Prédications Protestantes dans les Alpes du sud 

Dimanche 15 avril 2012

Trescléoux (05)

Lectures du Jour :

Jean 20,19-31 (voir sous cette référence, plusieurs méditations)

ACTES 4, 32-5,5

1 Jean 5, 1-6

Donner, c’est compliqué !

C’est un tableau idyllique que Luc nous propose dans ce passage, d'une communauté qui n'a « qu'un coeur et une âme », et nous sommes surpris, voire dérangés tant le décalage est grand, en regard de la réalité de nos Eglises aujourd’hui, marquée par l'éclatement confessionnel, et la réalité de notre société, marquée par un individualisme forcené.

On peut aussi se dire que l’on n’aurait peut-être pas aimé vivre dans une telle communauté, qui semble laisser très peu de place pour la liberté individuelle, qui semble aussi céder à la tentation d'établir le Royaume de Dieu sur terre, Pierre jouant le rôle de gourou, tentation que l’on a vue en de nombreuses circonstances, au fil des siècles, notamment par exemple avec les Cathares et les communautés de parfaits, les Jésuites et les communautés indiennes qu’ils fondèrent en Amérique latine, ou encore, aux débuts de la Réforme ces communautés de Fervents, en Cévennes, dont Calvin se méfiait, les traitant d’« illuminés », ou encore ces communautés agraires post-soixante-huitardes. Et l’on sait bien que presque toutes ces tentatives qui étaient aussi des replis sur soi, se sont soldées par des échecs, parfois dans le sang.

Mais c’était certainement une nécessité pour cette communauté d'être très soudée pour faire face, en tant que minorité, à des menaces extérieures, à la fois politiques (les romains) et religieuses (les juifs).

Les premières communautés

Selon Luc, l'histoire du monde, est l’application du plan de Dieu pour le salut de l’Humanité, qui s'organise selon trois périodes : le temps d'Israël (Ancien Testament), le temps de Jésus (Evangile) et le temps de l'Eglise (Actes).

Notre texte appartient à l'ensemble des chapitres 2 à 7 qui décrivent l'âge d'or de la première communauté chrétienne à Jérusalem. Dans son projet théologique, Luc met en particulier l'accent sur l'histoire de cette communauté chrétienne en tant que lieu de réalisation du plan de salut de Dieu. Il nous la montre façonnée par l'Esprit de Pentecôte : unanime, fraternelle, exerçant la justice et le partage des biens, et d’autant plus facilement qu’elle est dirigée par ceux-là mêmes qui ont vécu la 1° pentecôte. Mais, groupée autour des apôtres, au fur et à mesure qu’elle s'accroît, elle entre en conflit ouvert avec les autorités religieuses du judaïsme.

Cet accroissement de la communauté atteste, aux yeux de Luc, que Dieu est à l’œuvre, grâce à l’Esprit de Pentecôte répandu sur les apôtres et les fidèles.

C’est ni plus ni moins ce que professent aujourd’hui nos amis pentecôtistes.

Le premier accroc

Mais dans cette vie idyllique de la première communauté chrétienne, une crise interne surgira, comme pour nous ramener sur terre, nous réveiller et nous dire, n’oubliez pas que vous n’êtes que des hommes et des femmes, vous n’êtes pas des parfaits.

L'histoire surprenante d'Ananias sert donc de rupture, d'articulation entre l’idéal, présenté sous le thème de la communauté des biens, de l'activité miraculeuse des apôtres et l'essor missionnaire, et puis la réalité de nos comportements simplement humains.

Le partage des biens.

Nous avons donc cette question du partage des biens au sein de la communauté des croyants réalisant cet idéal d'amitié, de partage fraternel.

Mais Luc se garde bien de présenter les chrétiens comme de simples amis : s'ils réalisent cet idéal d’amitié, c'est d’abord parce qu’ils sont croyants.

Leur pratique du partage dépasse par conséquent le simple stade d’une forte amitié. Elle est la manifestation d’une foi commune, d’une unité spirituelle, confortée par le Saint esprit.

La communion chrétienne n’est pas la réalisation d'une idéologie d’origine humaine, elle est le signe de sa fidélité à Jésus Christ, (voir la parabole du jeune homme riche) et de sa soumission à Dieu, dans l’accomplissement des promesses de l’ancien testament (ce qui était important pour cette communauté composée de juifs). La formule : «Nul parmi eux n'était indigent» est empruntée à Deutéronome 15,4. Employée dans ce contexte, elle permet à l'Eglise de donner aux hommes de son temps un signe de sa propre authenticité : une Eglise de Dieu reconnue au fait qu'il n'y a pas d'indigent parmi ses membres. Luc donne ici un exemple de la mise en pratique de l'exigence évangélique («que personne ne manque du nécessaire pour vivre»).

Barnabas et Ananias

Ainsi Luc nous présente-t-il «Barnabas» comme une première figure marquante de la communauté, un exemple à suivre. En fait, il n’en dit pas grand-chose. Ce qui est important pour Luc, c’est que Barnabas a mis à disposition de la communauté toute la somme d'argent gagnée par la vente d'un champ.

Et puis, nous avons le récit de cette première crise dans l'histoire des origines du christianisme, on ne peut éviter le parallèle avec le récit de la chute, en Genèse 3 : la destruction de l'harmonie originelle qui trouve là aussi son origine dans le péché d'un couple.

Le même péché, le mensonge à Dieu, puis l'expulsion, du jardin d’Eden ou de la communauté.

