Prédications Protestantes dans les Alpes du sud 

Dimanche 5 novembre 1922 à Montélimar

Centenaire de la Société des Missions

Lectures du Jour :

Psaume 22, 13-35

Marc 9, 20-29

Tout est possible à celui qui croit (Marc 9-23)

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Mes frères, nous sommes appelés à célébrer aujourd'hui la fête de la Réformation et tout à la fois le Jubilé centenaire de la Société des Missions en pays païen. Dans ce rapprochement est la démonstration de la valeur, de la puissance, de la vitalité d'une religion qui eut la réputation d'être vaincue, écrasée, réduite à rien. C'est l'histoire d'un peuple quasi anéanti et toujours debout. C'est, plus encore, le témoignage que Dieu se rend à lui-même, en maintenant au cœur de quelques-uns la flamme indestructible de la foi, en poursuivant à travers les oppositions ou les reculs de l'histoire humaine, l'histoire divine de la rédemption du monde.

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Une religion vaincue mais toujours puissante :

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Associons-nous de tout cœur à cette manifestation. Trouvons-y l'occasion de la reconnaissance envers Dieu. Prenons-en prétexte pour renforcer notre foi. Si jamais notre protestantisme français parut affaibli, donna l'impression d'une œuvre manquée, pour ainsi dire agonisante, ce fut bien à cette époque, 1820, sous le règne de Louis XVIII, en pleine Restauration, alors que l'influence cléricale de la "Congrégation" était prépondérante dans le pays.

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Sans doute, il n'y avait plus de persécution d'État. Nous étions légalement reconnus, nous étions administrativement reconstitués ; nous avions, dans une certaine mesure, gagné la partie sur le terrain de la pensée : la question de la liberté de conscience avait été résolue dans notre sens ; nous avions même été les instruments d'une rénovation des mœurs chez ceux-là-mêmes qui nous persécutaient. Mais de quel prix n'avions-nous pas dû payer ces résultats ? Quelle faiblesse sociale, faiblesse spirituelle aussi.

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Alors qu'au commencement du 17° siècle notre religion s'étendait, avait déjà gagné à peu près la moitié du royaume, au commencement du 19°, après trois siècles de persécutions ininterrompues et combien efficaces, il ne restait plus de nous que quelques centaines de mille. Beaucoup d'autres, les plus audacieux sinon les plus intraitables, avaient trouvé si bon accueil en pays étranger que désormais leurs fortunes, leurs talents, leurs industries devaient donner à ces pays de nouveaux éléments de prospérité et en priver par conséquent notre propre pays.

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Quant à ceux qui restaient fidèles au pays et à la foi, on peut croire que, déshabitués de se courber sous les lois d'oppression, peu disposés à une audace qui avait coûté si cher à leurs pères, trop heureux de vivre enfin dans la paix et la sécurité, certainement amollis par les douceurs d'un régime de liberté trop longtemps attendu, on peut croire que leur principal souci de ne se point faire remarquer, de se glisser subrepticement à travers la foule condescendante, en un mot, de se déclarer satisfaits à n'importe quel prix. La privation d'assemblées religieuses et de pasteurs les avaient laissés sans besoin religieux, sans souffle spirituel. À ce sujet, rappelons les témoignages sur ce point du pasteur Boissard : "Imaginez à Paris, disait-il, une population de 10 000 âmes, dont 50 à 100 se rendent régulièrement au culte.

Et cet autre témoignage du pasteur Gonthier, de Nîmes : "Pas un homme ne communie." Ajoutez-y celui de l'illustre Samuel Vincent : "Les pasteurs prêchaient, le peuple écoutait, le culte conservait ses formes. Hors de là, personne ne s'en occupait, personne ne s'en souciait et la religion était en dehors de la vie de tous."

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Vous aurez ainsi un tableau exact et combien triste de la situation du protestantisme français au commencement du 19°siècle.

Eh bien ! Sous ces apparences de mort, la vie, comme recueillie et concentrée en l'âme de quelques-uns, allait surgir.

Tel un arbre qu'une foule maladroite et malfaisante a coupé au ras du sol, mais en laissant pourtant ses racines intactes, la Réforme, un instant maitrisé, allait projeter de nouveaux surgeons plus vigoureux et vivaces.

L'œuvre des missions en pays païen est l'un de ses rejetons vigoureux. Elle illustre admirablement la pensée apostolique : "Dieu a choisi les choses folles du monde pour confondre les fortes ; Dieu a choisi les choses viles du monde, celles qu'on méprise, celles qui ne sont rien, pour réduire à néant celles qui sont."

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Ainsi se vérifie la promesse audacieuse du Christ : "Tout est possible à celui qui croit"

Oui, en dépit des oppositions, des ruines, tout est possible, tout, de multiplier en France, les preuves d'une vitalité toujours sûre, de dresser des œuvres de charité ou de conquêtes.

Tout est possible, même cette folie de s'en aller au loin, à l'extrémité du monde porter l'Évangile. C'est folie, sans doute ! Mais c'est possible puisque cela est.

