Prédications Protestantes dans les Alpes du sud 

DIMANCHE 1° Novembre 2020

Dimanche de Toussaint confiné

Lectures du Jour :

Matthieu 5, 3-12,

1 Jean 3, 1-3,

Apocalypse 7, 1-14

Artisans de paix ?

Ce dimanche coïncide avec la fête de la Toussaint, célébrée par nos frères catholiques.

Les Réformés se sont détachés de ce type de commémoration et des rituels qui vont avec, considérant que ceux qui sont morts dans la foi, sont déjà auprès du Père.

Mais il n’est pas interdit de passer un moment de recueillement au cimetière devant la tombe de ceux de nos familles qui nous ont précédés dans ce voyage, sans pour autant faire de nous des idolâtres.

Hasard du calendrier, les Réformés préfèrent porter leur attention sur le 31 Octobre, non pas pour célébrer Halloween mais pour commémorer l’affichage des 95 thèses de Luther sur les portes des églises de Wittenberg, en 1517, considéré comme l’évènement initiateur de la Réforme.

Mais ce 1er Novembre 2020 sera un Dimanche assez pesant, compte tenu des événements de ces dernières semaines qui ont vu un compatriote, des frère et sœurs en Christ, assassinés dans des conditions indicibles (Horribles ? atroces ? barbares ? sauvages ?) aucun de ces mots, à force d’être employés ne peut traduire notre sidération. Le mot qui me vient est « inhumaines », leurs auteurs, par leur acte, s’étant retranchés de la communauté des hommes.

Karl Barth recommandait de préparer une méditation, la Bible dans une main, et un journal dans l’autre. Il est des jours où l’on préfèrerait laisser le journal sur son présentoir, tant nous sommes contraints de constater la charge de violence véhiculée par nos sociétés, et qui semble s’intensifier comme le long d’une spirale descendante conduisant les humains à de moins en moins d’humanité.

L’occident a connu le Moyen-Age, présenté par certains historiens comme « l’Age Sombre », puis est venue la Renaissance, puis le Siècle des Lumières, puis la Déclaration des droits de l’Homme, comme autant de marches d’escalier élevant les sociétés humaines dans l’échelle de l’Humanité. Puis nous avons connu les folies meurtrières du 20° siècle[1]. Serions–nous revenus au Moyen-Age ?

Alors, comment casser cette spirale mortifère ? Se rappeler, par exemple, cette phrase de l’apôtre Paul : Tout est permis mais tout n’est pas utile, tout est permis mais tout n’édifie pas[2], et par nos actes et nos paroles contribuer aussi modestement que cela soit, à faire remonter nos contemporains, un à un les barreaux de cette échelle.

Les lectures qui nous sont proposées pour ce dimanche, prévues de longue date, ne répondent pas directement aux enjeux et défis posés par ces évènements tragiques.

Après la lecture du chapitre 7 de l’Apocalypse, il n’est pas sûr que des exhortations pour nous aujourd’hui soient discernables. Sauf si l’on se rappelle ceci :

* Le livre de l’Apocalypse a été écrit à la toute fin du 1° siècle (en 95 ?), donc après la destruction, en 70, du temple (et de Jérusalem) par les Romains, suite à l’insurrection dite « guerre des juifs », devenue une véritable guerre de libération, qui se terminera par la chute de la forteresse de Massada en 73 et le suicide collectif d’un millier de zélotes. Dès lors, Israël en tant qu’état souverain, n’existera plus jusqu’en… 1947 !

* Après les persécutions de Néron, à cette défaite succédera une répression féroce par Domitien dont les premières communautés chrétiennes furent également victimes. Et comme si cela ne suffisait pas, en 79, l’éruption du Vésuve détruira Pompéi. Comment, alors, ne pas s’imaginer que la fin des temps est venue ?

* Jean l’évangéliste, refusant de se soumettre à l’empereur Domitien, dut s’exiler dans l’ile de Patmos, au large d’Ephèse.

* Le texte de l’Apocalypse est un langage codé, qui, sous couvert d’allégories, de scènes au caractère fantastique[3], s’adresse à des communautés vivant sous la menace constante de la répression. C’est donc un message de consolation et d’espérance, centré sur les « fins dernières » où le bien triomphera définitivement du mal et où ceux qui seront marqués du sceau se retrouveront dans la présence bienveillante du Seigneur et de son fils l’Agneau sauveur, pour l’Eternité.

Après le chapitre 6, ses 6 premiers sceaux, ses fameux 4 cavaliers, et le chapitre 8, avec ses anges aux 7 trompettes, le chapitre 7 ressemble à une oasis de clarté. Jean annonce enfin clairement à ses frères en désarroi ce qui va arriver « bientôt ». L’Apocalypse est un écrit de résistance[4] : Jean change les temps, les lieux, les noms : Il ne parle pas de Rome mais de Babylone, pas de l’empereur mais du dragon, pas du Christ mais de l’Agneau, etc…

Et la consolation vient avec l’annonce de cette multitude innombrable[5] qui proclame que son salut vient de Dieu et de son fils l’Agneau. Et cette multitude aura au préalable reçu sur son front la marque des serviteurs de « Notre Dieu » (v.3).

Voilà une référence claire, rassurante pour ses lecteurs, au baptême et à la croix tracée par certaines communautés sur le front du baptisé que l’on revêt d’un « vêtement blanc ».

Ce vêtement rendu blanc car lavé au sang de l’Agneau, cela peut paraitre encore du langage abscons.