Et ce qui est intéressant, c’est que Pierre ne reproche pas à Ananias de ne pas avoir donné tout le prix de vente du champ, car le renoncement à ses biens est volontaire et n’a rien d’obligatoire. L'engagement du chrétien n'est pas forcé, mais il doit être réalisé en sincérité, sous sa seule responsabilité personnelle.

Ce que Pierre lui reproche, c’est sa duplicité : garder une partie de l'argent en ayant l'air de se ranger parmi ceux qui donnent tout, comme le faisaient les pharisiens.

Tu as menti à l'Esprit-Saint :

Le mensonge à l'Esprit Saint, voilà le délit d'Ananias. Si cette fraude n'était pas dénoncée, elle sèmerait un germe de mort dans l’Eglise. En ne respectant plus ce «tout en commun », la communauté ne vit plus « d'un seul coeur et d'une seule âme », elle est menacée de sombrer dans le chacun pour soi, la cacophonie, avec pour conséquence de discréditer la Parole de Dieu, voilà le péché originel au sein de l'Eglise.

Tu as menti à l'Esprit-Saint :

Le mensonge à l'Esprit Saint, voilà le délit d'Ananias. Si cette fraude n'était pas dénoncée, elle sèmerait un germe de mort dans l’Eglise. En ne respectant plus ce «tout en commun », la communauté ne vit plus « d'un seul coeur et d'une seule âme », elle est menacée de sombrer dans le chacun pour soi, la cacophonie, avec pour conséquence de discréditer la Parole de Dieu, voilà le péché originel au sein de l'Eglise.

Alors, Pierre ne maudit pas Ananias. Il le confronte à lui-même. Et ce dernier avait le choix, ce choix ultime, déjà proposé en Dt 30/19: « Je mets devant toi la mort et la vie, choisis la vie »[1].

Ananias pouvait choisir la vie, se repentir de sa faute et Pierre n’aurait pas pu faire autrement que lui pardonner au nom de JC « vas et ne pèche plus », mais il s’est enfermé dans son mensonge, et la sanction a été brutale : il meurt sur le champ d’une crise cardiaque, ou d’autre chose, sort que subira également sa femme.

Alors évidemment, tous ceux qui assistèrent à cette scène furent saisis d’une «grande crainte». Crainte devant cette manifestation de la puissance divine qui servira à l'essor missionnaire de la jeune Eglise.

Mais il ne faut pas se tromper : Si leur culture juive pouvait leur faire penser qu’Ananias était mort parce qu’il avait péché, en réalité, il est mort parce qu’il a refusé de reconnaître son péché.

Voilà toute la différence entre la théologie de l’ancien testament et celle des Evangiles.

Le temps de l’Eglise

Car à partir de Pâques, que nous venons de célébrer, L’Eglise primitive attendait le retour du Christ ressuscité, mort pour nos péchés. Luc fait partie de cette seconde génération chrétienne qui a perdu la fascination de l'attente de la parousie.

En rédigeant les Actes, il a pour projet d'affirmer que la victoire pascale n'instaure pas immédiatement le Royaume de Dieu, mais que nous entrons dans le temps de l'Eglise, période marquée par l'activité du Saint Esprit et l'effort missionnaire en vue du salut des nations.

L'Eglise et son unité

Cette installation dans la durée a posé à l'Eglise de nombreux problèmes au fil des siècles : conflits internes dont notre épisode relate un 1° exemple, séparations confessionnelles, divergences théologiques, sans parler des inégalités sociales, et des diverses hostilités extérieures. Dès lors, la recherche de l'unité, « d’un seul cœur et d’une seule âme », absolument nécessaires à la survie de la première communauté, est ressentie aujourd’hui comme une sorte de paradis perdu.

Entendre ce texte aujourd'hui

Alors, ce récit n'est pas facile à entendre aujourd’hui, dans une époque marquée par le «chacun pour soi», où nos Eglises, se confrontent sans cesse à la difficulté de réaliser l'unité à laquelle le Christ nous appelle. Mais qu'entend-on par unité ?

Que serait une unité qui se confondrait avec l’uniformité, la « pensée unique », ou qui remettrait en cause la liberté personnelle et le libre arbitre de chacun, contrepartie de notre responsabilité individuelle devant Dieu ?

La seule unité qui vaille est notre unité devant la croix. Quel que soit le nom que notre Eglise se donne.

Il n'est pas facile non plus d'entendre un texte parler d'argent et de l'usage qu'il faudrait en faire pour le bien de tous, à travers le don.

Le don : Geste plus compliqué qu’il n’y paraît, surtout dans une société où tout s’achète et tout se vend, où toutes relations sont établies sur le principe de la rétribution. Dans le don, pas d’échange, et c’est peut-être cette gratuité qui fait que le don est ce qui coûte le plus, comme s’il fallait « payer le prix» du don ?

D’où parfois le caractère jugé déraisonnable du don : « Tu lui as donné tout çà, mais tu es fou ! »


Que cette réflexion nous permette de mesurer avec humilité et reconnaissance, l’immensité de la folie de cet autre don, accompli il y a 2000 ans sur une colline dans la banlieue de Jérusalem.

Amen,

François PUJOL

[1] Pierre a renié Jésus et s’est repenti, il a choisi la vie. Judas a livré Jésus et n’a pas supporté le poids de cette culpabilité : il s’est pendu, il a choisi la mort.