Prédications Protestantes dans les Alpes du sud 

Dimanche 28 octobre 1928 à Montélimar

Collecte annuelle pour les affligés & Culte de la Réformation

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J'ai été saisi par Jésus-Christ (Philippiens 3-12)

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Fr. et S. , une tradition s'est depuis longtemps établie qui nous oblige à célébrer à cette date, la plus proche du jour mémorable où Luther se sépara résolument de l'Église Romaine, à célébrer, dis-je, la mémoire de nos pères, à retracer les hauts faits de quelque martyr ou à nous retremper dans l'esprit même qui anima les héros de la conscience et de la foi. Bienfaisante, utile tradition, bien faite pour jeter sur nos existences et sur notre piété un jour cru et démontrer la nécessité d'un retour à une religion plus stricte, à une consécration plus entière, à un service plus complet.

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Mais pour plus suggestif que soit l'exemple des pères, plus stimulante que soit leur attitude, il y a par derrière leur personnalité une personnalité qui les domine, qui les anime aussi, qui fait d'eux ce qu'ils sont, qui ne peut disparaître sans que, du même coup, ils disparaissent aussi et ne se trouvent ramenés au niveau des pauvres hommes accomplissant de pauvres actions humaines : je veux parler de Jésus-Christ. Une fois de plus, en eux, est faite l'application du mot si juste et si redoutable : "Hors de moi, vous ne pouvez rien faire." - "Hors de moi, vous n'êtes rien."

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Oui, en vérité supprimez Jésus-Christ et des huguenots, des prédicateurs, des martyrs il ne reste rien. Si Jésus-Christ ne les avait pas subjugués, saisis, ils ne se fussent pas levés. La Réformation n'est que le retour à Jésus-Christ. Son mot d'ordre, sa devise, aussi bien que le mot d'ordre et la devise de chacun de ses adeptes est celui-ci : Saisi par Jésus-Christ.

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C'est pourquoi, frères et sœurs, en ce jour anniversaire, en ce jour de commémoration de nos origines, pour rendre à notre piété sa vigueur, il m'a paru qu'à travers nos ancêtres et en suivant leur exemple, nous ne pouvions mieux faire que de nous mettre au bénéfice de cette forte parole, de cette pensée génératrice de foi et de sacrifices : "J'ai été saisi par Jésus-Christ." À l'exemple de nos pères offrons-nous à l'action Sainte du Fils de Dieu. En nous alors revivra leur esprit ; à notre tour nous deviendrons dignes de ce qu'ils ont été capables de faire et ce qu'ils ont fait.

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* Saisis par Jésus-Christ... Oui certes ils le furent pleinement : la personne du Sauveur leur apparut digne d'admiration, d'hommages, d'adoration. C'était pour eux une vision d'autant plus belle qu'elle était toute nouvelle. Leur émotion ne risquait pas d'être émoussée, leur sentiment défraîchi par une contemplation habituelle. En eux, se reproduisaient les sensations éprouvées par les premiers témoins de la vie du Maître de Nazareth, car eux aussi le voyaient pour la première fois ; il sortait, se dégageait, émergeait au-dessus des obscurités qui le cachaient précédemment. Comme aux jours de sa chair, "Jésus se distinguait des autres hommes par une parole pleine de charme, de sagesse, par son "verbe divin", par un visage, un regard empreint de la marque céleste, par des actes d'amour et de puissance impossible aux pécheurs qu'il côtoyait, ainsi se présentait-il aux âmes pieuses du 16° siècle déchirant le voile qu'une piété formaliste, superstitieuse, matérialiste avait tissé autour de sa personne comme un linceul destiné à l'ensevelir. On avait bâti en son honneur, pensait-on, des sanctuaires, des cathédrales, véritables palais où la pierre devait célébrer la gloire de l'esprit ; on avait peint son image sur des toiles aux couleurs brillantes, on avait sculpté des épisodes de sa vie sur des bois très riches, on l'avait entouré, enveloppé, submergé d'une cour innombrable de saints et de saintes ; on l'avait orné d'une mère divinisée, on l'avait traité de telle sorte qu'il disparaissait derrière ses attributs. Le regard anxieux le cherchait sans le discerner, l'âme inquiète le réclamait mais ne le rencontrait pas. Alors, avec une vigueur que l'on s'explique sans l'excuser toujours, la Réforme brisa les images, se détourna des "Saints", vida les Églises de leurs ornements et y installa la Parole, la Parole révélatrice de la pensée divine, la Parole document de la Loi divine, la Parole traductrice de l'amour divin, la Parole faite chair en la personne de Jésus-Christ.