Mais pour Jean l’image est claire, il s’agit de ceux qui ont déposé leur fardeau de souillures au pied de la croix et qui se trouvent ainsi blanchis par le sang sacrificiel et rédempteur de Jésus, comme le larron à qui Jésus promet, sur la croix, En vérité, je te le dis, aujourd'hui tu seras avec moi dans le paradis (Luc 23, 43).

Mais Jean est juif et les communautés qu’il a créées[6] sont des communautés « judéo-chrétiennes », régulièrement chassées des synagogues, ce qui ne l’empêche pas d’annoncer que les premières à recevoir le sceau des serviteurs de Dieu seront toutes les tribus du peuple hébreu, rappelées par ce nombre : 12 au carré, indiquant la complétude des rachetés, y compris la diaspora[7], très nombreuse à cette époque de pogroms avant la lettre (v.8).

Ainsi, Jean annonce que le peuple hébreu est lui aussi au bénéfice du pardon divin, et que c’est par lui que nous-mêmes, les païens de tous les pays, tous les peuples, toutes les langues, faisons, depuis la première Pentecôte, partie des rachetés, désormais fils et filles de Dieu, frères et sœurs du Christ.

Mais qui compose exactement cette « très grande foule » (v.9) ? Ceux marqués du sceau du baptême ! Certes, mais seulement eux ?


C’est Matthieu qui nous donne la réponse, dans les béatitudes que nous avons lues ce matin :

Ce sont tous les « pauvres de cœur », les doux, les justes, ceux qui sont enclins au pardon, et surtout les « artisans de paix ».


Et il se peut que la cohorte des baptisés trouve à son côté des « compagnons de route »[8] qui, sans le savoir, contribueront eux aussi à l’avènement du Royaume, ici et maintenant.


Et des artisans de paix, il n’y en a pas pléthore. On rencontre plutôt des responsables, des gouvernants, prêts à montrer leurs muscles, se complaisant dans la provocation et la surenchère.


A cet égard, dans le contexte actuel, l’intervention de Justin Trudeau, 1° ministre canadien, répond bien à cet enjeu de respect du prochain et de son altérité, prérequis de relations pacifiées :

« Nous allons toujours défendre la liberté d’expression, mais la liberté d’expression n’est pas sans limites. Nous nous devons d’agir avec respect pour les autres et de chercher à ne pas blesser de façon arbitraire ou inutile ceux avec qui nous sommes en train de partager une société et une planète. Nous sommes dans une situation où les tensions s’enflamment, la rhétorique s’emporte et nous nous devons d’être à l’écoute et de travailler dans le calme pour empêcher un accroissement des tensions dans le monde. »

Evidemment, cette déclaration a suscité nombre de protestations, exigeant sa démission immédiate.

Et puis, il y a un autre artisan de paix, dont on aurait pu faire lire la lettre qu’il envoya aux instituteurs, en 1883 : Jules Ferry, ministre de l’instruction publique de la toute jeune[9] et très anticléricale III° République, promoteur des lois scolaires[10] rendant l’instruction : publique, gratuite, laïque et obligatoire, dans un contexte politique très tendu[11].

Vous en trouverez des extraits en annexe, assez en résonnance avec la déclaration de J. Trudeau, ce qui aurait pu atténuer les ardeurs de ses adversaires.


Ces artisans de paix, nous dit Matthieu, seront eux aussi appelés fils de Dieu, sans faire de distinction entre les uns et les autres. Et s’il advient que nous mettre au service du Seigneur provoque souffrances, persécutions, insultes, calomnies, nous avons une certitude, Dieu lui-même essuiera toutes les larmes de nos yeux (v.17).


Amen !


François PUJOL

[1] Considérant que les protestants libéraux ont une part de responsabilité dans ces folies, par leur accommodement avec les institutions humaines, K. Barth développera, dans sa monumentale Dogmatique, une théologie recentrée sur les Ecritures, qui sont l’interpellation que Dieu adresse aux hommes. La seule exigence posée au chrétien étant la recherche première du Royaume de Dieu et de sa Justice (Matthieu 6,33).

[2] 1 Corinthiens 10, 23

[3] Caractère accentué par les gravures sur bois d’Albrecht Dürer aux représentations tourmentées (les 4 cavaliers).

[4] On retrouvera ce type d’écrits chez les camisards, lors de leurs persécutions par les dragons de Louis XIV, avec également le retour des prophéties (voir Isabeau Vincent de Saou, près de Bourdeaux et les « petits prophètes des Cévennes).

[5] Que l’on ne peut compter : Référence tout aussi claire à la promesse du Seigneur faite à Abraham : « J’établirai mon alliance entre moi et toi, et je te multiplierai considérablement… Tu deviendras le père d'un grand nombre de nations. » (Genèse 17,2-4). De la Genèse à l’Apocalypse, la boucle est bouclée.

[6] Appelées « communautés johanniques », en Asie Mineure.

[7] Ce qui a donné lieu à diverses spéculations sur les 10 tribus perdues d’Israël, dont le retour sur leurs terres d’origine annoncerait l’avènement prochain de la seconde venue du messie, dans l’ultime réconciliation de l’humanité.

[8] Expression utilisée aussi pour d’autres compagnonnages.

[9] La IIIeme République fut définitivement proclamée en 1875, à une voix près (353 voix contre 352). Elle restera en vigueur jusqu’à ce qu’elle se saborde en 1940. Ce qui fait dire que les majorités les plus courtes sont les plus solides.

[10] Avec le soutien de son directeur de l'enseignement primaire, Ferdinand Buisson, protestant libéral, Prix Nobel de la Paix (1927) : un autre artisan !

[11] En particulier en 1880 l’interdiction de la Compagnie de Jésus, la dispersion et l’expulsion des congrégations religieuses, auxquelles il était dorénavant interdit d’enseigner.