Prédications Protestantes dans les Alpes du sud 

DIMANCHE 15 JUILLET 2001

Culte à Pierre Grosse (05350)

Lectures du Jour :

Luc 10, 1-12 & 17-20 (Voir méditations du 8-juil-07 et du 4-juil-10)

Colossiens 1, 1-14

Amos 7, 7-17

L’espoir d’une humanité enfin solidaire

Quels sont donc ces discours intolérables qui font apparaître Amos comme un dangereux conspirateur aux yeux du Grand Prêtre Amatsia ?

Il est aisé de le savoir car les chapitres précédents nous ont gardé un bon échantillon des oracles prononcés par Amos. Ils sont d’un style percutant qu’il faut voir entendu… Mais le simple résumé de son message est suffisamment frappant :

* Amos a constaté que le peuple de Samarie est très pieux, que les sanctuaires de Bethel et de Guilgal sont très fréquentés et que l’on offre au Seigneur Yahvé de nombreux sacrifices. Mais il a osé dire que cet étalage de piété, loin de combler d’aise celui à qui il est destiné, dégoute le Seigneur[1]. Non que les sacrifices ne soient accomplis dans les règles, ni les chants bien enlevés[2], mais il prétend qu’une chose intéresse Dieu bien plus que la religion, c’est la Justice (5, 24). Un beau culte plaqué sur une vie qui n’est pas droite est une abomination. Or Amos a porté son regard lucide sur la Société de son temps et il dit tout crûment ce qu’il a vu[3] :

- Il a vu des créanciers impitoyables réduire leurs débiteurs à l’esclavage,

- Il a vu la vénalité de juges sans conscience violant les droits des pauvres parce qu’on leur a offert des cadeaux,

- Il a vu l’âpreté au gain de trafiquants sans scrupules,

- Il a vu le luxe insolent des grands, des gens de la cour qui se font construire des maisons d’hiver et des maisons d’été, des palais ornés d’ivoire et d’ébène, et qui festoient dans l’inconscience des malheurs des petits qu’ils ont spoliés.

Alors, en pleine période d’expansion et d’euphorie pour la classe dirigeante, Amos crie que la catastrophe est toute proche. Il est le prophète du jugement de Dieu. L’oracle qui précède immédiatement dans le livre, l’épisode de son expulsion par Amatsia, nous donne une image simple et éclairante à ce propos (relire 7, 7-9).

Vous savez tous ce qu’est un fil à plomb, cet outil que les maçons d’aujourd’hui utilisent encore et qui n’a pas dû beaucoup changer depuis le temps d’Amos, en 750 avant J.C. ! Il permet de vérifier si les pierres ou les briques de la construction sont bien à l’aplomb, (comme son nom l’indique !), c’est-à-dire, suivent la ligne verticale qui est la direction de la pesanteur, qui assure l’équilibre du mur : Il faut respecter la loi de la pesanteur. Si le mur s’écroule, ce n’est pas une punition, plus ou moins arbitraire, mais bien un jugement porté sur sa malfaçon. Voilà ce que Dieu a fait comprendre à son prophète : Une société qui tolère l’injustice en son sein ne peut subsister. Sa brillante culture, son vernis religieux, ses lois liberticides peuvent faire illusion, mais elles camouflent un désordre profond. Ceux qui s’enrichissent, se complaisent dans les plaisirs luxueux se trompent en pensant que la misère du peuple est une garantie pour leur paix. Le culte de ce peuple est un mensonge, sa sécurité illusoire, car sa construction n’est pas d’aplomb par rapport aux lois que Dieu, pourtant, lui a révélées. Voilà pourquoi elle va bientôt s’effondrer !

Tel est le monde à cause duquel Amos fait figure d’insupportable trouble-fête et même de conspirateur.

Amatsia lui cherche le même genre de mauvaise querelle que l’on intente de de nos jours à certains journalistes, s’ils ont l’audace de mettre en évidence des réalités désagréables ou menaçantes : Comme si celui qui pose le diagnostic était responsable de la maladie !