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Qu'a-t-elle donc pu faire cette œuvre des Missions constituée le 4 novembre 1822 ?

Elle a d'abord donné au monde, et à nous-même, la preuve de l'unité d'esprit de la Réforme. Et ce n'est pas là un moindre service qu'elle ait rendu à la cause de la Réforme.

La Réforme était accusée- elle l'est encore - d'être par principe, dans son essence, un élément de dissociation, une cause d'éparpillement, un ferment d'anarchie. Le libre examen, qu'elle invoquait comme méthode, devait conduire à un individualisme excessif, outrancier. Opposé au principe d'autorité qui maintient l'unité de connaissance, l'unité de la foi, elle devenait dangereuse pour la société, dangereuse aussi pour la foi. "Tout Protestant est pape une Bible à la main" a-t-on dit de nous. C'est à dire chacun est sa propre autorité, principe qui conduit fatalement à la dispersion, à la désagrégation. Preuve en soit les sectes innombrables du protestantisme.

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Et voici l'œuvre missionnaire qui vient, bien mieux que toutes les controverses philosophiques, donner la réponse péremptoire aux adversaires, en même temps que calmer nos propres craintes.

Avant même la constitution du premier Comité des Missions, les hommes animés de l'esprit apostolique, venus des horizons ecclésiastiques les plus divers, se rejoignaient dans la même préoccupation d'apporter aux païens le Salut de l'Évangile. Nous retrouvons à l'origine de ce mouvement, parmi toute une élite religieuse, un pasteur de l'Église Réformée de Paris, qui devait devenir l'un des fondateurs de l'Église Libre de France, Frédéric Monod, un pasteur anglais congrégationaliste Marc Wilk, un savant professeur alsacien, membre du consistoire luthérien Kieffer ; un écrivain suisse Staffer théologien, moraliste et diplomate dont la descendance fixée en France devait y servir avec éclat l'Église et l'Université.

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Ces personnalités si diverses exprimèrent, dès le début, un caractère international et inter-ecclésiastique - ou, pour mieux dire supra-national et supra-ecclésiastique à l'œuvre en formation.

Aucune préoccupation particulariste chez eux ; le seul souci de propager en union d'aspect et de cœur, d'efforts, de prières, de sacrifices, l'Évangile du Salut.

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Ne nous étonnons pas dès lors que toujours et aujourd'hui encore la Société dont nous fêtons le centenaire revendique comme titre d'honneur d'être le trait d'union entre toutes les manifestations religieuses du protestantisme français

Son président actuel n'écrit-il pas dans la brochure publiée dernièrement : sur les "origines" de la mission : "Notre société aurait souscrit sans réserve à la déclaration placée sur une autre société missionnaire à la base de sa constitution : "Comme l'union des chrétiens de diverses dénominations pour travailler à cette grande œuvre est un objet très désirable, et en même temps pour prévenir toute cause de discussion dans l'avenir, nous déclarons que le principe fondamental de la Société des Missions, c'est que son dessein n'est point d'apporter... telle ou telle forme d'organisation ou de gouvernement ecclésiastique (point sur lequel on peut différer d'opinion) mais de répandre le glorieux Évangile de notre Dieu parmi les païens. On laissera donc à ceux que Dieu pourra appeler au service de son Fils parmi les païens la liberté de choisir pour eux-mêmes la forme ecclésiastique qui leur paraîtra s'adapter le mieux à leur compréhension de la Parole de Dieu."

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Cent ans après, ces principes restent toujours les nôtres.

Et c'est ainsi, mes frères que protestants réformés, méthodistes, luthériens ou autres, se trouvent associés dans la grande œuvre missionnaire réalisant l'Union Sainte, la communion des Saints. L'Unité protestante apparaît là indéniable.

Tant il est vrai que là où est la foi, là aussi se retrouve l'amour et que l'amour est victorieux de tous les obstacles. Tout est possible à celui qui croit pour l'amour de celui en qui il croit.

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Ce que l'œuvre missionnaire a pu faire encore en faveur de la Réforme ébranlée, c'est de lui rendre le prestige du nombre.

Sans doute gardons-nous soigneusement de l'idolâtrie du nombre, majorité et vérité sont choses qui ne vont pas toujours d'accord. Mais vous savez quel argument aisé est tiré du nombre. Puisque vous êtes si peu, nous dit-on, c'est que votre religion n'a pas de prise, pas d'action ; elle ne répond pas aux besoins du cœur humain, en tous cas, pas aux besoins de l'âme française : voyez toute la masse de France est hors de vous, et l'on ajoute : rien d'étonnant à cela : votre religion est d'importation étrangère. On oublie seulement de dire pourquoi la Réforme n'a pas tenu en France. Supposez alors que le jour vienne, et il vient, où la Réforme grâce aux conquêtes obtenues, pourra présenter un chiffre d'adhérents supérieur à celui des autres dénominations, et du même coup le respect que l'on accorde au nombre nous est assuré. Déjà sur les 500 millions de chrétiens que compte l'humanité, 195 millions sont protestants, 200 millions catholiques, 100 millions chrétiens orthodoxes.

