Prédications Protestantes dans les Alpes du sud
Dimanche 31 Octobre 2021
Culte de la Réformation à TRESCLEOUX (05700)
Lectures :
Daniel 4, 1 à 27
Luc 14, 7 à 11.
Dimanche 31 Octobre 2021
Culte de la Réformation à TRESCLEOUX (05700)
Lectures :
Daniel 4, 1 à 27
Luc 14, 7 à 11.
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Pour ce temps de méditation et de lectures, je vous propose aujourd’hui ces deux textes choisis dans l’ancien et le nouveau testament, dans la traduction de Louis Segond, sur le thème du combat entre l’orgueil et l’humilité.
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Prédication
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Le contexte :
Frères et Sœurs, je commence ici cette prédication en reprenant et résumant le livre de Daniel, pour nous permettre de nous situer, mais aussi, pour nous permettre, ensemble, de comprendre ce qu’il en est dit couramment.
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Concernant l’Auteur de ce livre : Le livre de Daniel lui-même nous précise, au chap. 9, v. 2 et au chapitre 10, verset 2 également, que son auteur est bien le prophète Daniel, ce que reprendra plus tard Jésus, dans l’évangile de Matthieu, au chap. 24/v. 15. Nous sommes ainsi ici en face d’une affirmation : « Dieu juge », sens même du nom de Daniel, est bien écrit par celui que Dieu envoie pour annoncer une Parole divine que les hommes n’entendent plus, la fonction même du prophète étant celle-ci.
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La date de rédaction de ce livre : probablement entre 540 et 530 av. J.-C., après que Nebucadnetsar, roi de Babylone, ait conquis Juda, en 605 av. Jésus Christ, déporté beaucoup de ses habitants à Babylone, notamment Daniel, qui a servi à la cour de Nebucadnetsar et de plusieurs de ses successeurs. Le livre de Daniel raconte les actes, les prophéties et les visions du prophète Daniel.
C’est à la fois un ouvrage écrit après la captation d’un royaume, de terres, d’un peuple, et, a posteriori, la narration de plusieurs confrontations, en captivité, et de plusieurs éclats du sort qui vont conduire à la délivrance, narrations qui peuvent nous faire penser à d’autres textes relativement proches en termes de sens, que nous trouvons aussi dans l’ancien testament.
Je pense ainsi ici, particulièrement, à l’histoire de Joseph et ses Frères, Joseph enlevé, emprisonné, séquestré même auprès d’un Pharaon, qui va être libéré et relevé après avoir été épouvantablement blessé et rabaissé par ses frères et ses geôliers, car il a su interpréter les visions d’un homme de pouvoir et anticiper les malheurs à venir.
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Et de ce fait, même si la tradition nous présente ce livre de Daniel parmi plusieurs livres de prophètes, ce que nous pouvons en retenir est sa forme quasi-contale si je puis dire, ce texte fonctionnant, un peu à la manière des textes édifiants du moyen-âge chrétien, comme un texte picaresque, qui met en scène un héros malgré lui, chargé d’honorer un ordre, et de montrer qu’en le respectant, c’est l’ordre de l’univers que nous respectons, et que sans cet ordre-là, mis au défi par l’orgueil de toute puissance d’un Roi, le risque de déchéance est non seulement réel, mais celui de déchaîner la colère de Dieu, encore plus grand, avec toutes les conséquences dévastatrices que cela peut avoir.
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Le livre de Daniel commence ainsi un peu à la façon de ces textes d’édification que je viens d’évoquer : des prisonniers sont passés en revue, questionnés par le Roi, qui exerce un pouvoir total, y compris, celui de s’arroger les services de la population qu’il vient d’asservir. Et c’est ainsi qu’aux versets 19 et 20 du chapitre 1er, il nous est précisé – et je cite ici le texte :
« Le roi discuta avec eux et, parmi tous ces jeunes gens, il n’en trouva aucun comme Daniel, Hanania, Mishaël et Azaria. Ils furent donc admis au service du roi. Sur tous les sujets qui réclamaient de la sagesse et de l’intelligence et sur lesquels il les interrogeait, le roi les trouvait dix fois supérieurs à tous les magiciens et astrologues présents dans tout son royaume. »
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Le livre de Daniel va donc raconter l’héroïsme de ces quatre jeunes hommes, prisonniers juifs à Babylone : Daniel (Beltschatsar), Hanania (Schadrac), Mischaël (Méschac) et Azaria (Abed-Nego), dans une écriture bilingue, dont le début et la fin sont écrits en hébreu, mais la section centrale (2:8–7:28) est écrite en araméen.
Les chapitres 1 à 6 contiennent six récits, indépendants les uns des autres mais dont la structure narrative et la finalité sont récurrentes.