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Ce fut une lumière déchirant les ténèbres. Ils le virent enfin, ils le connurent, Lui, ils le reconnurent ce "Désiré" de leur cœur, longtemps attendu, longtemps perdu et ils l'adorèrent.

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Entre mille et mille documents entendez ce que Calvin dit du nom donné à Jésus : "Ce que nous avons dit de Notre Seigneur Jésus, se doit rapporter à ce but qu'étant damnés, morts et perdus en nous-mêmes, nous cherchions absolution, vie et salut en lui ; comme nous sommes enseignés par cette sentence notable de St Pierre, qu'il n'y a autre nom sous le ciel donné aux hommes auquel (par lequel) ils puissent être sauvés." Et de fait, ce n'a pas été de cas fortuit (par hasard) ou a l'appétit des hommes (sur un désir humain) que le nom de Jésus lui a été imposé : mais il a été apporté du ciel par l'ange étant envoyé (comme) héraut de décret éternel et inviolable, voire en ajoutant la raison, qu'il était envoyé pour sauver le peuple, le rachetant de ses péchés.

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Le nom de Jésus n'est pas seulement clarté mais aussi viande (nourriture) parallèlement qu'huile et confiture sans laquelle toute viande est sèche ; que c'est le sel pour donner goût et saveur à toute doctrine, qui autrement serait fade. Bref, que c'est miel en la bouche, mélodie aux oreilles, liesse au cœur, médecine à l'âme ; et que tout ce qu'on peut disputer n'est que fadaise si ce nom n'y résonne ; mais il est requis de bien considérer comment il nous a acquis le salut afin que non seulement nous soyons persuadés qu'il en est l'auteur, mais qu'ayant embrassé tout ce qui appartient à bien et fermement appuyer notre foi, nous rejetions toutes choses qui nous pouvaient distraire çà et là."

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Ah ! Qu’à l'ouïe de ces propos l'âme fidèle devait se réjouir ! Que lumineuse à ses yeux devait se reproduire la parole de l'apôtre... qu’au nom de jésus tout genou fléchisse et que toute langue confesse qu'il est Seigneur à la gloire de Dieu le Père !

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Mais cette découverte des premiers Réformés n'est-elle pas, de nos jours, utile à faire, à refaire. Pensez-vous, fr. et s., que le nom de Jésus ne soit pas encore demeuré caché pour un grand nombre ? Vous est-il difficile d'imaginer la multitude qui ne le connait pas, qui peut-être n'a pas même entendu prononcer son nom, qui sûrement ignore ce qu'il contient, ce qu'il apporte, ce qu'il proclame ? Sont-ils bien loin de nous ceux sur les yeux desquels le monde, avec sa fausse science, ses fausses jouissances, sa fausse religion a jeté un voile ? Ne pourrait-il encore, le Christ prisonnier de tant d'erreurs, de tant de préjugés, de tant d'oppositions, ne pourrait-il faire entendre la juste plainte : "Il y a longtemps que je suis avec vous... Et vous ne m'avez pas connu ?" Mais le monde entier, avec sa vaine manière de vivre, notre siècle venant s'ajouter aux siècles passés est une démonstration de l'aveuglement insensé qui dérobe le Christ à sa vue. Et nous Protestants, nous chrétiens, nous fils de la Réforme, l'avons-nous, nous du moins, l'avons-nous gardé devant nos yeux ce Christ Sauveur, de beauté souveraine, est-il pour nous... miel dans la bouche, mélodie aux oreilles, liesse au cœur, médecine de l'âme ?

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Ah ! Que sa parole soit prêchée, sa vie racontée, son message annoncé, sans doute... mais Lui, Lui son être réel, vivant, agissant, est-il connu ? Notre inertie, notre impuissance disent assez ce qu'il reste encore à apprendre. Quelles découvertes nouvelles nous sont proposées pour nous rendre digne de la Réforme... ce retour à Jésus-Christ.

