaucoup un tel programme est fait pour enthousiasmer. Ne sommes-nous pas, en France, un peuple chevaleresque qui agit spontanément sans calculer quel avantage on retire d'une opération ? Une idée nous semble juste, une cause bonne, un malheureux dans le besoin, immédiatement notre cœur bondit et nous sommes prêts à tout pour défendre cette idée, soutenir cette cause, soulager ce malheureux.
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F°3
Une opposition se manifeste, il y a danger, il faudra souffrir ? Qu'importe ! Nous maintiendrons. C'est la vérité que nous défendons ? Tant mieux. C'est une chimère ? Cela ne fait rien. Ce que nous aimons c'est le sacrifice. Il est beau, il est noble de se sacrifier. Descendants des croisés qui marchèrent à la délivrance du Saint Sépulcre ; fils de huguenots, qui abandonnèrent leur liberté, leurs biens, leur vie, pour avoir le droit de lire la Bible et de prier le Dieu de Jésus-Christ, race des hommes de 89 et de 92 qui renversèrent les Bastilles et firent flotter dans toutes le capitales de l'Europe la devise où s'inscrivait la devise chère à leur cœur : " Liberté, égalité, fraternité, " nous
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F°4
sentons encore bouillonner en nous ce sang généreux qui cherche, qui réclame, qui provoque les occasions de se donner, de se sacrifier résolument !
Est-ce bien vrai ? Les exemples du passé l'affirment. Mais aujourd'hui ? Aujourd'hui, se sacrifier c'est de la naïveté. On voit bien, de ci, de là, quelques personnalités héroïques qui agitent leur drapeau au-dessus des masses obstinées dans leur inertie ; on voit bien dans ces masses quelques tentatives d'élan ; mais comme un oiseau blessé, toutes ces âmes qu'on essaie d'enlever sous le souffle des passions, volent au ras de terre. Les nobles sentiments sont inconnus. Les bas calculs de honteux caprices sont les seuls objets de leur
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ardeur ; on s'agite, on remue, on parle de revendications sociales, d'améliorations, du sort des classes opprimées, de libération des esprits et des consciences, et puis l'on retombe. Peut-être fera-t-on encore une révolution, des révolutions, mais sera-ce pour de nobles conquêtes ? Tout l'effort n'est-il pas d'obtenir la satisfaction d'appétits égoïstes ? La question des questions n'est-elle pas de jouir, au besoin tout seul, au mépris du besoin des autres et s'il le faut, en se servant des autres ? Ah ! Les nobles enthousiasmes, les sacrifices irraisonnés, passionnés... disparus pour faire place à je ne sais quelle furie d'égoïsme parfois insolent, parfois abject et grossier.
Non, il n'est pas vrai que le sacrifice soit naturel au cœur humain.
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F°6
Cela n'est pas vrai, hélas, dans le monde religieux, plus que dans l'autre. Là aussi, chez nous l'utilitarisme vulgaire a tout envahi. Certes il y a des hommes, des femmes, des vaillants qui luttent, qui souffrent au nom du Christ ; mais pourtant notre pays est la proie de l'indifférence parce que chez les chrétiens, les riches jouissent aussi égoïstement que chez les mondains ; parce que chez les chrétiens, les pauvres sont aussi révoltés que chez les non chrétiens ; parce que chez les chrétiens, les malades, les affligés sont aussi attachés à la terre, aussi dénués de sens spirituel que chez les autres ; parce que, chez les chrétiens, en un mot, on n'a rien ou pas assez sacrifié de ses besoins, de ses désirs, de son péché. Porter l'opprobre
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du Christ, passer pour fous à cause du Christ. Non ! Il vaut mieux rendre la croix du Christ raisonnable, acceptable, faire des concessions aux nécessités de l'époque, faire preuve de largeur ... d'une telle largeur d'esprit et de conscience que le monde n'ayant plus rien à sacrifier de sa sagesse peut pénétrer et effectivement envahit ce monde religieux devenu si peu exigeant. Tant il est vrai que le sacrifice que Dieu réclame est peu naturel au cœur de l'homme même religieux.
L'apôtre le savait bien. Aussi ne réclame t-il le sacrifice que comme une conséquence logique. Après avoir exposé tout au long toute une série de motifs presque contraignants,
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F°8
qu'il résume en ce mot : " Par les compassions de Dieu," il peut conclure : " Je vous exhorte donc à offrir vos corps en sacrifice vivant, Saint, agréable à Dieu, ce qui est votre service raisonnable."
