Prédications Protestantes dans les Alpes du sud
DIMANCHE 02 Juin 2019
Culte à Trescléoux (05700)
Lectures du Jour :
Actes 7, 54-60
Jean 17, 20-26 (voir également sous cette référence, méditations du 16 Mai 2010 et 12 Mai 2013)
Apoc. 22, 12-20
Délit de Blasphème
Frères et sœurs,
Vous ayant déjà proposé une méditation sur Jean 17, en Mai 2010[1], je voudrais vous proposer de méditer avec moi sur le texte de la lapidation d’Étienne, beaucoup plus d’actualité que l’on pourrait penser.
Mais d’abord, parlons d’Étienne : Il vient d’être confirmé comme diacre de la communauté de Jérusalem par les apôtres, avec Philippe[2] et cinq autres membres « pleins de sagesse, de bon renom et remplis du saint Esprit »[3].
Étienne accomplissait prodiges et miracles, et il était régulièrement pris à partie par des membres de diverses synagogues.
C’est alors qu’il s’engage devant le grand prêtre[4], dans un « discours » qui occupe tout le chapitre 7, jusqu’aux versets que nous venons de lire. Il y reprend toute l’histoire du peuple hébreu depuis Abraham, jusqu’à Jésus, et il conclut « C’est lui, le juste, que vous avez trahi, vous avez été ses meurtriers. »
Évidemment, à ces paroles, les membres du Sanhédrin se mirent à s’arracher leurs vêtements et à grincer des dents, mais ils ne pouvaient rien lui reprocher de particulier. C’est alors qu’ils utilisèrent une méthode classique, en payant des faux témoins qui déclarèrent qu’Étienne avait blasphémé contre Dieu.
Cette fois le mot fatidique, l’arme absolue avait été lâchée, mettant en route une mécanique irréversible qui se terminera non par la lapidation d’Étienne, mais plutôt par son lynchage.
Évidemment, cela nous ramène au procès de Jésus : les faux témoins, l’accusation de blasphème[5], le simulacre de procès, la condamnation, le châtiment.
Jusque dans les dernières paroles d’Étienne, Luc nous rappelle Jésus :
« Seigneur Jésus, reçois mon esprit. »[6], « Seigneur, ne leur compte pas ce péché »[7], y compris dans son dernier souffle : « Et, après avoir dit cela, il s'endormit dans la mort ».
Mais quel blasphème Jésus avait-il donc commis ? Il connaissait tellement bien les Écritures, qu’ils ne pouvaient jamais le mettre en défaut, mais voilà, il annonce le pardon des péchés, blasphème contre la Loi et ses menaces de punition implicites[8], les enfants pouvant même être jugés coupables des fautes de leurs parents[9].
Et pourtant, c’est ce pardon inconditionnel du péché à celui qui croit et se repent qui fonde la foi chrétienne, nous pouvons donc être fiers d’être les disciples de ce blasphémateur.
Car Jésus n’a rien inventé, il a simplement repris nombre de textes des prophètes[10], connus aussi par les membres du Sanhédrin[11], qui avaient donc sous les yeux tout ce qu’il fallait, depuis son lieu de naissance, jusqu’aux circonstances de sa mort, pour accueillir Jésus comme le messie qu’il était.
Alors finalement, les blasphémateurs ne sont-ils pas en réalité ceux-là mêmes qui l’accusaient de blasphème ? Après 2.000 ans, les choses ont-elles vraiment changé ?
Car ce qui est pratique avec le blasphème, c’est que ce concept est tellement flou qu’on peut l’accommoder à diverses sauces : étymologiquement, c’est « parler mal de quelqu'un, l’injurier, le calomnier », puis par extension, « parole, discours outrageant à l'égard de la divinité, de la religion, de tout ce qui est considéré comme sacré », pour finalement n’être plus utilisé que dans cette dernière acception.
Aux origines, ce sont les chrétiens qui furent persécutés pour blasphème, et tous les apôtres le payèrent de leur vie.
Puis, en l’an 313, l’empereur Constantin reconnait la liberté de culte, se convertit et s’autoproclame chef de l’Église chrétienne dont il convoque le 1er concile, à Nicée, où sera rédigé le premier Credo, mais aussi seront affirmés les dogmes de cette Église primitive, qui connaissait nombre de divergences et débats théologiques.