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** Aussi bien une description de Jésus-Christ, une vision de Jésus-Christ ne saurait-elle nous empoigner, nous saisir que si nous parvenons à une connaissance profonde de la valeur réelle de sa personne. Ce n'est certes pas dans les limites d'une méditation de ce genre que nous pouvons donner un aperçu complet de cette valeur, de ce trésor de grand prix. Mais du moins en indiquant sous quel angle il est apparu aux premiers Réformés, saurons-nous en quoi il leur a été précieux et pourrons-nous juger par comparaison, de l'attitude que nous-mêmes avons à tenir à son égard.

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Or pour nos pères la révélation de Jésus-Christ a été révélation de pardon, de justification, de justice satisfaite. Il y a au cœur de tout homme, déposé par Dieu, et que le père de mensonge n'a pas réussi à étouffer complètement, un instinctif besoin de justice. Toute justice est en Dieu...

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Mais toute justice n'est pas en l'homme. C'est la vieille, la très vieille, éternelle histoire ainsi racontée par l'un de ces hommes : "Malheureux que je suis... je ne fais pas le bien que je veux et je fais le mal que je ne voudrais pas... Qui me délivrera ? "

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Il y a donc conflit, opposition ou tout au moins rupture entre l'homme et le Loi de justice, entre l'homme et Dieu qu'il sait vouloir la justice parfaite, la Sainteté. Alors l'homme cherche de quelle façon, par quel objet, au moyen de quel sacrifice il pourra satisfaire la justice comment il pourra compenser les déficits de sa nature corrompue : il fait appel à ses sentiments, à ses actes, il s'ingénie pour en augmenter le nombre, il s'enquiert de leur valeur, il accomplit des sacrifices, il multiplie ses œuvres bonnes, il se recommande des œuvres surérogatoires de ceux qu'il croit meilleurs que lui, il se tourmente, il se torture, il n'arrive point à la paix, ou, quand il y parvient, ce n'est que pour un temps jusqu'à ce que dans un éclair nouveau la vérité lui apparaisse et qu'il finisse par s'écrier avec angoisse : "Mon péché ! Mon péché ! " Pénitences, humiliations, sacrifices, bonnes œuvres, si tout cela n'est rien et ne sert à rien, que reste-t-il donc et que faut-il donc ? Il reste et il faut - et c'est suffisant : Jésus mort pour nos péchés et ressuscité pour notre justification." L'Écriture, dit Calvin, pour mieux déterminer le moyen de notre Salut, spécifie notamment que « notre Salut git en la mort de Jésus-Christ - et Luy prononce qu'il donne son âme en Rédemption pour plusieurs » ; et selon le témoignage de St Paul, il est mort pour nos péchés. Jean-Baptiste prêchait qu'il est venu pour enlever les péchés du monde, d'autant qu'il est l'Agneau de Dieu. St Paul, en un autre passage dit que nous sommes gratuitement justifiés par la Rédemption qui est en Christ, parce qu'il nous a été donné pour réconciliation en son sang. Item, nous sommes justifiés en son sang et réconciliés par sa mort. Item, que celui qui ne savait que c'était de pécher a été fait péché pour nous afin que nous fussions justice de Dieu en Lui.

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Et, ajoute Calvin, je ne poursuivrai point le tout parce qu'il y aurait un rôle infini."

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Et devant ces affirmations de la Parole divine, devant ce fait divin de la croix sur laquelle le Christ fut cloué pour nos péchés, le croyant Réformé abandonne toute prétention à ses mérites, il croit à la faveur divine, il croit à la grâce, il croit au pardon. Et sa foi nouvelle le rassure, l'apaise, le justifie: c'est la justification par la foi. Vous étonnerez-vous, frères et sœurs, que croyant cela, voyant en Jésus-Christ le seul médiateur capable d'abolir le divorce entre Dieu et l'homme, vous étonnerez-vous que nos pères aient été saisis par Jésus-Christ, qu'ils soient livrés tout entiers, corps et âmes, à ce Sauveur qui le premier s'était livré pour eux ?

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Ah ! Le contraire serait étonnant. Ce serait étonnant parce qu'ils avaient la foi en ce

Salut, en ce Rédempteur, la foi en la Justice éternelle de Dieu Saint et la foi en l'amour éternel de Dieu, de Jésus-Christ. Dès lors, ils appartenaient à Jésus-Christ. Il ne leur en coûtait pas de devenir ses esclaves.

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Que votre foi, m. fr. gagnerait à rejoindre leur foi...

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La mienne aussi

Amen !