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Pour sa part, la Société des Missions de Paris a accru notre nombre de 82000 communiants : membres communiants, dis-je, et pour qui sait avec quelles précautions, sur quelles garanties sont admis les membres communiants issus de l'œuvre missionnaire, quel triage, par conséquent, a été fait, il n'est pas difficile d'admettre que c'est par centaines de mille qu'il faut compter les adhérents de principe à la foi évangélique.

Quelle puissance de propagation a donc l'Évangile , quelle puissance est celle de la Vérité qui, en dépit des préjugés de race, des difficultés de langue, des oppositions de civilisation, rassemble dans un même bercail, sous la conduite d'un même berger, des multitudes si diverses.

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"Il en viendra de l'Orient et de l'Occident, du Nord et du Midi, et tous confesseront le Fils à la gloire de Dieu le Père."

"Tout est possible à celui qui croit" même de gagner, petit à petit, dans la patience et dans la foi, toute âme d'homme. "J'attirerai tous les hommes à moi" disait Jésus.

Mais la Réforme a trouvé dans l'œuvre missionnaire bien plus encore. Elle y a trouvé le ferment de piété hors duquel une religion n'a pas de raison d'être.

Ignorez-vous, en effet, mes frères le reproche d'intellectualisme fait à la Réforme ? C'est une religion faite pour le cerveau, nous jette-t-on. Seule la raison, l'intelligence, y a sa part et y trouve peut-être satisfaction. Mais il n'y a pas de piété véritable, de sentiments religieux bien profonds, il n'y a pas de flamme mystique qui brûle perpétuellement. J'entendais tout récemment rapporter ce trait : Dans une réception officielle à l'Élysée, avant la séparation de l'Église et de l'État, le cardinal archevêque de Paris attendait d'être introduit. À côté de lui se trouvait le président du Consistoire réformé de Paris. Voulant peut-être être aimable, le cardinal adressa la parole au président du Consistoire : "Je passai ce matin devant votre temple de l'Oratoire, et je vis, toutes portes ouvertes, qu'on y installait des poêles. Il fait donc bien froid, chez vous, monsieur le Président.

À quoi le président interpellé répondit avec un à propos fort spirituel :"Je passais dernièrement devant la Madeleine, et je vis, toutes portes ouvertes, quantité de bougies allumées : il fait donc bien obscur chez vous, Monseigneur."

N'importe, le coup était porté. Il fait bien froid chez nous, dans tous les sens s'entend.

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Eh bien, ceux qui n'ont qu'une piété huguenote rigide, austère, toute intérieure et manquant de rayonnement, regardent nos missionnaires et nos convertis des Missions, qu'ils les écoutent parler, qu'ils les voient partir, qu'ils les suivent dans leurs champs de travail, qu'ils lisent leurs lettres toutes remplies çà et là d'inquiétude, çà et là de lassitude, mais inquiétude et lassitude ordinairement provoquées du fait des chrétiens d'Europe et toujours dominés par une assurance invincible et une assurance renouvelée, et ils croiront à une ferveur, à une piété indéniable.

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Nous-mêmes mes frères dont la piété en effet se paie trop souvent de mots, qui ne connaissent que par ouï-dire les réalités dénommées renoncements, sacrifices, luttes, conversions, vie chrétienne vécue, nous avons dans l'œuvre missionnaire, dans les ouvriers lointains que nous déléguons là-bas, parfois même à regret, et même dans les humbles noirs nouveau-nés de l'humanité régénérée, en ceux-là nous avons un exemple qui à la fois nous condamne et nous réconforte, nous humilie et nous élève, qui réchauffe en un mot notre piété et raffermit notre ferveur.

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En faut-il plus, mes frères pour légitimer la fête d'aujourd'hui ?

Ordinairement nos fêtes de la Réformation sont la glorification du passé... comme si notre histoire, notre glorieuse histoire, n'avait qu'un chapitre à jamais clos. Grâce à Dieu nous avons une gloire actuelle. Nous avons des faiblesses, nous avons des hontes, oui. Humilions-nous-en. Mais nous avons des gloires et parmi elles l'une des plus nobles et des plus pures est celle que nous devons à l'œuvre missionnaire. Cent ans ont passé depuis le jour où une petite flamme, pas même, un tison brilla parmi les cendres d'une religion vaincue.

Mais le tison cent ans durant continua de briller, il flamba même, il enflamma autour de lui tout ce qu'il toucha. Ce furent cent ans de victoire.

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Non, notre religion n'est pas vaincue. Une espérance indéracinable la soutient toujours, une foi invincible l'anime sans arrêt. Elle n'a pas cru impossible de conquérir la terre, elle s'est avancée jusqu'aux extrêmes limites du monde.

Oh, si seulement elle pouvait maintenant atteindre nos cœurs.

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"Tout est possible à celui qui croit."

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Amen !