Ce que l'homme ne comprend ni n'accomplit spontanément, naturellement, les compassions de Dieu le lui feront comprendre et accomplir : le sacrifice c'est l'abandon, c'est le don de soi. Cet abandon, ce don, sont suggérés par l'amour. Mais l'amour de l'homme, l'amour générateur de sacrifice qu'est-ce qui le provoquera ? Un amour qui surpasse tout autre amour, c'est l'amour de Dieu. Oui, Dieu a tellement aimé l'homme que
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l'homme est obligé d'aimer Dieu. " Dieu est amour " dit St Jean ; et nos yeux et nos cœurs, aussi loin qu'ils peuvent voir, aussi profond qu'ils peuvent sentir, reconnaissent que Dieu est amour. L'amour de Dieu apparut le jour où ce Dieu libre et puissant dont l'esprit se mouvait au milieu du chaos, dont l'intelligence organisa le monde, sentant un vide dans son cœur, pour combler ce vide, dit : " Faisons l'homme à notre image " et il créa l'homme, à l'image de Dieu, un être libre dont l'affection devait répondre à son affection. Comme le père et la mère à leur jeune foyer se réjouissent d'avance du premier cri de l'être chéri que leur amour a désiré, ainsi Dieu attendit que l'homme, créature de son amour, ayant dompté
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les animaux, compris la nature, réduit la matière à son service, acquis la Sainteté, rencontré et contemplé Dieu, fit jaillir de son cœur ce cri d'amour " Père " L'amour, ce qu'il y a de meilleur au monde, est aussi ce qui fait le plus souffrir au monde.
Dieu connut la souffrance ; car sa créature se détourna de Lui. Alors, l'amour de Dieu se manifesta plus grandement, il dut déployer tous ses trésors ; on le vit avec la délicatesse la plus extrême suivre l'humanité à travers ses voies pénibles, la conseiller, la reprendre, la guider, lui donner des conducteurs, des législateurs, des prophètes, un foyer, un abri, le peuple d'Israël ; on l'entendit la supplier de revenir à Lui ; pour se faire mieux entendre, mais comme à regret, frapper, frapper
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fort, frapper durement par des cataclysmes, des guerres, des morts, puis revenir à la douceur, lui assurer des grâces, des bénédictions, des joies : car les compassions de Dieu sont infinies, les voies de son amour sont insondables. Mais l'amour de Dieu a fait plus encore : il s'est approché de chacun, créature particulière ; à chacune il a tenu le langage qui lui convenait ; lui disant les mots qu'elle seule pouvait comprendre, la plaçant où elle pouvait le mieux connaître le Père qui aime ; à mesure qu'elle se dérobait, s'engageant plus profondément dans sa misère, s'encerclant plus étroitement dans son péché, le Père se rapprochait, le Père travaillait à la dégager, pour elle spécialement, il suscitait des joies, pour elle des avertissements, des épreuves, des consolations,
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pour elle des pardons, car les compassions de Dieu sont infinies, les voies de son amour sont insondables.
Infinies, insondables. Oui ! Puisqu’elles se rassemblent, se ramassent, se résument et s'étalent dans un fait : la croix. La croix, c'est bien le point de concentration de toutes les compassions, de tous les mouvements d'amour de Dieu ; la croix c'est bien le rendez-vous de toutes les puissances d'affection qu'un Dieu Saint possède en Lui. Car cette croix c'est aussi le rendez-vous que se sont données toutes les haines accumulées de l'humanité. Pendant des siècles l'humanité dans son ensemble, et chaque homme en particulier, s'étaient dérobés aux sollicitations divines, parfois pour faire taire les voix
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accusatrices ou révélatrices, ils avaient ôté la vie à ses prophètes, mais le jour où parut le Fils, la haine humaine ne connut plus de bornes, et comme ce fils lui-même l'avait prévu et prédit, " Ils prirent le Fils et le tuèrent pour s'emparer de l'héritage." Ils se saisirent de Lui car sa parole les accusait et sa vie les accusait et par haine de Rois, ils le livrèrent au supplice de la croix. Mais croyez-vous que ce débordement d'outrage et de haine va décourager ce Père, le retourner contre ces hommes endurcis, lui inspirer dégoût, fureur, vengeance ? Non ! de la croix,
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signe impénétrable de la méchanceté des hommes, et va faire le signe impérissable de son amour ; il va la donner comme gage de son pardon. Il va dire : " Vous avez cru tuer mon amour. Mon amour subsiste et s'exalte, il s'affirme plus profond, plus vrai, plus ardent que jamais. Vous me donnez là l'occasion la plus magnifique de le proclamer. Oui, je vous aime quand même. La preuve en est cette croix elle-même. Vous avez voulu m'y clouer. Mais moi aussi j'ai voulu y être cloué, afin que par ma mort vous ayez la vie : " Car Dieu était en Christ, réconciliant le monde avec lui-même "
Connaissez-vous, fr. et s. un amour plus grand que cet amour ?