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Chaque chapitre nous permet, ainsi, d’apprendre que le roi fait un songe annonciateur, dont l’origine est l’expression d’un désir de pouvoir – désir de pouvoir qui va d’ailleurs croissant d’un chapitre à l’autre, et désir de pouvoir systématiquement mis en échec à la fois par un avertissement - c’est la fameuse interprétation du songe qu’en donne Daniel - et par une intervention divine, sauvant du malheur et de la mort ces quatre compagnons juifs, jeunes aristocrates et esprits élevés, qui n’abdiquent ni leur foi, ni leur conviction que Dieu est le plus fort, et que tout homme lui doit à la fois soumission et respect.
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Cela commence par l’édification d’une statue d’or à adorer, écho du veau d’or, puis l’apparition d’un message crypté annonçant la prise de Babylone, puis diverses annonces d’attaques par des animaux incontrôlables et enfin par un homme vêtu de lin, donc venant d’une autre contrée, annonciatrices de guerres.
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A l’image de Job, de David, de Salomon, Daniel et ses camarades de souffrance résistent, en ne cédant pas au chantage, à la peur, à la perte, au risque de la disparition.
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Quel est leur secret ?
Ce secret est-il leur force intérieure ? Ou bien, pourrait-il être leur fidélité à ce qu’ils ont hérité de leurs Pères ? Leur foi en un Dieu qui viendra juger les vivants et les morts. Un Dieu qui demeurera au-dessus des hommes, et auquel aucun homme ne pourra s’assimiler – c’est, me semble-t-il, en filigrane, l’un des messages de fond que Daniel renvoie au Roi. C’est facile à dire, n’est-ce pas ? Lorsque tout est calme autour de soi, que l’on vit dans une économie relativement prospère même s’il y a des difficultés évidentes et que la vie n’est pas lisse.
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Alors, qu’est-ce qui différencie vraiment, Daniel et ses frères d’armes, dans la foi ?
Un viatique avec des prières ? Une capacité à psalmodier en se disant que, coûte que coûte, ils seront des héros ? Qu’est-ce qui fait qu’ils n’abdiquent pas ? Qu’est-ce qui fait qu’ils ne cèdent pas au chantage ?
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J’insiste sur ce point car nous ne sommes pas en train de lire un roman chevaleresque.
Qu’est-ce qui fait que nous demeurons fidèles à ce que nous avons reçu, ou qu’au contraire, nous abandonnons la place comme nous savons le chanter dans ce psaume de combat : « Que Dieu se montre seulement ! ».
Oui, qu’est-ce qui fait la force de cet homme, si ce n’est d’avoir accepté, totalement, sans restriction, sans limite, de devenir l’instrument de celui qui Juge, de celui qui sait car il sonde les cœurs.
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Qu’est-ce qui fait que Dieu prend possession de Daniel ?
Ce Daniel qui devient l’instrument de la force divine dans une acceptation totale de ce qui lui a été enseigné, et de l’amour qu’il a pu porter à ce Dieu pendant sa période d’apprentissage.
Enfant, Daniel a bien sûr lu le pentateuque, les psaumes, il s’est peut-être identifié, dans son apprentissage, au jeune David, à l’héroïsme de Joseph – qu’en savons-nous ? Si ce n’est que nous savons qu’il était un homme, fait de chair, de sentiments, de passions, comme chacun de nous.
Au moment où ce jeune-homme est confronté à tant d’épreuves, Daniel a connaissance du combat de Jacob et il sait – il sait intimement - que ce combat mené au gué du Jabot, au cours duquel Jacob a fait face à Dieu – on pourrait même dire a affronté Dieu en lui demandant de PROUVER qu’il était Dieu – et bien Daniel sait que ce combat s’est traduit par une double victoire :
- La victoire d’un ordre divin, qui est ce qui apporte aux hommes le plus grand secours car ils savent, en le reconnaissant, qu’ils ne sont plus seuls,
- et d’autre part, la victoire de la conversion de Jacob, victoire de Dieu sur l’homme handicapé par ses craintes, ses colères, ses trahisons, ses errements, doutes et difficultés à reconnaître sa petitesse et sa faiblesse.
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Chers frères et sœurs, quelle inspiration ! Comme c’est émouvant de s’imaginer ce jeune Daniel, enchaîné, prisonnier, choisi parmi les prisonniers – j’ai envie de dire « sélectionné » - par ce tyran potentiellement bourreau – qui s’avance en ne lâchant rien de ce qu’il a appris : il est avec Dieu, Dieu est avec lui, et Dieu reste le plus fort.
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Au regard des dérives de notre Occident malade d’une sécularisation excessive, n’interprétons pas négativement cette formule : Dieu reste le plus fort, non pas pour justifier des guerres, mais tout au contraire, parce que nous avons besoin, pour tenir debout, d’un ordre du monde, d’une cohérence civilisationnelle, d’un cadre qui nous permette de nous penser dans un ordre du monde rassurant.