* C’est vrai qu’Amos est pessimiste. C’est vrai qu’il a prédit des perspectives très sombres pour l’avenir proche. Mais ce serait une erreur d’imaginer que cette prophétie de malheurs vient d’une intention hostile. Amos est le porte-parole de la colère de Dieu, qui n’est autre que de l’amour déçu. Si l’on se refuse à entendre ses avertissements, si les prêtres flagorneurs de la cour l’emportent, si les responsables poursuivent la politique de l’autruche, la catastrophe viendra sûrement. Mais ce n’est pas une fatalité. Les oracles de jugement, dans la bouche des prophètes d’Israël, n’annoncent des lendemains terrifiants qu’avec l’espoir que leurs prévisions seront démenties. Ils jettent un cri d’alarme avant qu’il ne soit trop tard, comme un ultime appel à la conversion, à l’abandon de ces comportements injustes. Amos l’a clairement proclamé dans ces versets du chapitre 5 (lire 5, 14-15).

Quel ardent appel : la vie est à portée de la main, aussi proche que la mort. L’arrêt du Seigneur n’est pas encore irrévocable. Le malheur peut encore être écarté au prix d’un retour total vers Dieu, du retour de la justice sociale : Peut-être le Seigneur se montrera-t-il favorable ! (5, 15). Quelle brèche dans le destin, quelle ouverture vers l’espérance dans ce petit adverbe, dans ce « peut-être[4] » qui signifie que tout est encore possible :

  1. Les justes ont la liberté de changer de comportement,
  2. Dieu a la liberté de leur faire grâce.

* Hélas, c’est le représentant officiel de la religion qui va étouffer cet appel. La voix d’Amos dérange Amatsia : la situation d’un clergé qui est du côté du pouvoir pour le conforter dans ses illusions est elle-même confortable ! Si par hasard il aperçoit quelques lézardes dans le mur, vite un peu de plâtre par-dessus pour les camoufler, comme le dira plus tard Ézéchiel pour les faux prophètes de son temps, ce qui permettra à la police d’expulser cet étranger qui ose crier qu’il y a péril en la demeure !

Pa besoin de longs discours pour souligner l’actualité de cette histoire : à l’évidence, pour qui sait regarder la société mondiale d’aujourd’hui reproduisant les traits d’Israël du temps d’Amos, le fossé entre la minorité des nantis et la majorité des pauvres, précaires, etc… est encore plus profond, plus scandaleux, et scandale du scandale, ce fossé ne cesse de s’accroître.

La même voix qu’Amos, ici où là, s’élève, dérangeant notre tranquillité. Elle peut émaner de milieux étrangers à la religion comme de chrétiens responsables, qu’importe, c’est bien le jugement de Dieu, au sens relevé tout à l’heure, qu’elles font entendre, lorsqu’elles annoncent la catastrophe si les choses ne changent pas radicalement : Une société fondée sur de telles injustices ne peut subsister longtemps encore.

En conclusion

L’épisode lu aujourd’hui nous place donc devant un choix décisif :

  1. Ou bien nous suivons, consciemment ou non, l’exemple d’Amatsia, nous faisons taire les Amos de mauvais augure, nous entretenons une religion sécurisante et bénisseuse, qui peut avoir encore quelques beaux jours. Après tout, la religion sera encore bien utile pour accompagner l’Humanité dans la mort comme elle l’a bénie dans la prospérité…
  2. Ou bien nous écoutons Amos, nous travaillons à donner le plus large écho à ses avertissements et à faire changer les comportements de court terme, égoïstes et inconscients (à commencer par les nôtres). Alors « peut-être », se lèvera un espoir de vie pour une humanité enfin solidaire.

Amen !

Pr Charles L’EPLATTENIER

[1] Voir Amos 5, 21 et ss.

[2] Amos n’est pas soucieux de réforme liturgique !

[3] Voir Amos 3,6-8, 4,1, 5,10-12, 6,3-7.

[4] On retrouve ce « peut-être » dans la parabole du figuier stérile (Luc 13,9) et dans Jonas (3, 1-10), voir méditations