Dorénavant, forte de ce dogme affirmé, les « schismatiques » pourront être poursuivis pour blasphème et de persécutée, l’Église deviendra persécutrice, car le blasphémateur, c’est toujours l’autre.[12].
Puis viendra en l’an 496 le baptême de Clovis et l’on verra la même collusion s’établir entre pouvoir politique et Église, et s’installera le concept de « monarchie de droit divin » dans lequel le pouvoir du souverain est légitimé par la volonté de Dieu[13]. Et comme l’apôtre Paul écrivit dans sa lettre aux Romains : «Que chacun se soumette aux autorités qui nous gouvernent, car toute autorité vient de Dieu », il était facile de déclarer quiconque tentait de contester l’autorité royale, donc civile, politique, blasphémateur contre Dieu, voire « hérétique ».
Puis vint la Réforme, et son acte fondateur le 31 Octobre 1517[14]. Par la conjonction de l’imprimerie naissante et des conflits entre les princes allemands et Charles Quint, elle connaîtra une extension si rapide que déclarer Luther blasphémateur et l’excommunier n’y suffiront pas.
Cela se terminera par la confession d’Augsburg en 1531 et le compromis par lequel les princes allemands obtenaient la liberté du choix de leur religion, liberté assortie du principe « religion du prince, religion du peuple » : le prince obtenait la liberté de conscience mais pas son peuple. Parallèlement était donc instauré un délit de blasphème[15], que l’on rencontre curieusement encore aujourd’hui dans toutes les monarchies protestantes de l’Europe du Nord, où l’Église Luthérienne est religion D’État.
En France, après l’affaire des placards (1534), sous François 1er, la répression fait rage et Calvin se réfugie à Strasbourg[16] puis à Genève.
Mais il cède lui aussi au piège du Blasphème dans sa discorde avec Michel Servet[17] sur la Trinité. Au lieu de régler ce différend théologique par une dispute d’arguments, il le règle par le bûcher (1553), après nombre de sévices. Une seule personne osera s’opposer à Calvin : Sébastien Castellion, Rédacteur en 1555 de la plus belle traduction de la Bible[18] du 16° siècle, écrite pour le peuple, précurseur, éclaireur, qui plaidera trop tôt, dans le désert de ce 16° siècle, pour la liberté de conscience, déclenchant la fureur de Calvin[19]. Il sera sauvé du délit de blasphème par une mort prématurée (1563) à l’âge de 48 ans[20].
Puis viendra l’Édit de Nantes (1598), accordant la liberté de conscience[21], mais très vite remis en cause dès la mort d’Henri IV. (La citadelle de Serres sera détruite dès 1633). Dès lors, la liberté de conscience et d’expression entreront dans un long hiver[22] jusqu’à la révolution et la déclaration des droits de l’homme, instaurant une morale républicaine indépendante du religieux.
Il faudra attendre 1881 pour qu’enfin la liberté d’expression (de la presse) soit inscrite dans la Loi, suivies en 1905, des lois de séparation de l’Église et de l’État[23].
Mais face aux exigences croissantes de diverses minorités, la loi Pleven créa en 1972 le délit de "provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence, commises envers des individus en raison de leur appartenance ou de non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée". Ainsi, pensant défendre le discriminé, la France créa pour longtemps les communautarismes dont elle sait aujourd'hui le poids sur la vie politique et sociale du pays.
Et l’on verra des associations musulmanes utiliser cette loi pour attaquer pour blasphème contre leur religion, Charlie Hebdo et quelques écrivains[24], sans succès, mais on connait la suite : attentat contre ces caricaturistes blasphémateurs, contre ces jeunes débauchés réunis au Bataclan pour un concert de hard rock.
Les exemples sont nombreux de minorités sur-jouant la victimisation, se trouver dès qu’elles en ont l’occasion, en situation de dénonciatrices de ces nouveaux blasphémateurs qui ne respectent pas leurs convictions ou simplement le politiquement correct.