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un amour qui méconnu, dédaigné, rebuté s'acharne, s'ingénie, se donne, s'immole plus complètement ? Ah ! s'il est vrai que l'amour provoque l'amour, s'il est vrai que le sacrifice engendre le sacrifice, maintenant, n'est-ce pas, vous devez comprendre que rien au monde, aucun amour, aucun sacrifice ne peut, avec plus de raison et plus de droits réclamer des hommes le don complet d'eux-mêmes. Comment pourrais-je jouir de la vie si je ne donne pas toute ma vie à celui qui m'a donné toute sa vie ? Oui, je dois offrir mon corps en sacrifice vivant, Saint, agréable à Dieu, à cause de ses compassions infinies. Je trouve cela raisonnable. Et vous, chers auditeurs, si vous comprenez que ces compassions de
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Dieu sont aussi pour vous, pourrez-vous refuser à Dieu qui vous aime le sacrifice qu'il demande ? Avec l'apôtre, avec les disciples du Sauveur, avec les martyrs des premiers siècles, avec les héros de la Réforme, avec tous les serviteurs du Christ mourant et triomphant, je vous exhorte donc à offrir vos corps en sacrifice.
Il s'agit d'un sacrifice total. Le corps, dans le langage de l'apôtre, désigne l'être tout entier, cœur, esprit et corps, le corps étant la manifestation extérieure, l'instrument unique mis à la disposition de l'être intérieur ; le don du corps étant le signe visible du don de l'être tout entier. Car que de fois nos cœurs ont été émus, nos esprits secoués ! Alors que d'élans intérieurs, que de sacrifices
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ébauchés... à l'heure qu'il est, que d'intentions louables se lèvent en vous ; mais bientôt vos corps démentiront ces velléités de l'esprit et du cœur. Prouvez donc par l'activité du corps, la réalité et la solidité de vos sentiments. Que votre cerveau pense à Dieu, à Jésus-Christ, aux misères des hommes, aux moyens de les soulager. Que votre cœur batte pour Dieu, pour Jésus-Christ, pour les affections Saintes, nobles, pures. Que votre langue ne parle pas légèrement, pour médire ou calomnier même religieusement ; qu'elle annonce l'amour du Père et du Fils ; qu'elle console, qu'elle relève. Que vos membres, vos pieds, vos mains agissent pour le bien ; il y a des malades, il y a des affligés qui ont besoin de vous.
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Si vous avez des dons artistiques chantez, jouez, travaillez pour la gloire de Dieu.
En un mot que le but, ou mieux, le centre de votre vie soit pour servir Dieu, et vers ce centre faites converger tous vos efforts, toutes vos affections, toutes vos pensées. Et ce sera le don de vous-même à Dieu.
Et ce sera un sacrifice Saint. Autrefois quand vous n'aviez pas compris la légitimité ni l'étendue du sacrifice réclamé vous donniez bien quelque chose à Dieu, de l'argent, du temps, des forces, mais, avouez-le, ce n'était pas ce que vous aviez de mieux que vous donniez ; le meilleur vous le gardiez pour vous. Maintenant vous donnerez comme jadis les Israélites,
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F°19
les plus beaux agneaux de vos troupeaux, des animaux sans tache. Vous purifierez donc, vous sanctifierez tout votre être au contact du Saint Lui-même. Quel honneur pour vous. D'un corps instrument de péché, Dieu fera un corps instrument divin ; d'une nature souillée il fera une nature spiritualisée. Revêtue de blancheur, partout où vous passerez, les laideurs et les souillures disparaîtront. Votre lumière éclaire et les ténèbres s'enfuiront. Quelle joie ! Oui c'est un sacrifice joyeux. Le sacrifice c'est aimer, aimer c'est vivre, vivre de bonheur. Demandez à la mère qui sacrifie repos, plaisir, santé pour son enfant si sa plus grande joie n'est pas dans ce sacrifice. Offrez-lui d'être heureuse au prix de l'abandon de son enfant.
Ou bien, demandez à Jésus-Christ
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F°20
pourquoi en Gethsémané, il n'a pas réclamé 12 légions d'anges qui l'auraient délivré au prix de la vie de l'humanité. Mais c'est là outrager les lus saints amours . Se donner c'est remplir son cœur de joie, se donner jusqu'à perdre la vie c'est vraiment retrouver la vie, la vie la plus belle, la plus grande, c'est participer à la vie-même de Dieu.
Et si ce sacrifice vous paraît un sacrifice raisonnable, frères et sœurs, accomplissez-le, tout simplement. Soyez-en sûrs, le monde vous trouvera déraisonnable ; à certains moments vous-mêmes vous vous traiterez d'insensés car la sagesse de Dieu est folie pour les hommes, mais alors craignez de paraître sages aux yeux du monde, car vous seriez fous aux yeux de Dieu.