C’est le message implicite que, personnellement, je lis et je comprends à travers ce passage.
Je le reformule : nous ne sommes pas là pour nous servir de Dieu comme d’une science qui nous permettrait d’éclairer l’art de la guerre et du triomphe d’un roi sur les terres et les sujets qui l’environnent, mais au contraire, nous sommes là pour intérioriser cet ordre qui nous permet de trouver ou de retrouver une place, une fonction dans la société, paradoxalement parfois même à travers de terribles épreuves, des menaces de destruction et de mort imminente.
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Je me tourne ainsi, à ce moment précis de cette prédication, vers le Christ. Ce Christ qui nous apprend constamment, à travers toute son histoire, que, pour reprendre les termes mêmes de Paul, « la mort ne m’est rien », car « rien ne me séparera jamais de l’amour du Christ », affirmations que nous connaissons intimement.
Ce Christ qui semble avoir ces mots terribles : « quiconque s’élèvera sera abaissé, et quiconque s’abaissera, sera sauvé ».
Nous qui nous sommes raconté, depuis quelques décennies, que Christ est amour et qu’il n’est qu’amour, nous qui l’avons divinisé dans une eau de rose affective qui nous permet de somnoler, nous sommes embarrassés par ce Christ qui projette ce jugement – car il faut bien ici parler d’un jugement.
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Mais que ferions-nous si demain, pris dans les geôles de tyrans dictatoriaux, torturés, en proie à des chantages divers, nous étions appelés à leur apporter notre concours en mourant de peur ? Brandirions-nous seulement un discours sur l’amour du Christ, l’humilité, le refus du combat, le pseudo-pacifisme ? En aurions-nous seulement même l’idée ?
Ou aurions-nous alors à l’esprit la capacité politique de Daniel à commencer à vivre dans la dissidence, taupe en quelque sorte au cœur d’un pouvoir aussi monstrueux que répréhensible.
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Cette capacité politique de Daniel à dire ce qui doit l’être : « Roi, tu veux une statue d’or ? Tu veux gouverner le monde ? Être Dieu à la place de Dieu ? Alors s’élèveront devant toi des murs de résistance, des déchaînements incontrôlables, des forces telluriques qui viendront, sans que tu ne puisses comprendre pourquoi. Elles s’abattront sur toi, et tu devras rendre compte de tes actes. »
Et en disant cela, Daniel devient un mystérieux soldat de la foi.
Mystérieux, oui, car ce mystère appartient à sa force d’âme. Il a foi en ce qu’il a reçu. Il a foi en ce qu’il dit, et il ne le dit pas seul : il le dit avec la force de l’Esprit.
Frères et sœurs, chacun d’entre nous, en écoutant cette lecture, en méditant sur ce mystère de la foi, est renvoyé au Christ dont la foi dépasse et surpasse toute intelligence au point qu’il se laisse crucifier sans résister, certain de la Résurrection et de la Toute Puissance de son Père.
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Mais nous sommes aussi renvoyés à ces temps particuliers de l’histoire humaine au cours desquels des êtres se lèvent, se dressent – des êtres qui vont changer la face d’un Ordre, d’une histoire institutionnelle ou religieuse qui semblait définitivement établie, au point de considérer comme « normal » que des centaines d’ouvriers par exemple, meurent, au nom de la construction d’édifices à la gloire de l’Église, sous les chutes de pierres amassées pour bâtir des capitales de pouvoirs, d’exigences, d’adoration de robes, d’encens, de jubés, de pierres taillées, alors que Dieu nous demande au fond très peu, trop peu peut-être : rester fidèles à sa parole, commencer par ce tout petit peu qui fait de nous des êtres de cœur et d’esprit.
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Alors que Dieu nous demande, en tous temps et en tous lieux, de combattre les méfaits et les désastres de nos orgueils.
« J’ai béni le Très-Haut dit Daniel, j’ai célébré la louange et la gloire de celui qui vit éternellement, dont la domination est éternelle et dont la royauté subsiste de génération en génération. Les habitants de la terre, tous autant qu’ils sont, n’ont pas plus de poids que le vide. Il agit comme il le désire avec les corps célestes et avec les habitants de la terre. Il n’y a personne qui puisse lui résister et qui lui dise : Que fais-tu ? » (4, 31-32)
C’est avec cette proclamation de foi de Daniel, que nous avons lue au chapitre 4 du livre bien-nommé ce matin, que je vous souhaite et nous souhaite à tous, dans une profonde humilité, de parcourir ce dimanche, inspirés par ce chemin de vie, salvateur et salutaire.
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Amen !
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Marion Unal