Conclusion
Aujourd’hui, nous ne sommes plus sous le règne de l’oppression, mais sous cette pression constante, relayée par des médias en quête d’audimat, qui véhiculent quotidiennement la pensée dominante et nous disent chaque matin ce que nous devons penser. Ainsi, quiconque ne rentre pas dans ce moule, devient un « suspect » :
- Vous questionnez le fonctionnement de l’Union Européenne, vous êtes europhobe,
- Vous osez émettre des réserves sur les conséquences potentielles du mariage pour tous, vous êtes homophobes,
- Vous vous interrogez sur la compatibilité d’un certain Islam et de la démocratie, vous être islamophobe,
Tous ces anathèmes qui vont sont jetés à la figure, n’ont qu’un seul but, vous discréditer, disqualifier votre point de vue, dont vous devrez vous excuser, en un mot vous aussi vous devenez blasphémateur, comme tous ces dissidents des régimes communistes que l’on traitait de fascistes avant même qu’ils aient prononcé le premier mot de l’autocritique qu’on leur extorquait.
Alors, en regardant vers Jésus, considérons que si l’on nous traite un jour de blasphémateurs c’est que nous serons sur le bon chemin, gardons notre liberté, ne cédons pas à l’autocensure, continuons de proclamer haut et fort, comme Pierre[25], ce que nous dicte notre conscience, et surtout, écoutons ce que disait Paul, dans la même lettre aux romains : « Ne vous conformez pas au siècle présent, mais soyez transformés par le renouvellement de votre intelligence, afin que vous discerniez quelle est la volonté de Dieu »[26], recommandation que je préfère, et de loin, à la précédente.
Amen !
François PUJOL
[1] Voir sur le site www.protestants-gap.fr
[2] Qui convertira un officier Éthiopien au chapitre 8
[3] Actes 6,3
[4] Président du Sanhédrin (voir note n°11)
[5] Voir Marc 14, 53 et ss, Matthieu 26, 65
[6] « Jésus s'écria d'une voix forte: Père, je remets mon esprit entre tes mains. Et, en disant ces paroles, il expira ». Luc 23, 46
[7] « Père, pardonne leur car ils ne savent ce qu’ils font » Luc 23, 34
[8] Dans le Décalogue, 8 commandements sur 10 commencent par « tu ne… »
[9] « Pourquoi dites-vous ce proverbe dans le pays d’Israël: Les pères ont mangé des raisins verts, et les dents des enfants en ont été agacées? […] l'âme qui pèche, c’est celle qui mourra ». (Ézéchiel 18 :2 et 4)
[10] Ésaïe, Michée, Zacharie, les Psaumes
[11] Assemblée de 70 sages créée dès le temps de Moïse. Sorte de tribunal suprême gardien de la LOI, il est aussi habilité à reconnaître officiellement un prphète qui puisse lui-même identifier le Messie.
[12] Ainsi elle pourra faire taire ces courants théologiques : arianistes, donatistes et autres novatiens dont les positions théologiques tournaient pour l’essentiel autour de la personne de Jésus : (fils éternel de Dieu ou homme choisi par Dieu ?), sa présence dans les sacrements, etc…
[13] Tandis qu’à Rome est installée l’autorité papale
[14] Les 95 thèses de Luther à Wittenberg
[15] Y compris en Alsace-Moselle (allemande en 1905), où il ne sera supprimé qu’en… 2017 !
[16] Qui appartient au « saint empire romain germanique » de Charles Quint
[17] Médecin aragonais découvreur de la circulation sanguine, à l’esprit foisonnant, théologien à l’occasion.
[18] A partir à la fois de la Septante et des textes massorétiques pour l’A.T. et des textes grecs pour le N.T. Calvin jugea cette traduction « une bible pour les gueux » et son imprimeur Robert Étienne trouvait qu’elle sentait les écuries.
[19] On lui doit cette phrase devenue une référence « pour moi tuer un homme, ce n’est pas défendre une idée, c’est tuer un homme ».
[20] Non sans avoir laissé un manuscrit-testament « De l’art de douter et de croire, d’ignorer et de savoir », recueilli par les « Resmonstrants » hollandais.
[21] Mais pas tout à fait la liberté de culte !
[22] Dont le point culminant sera sa révocation par l’édit de Fontainebleau et un siècle de persécutions qui s’ensuivront.
[23] Bien que rédigées par des protestants réunis autour de Ferdinand Buisson alors député, ces lois consacrant L’État Laïque, deviendront vite des lois anticléricales, ce que n’avaient pas envisagé leurs rédacteurs.
[24] Dont les provocateurs Zemmour et Houellebecq
[25] Actes 5, 17-42
[26] Lettre aux Romains, 12/2