Prédications Protestantes dans les Alpes du sud 

Dimanche 21 Janvier 2018

Cukte à GAP (05000)

Lectures du Jour :

Deutéronome 10, 14-19

Matthieu 25, 31-46

"Vous aimerez l’étranger, car au pays d’Egypte vous étiez étrangers"

Ainsi parle la Loi, sans tergiverser !

De quoi huer certains hommes politiques de notre pays qui n’aiment l’étranger qu’à dose homéopathique, « un ça va... » et les mettent dans des avions "charters" ou dans des camps de concentration qu’ils baptiseront du doux euphémisme de centre de rétention administrative, comme par le passé les centres de regroupements dont se souviendront les plus anciens d'entre nous.

On dira que c’est un peu facile d’invoquer du haut de la chaire un texte vieux d’au moins 25 siècles et de laisser aux techniciens de la politique le soin d’affronter les difficultés présentes. Les capacités d’accueil de notre pays ne sont pas extensibles à l’infini. La sagesse de Monsieur Prud’homme commande donc d’adapter les flux migratoires à ces limites. Voilà un raisonnement bien raisonnable et qui présente cet avantage qu’il nous met en paix avec notre conscience. "Distribuer sans compter du pain et des manteaux à la veuve et à l’orphelin", Dieu le peut sans doute ; mais nous ? A l’impossible nul n’est tenu.

L’inconvénient, c’est que pour limiter les flux migratoires, on crée artificiellement deux catégories d’étrangers : les réguliers et les irréguliers. Ceux qui ont des papiers et ceux qui n'en ont pas. En réalité ils en ont ! Plein ! Les Sans-papiers dit-on ! On devrait l'écrire cent, C-E-N-T ! Seulement ils n'ont pas le bon tampon de la bonne administration... Et il est bien évident que les plus pauvres et les plus démunis sont ces "irréguliers" à qui justement on claque la porte au nez. Drôle de manière d’aimer l’étranger et de rendre justice à la veuve et à l’orphelin. Il n’est pas sûr que Dieu se satisfasse de cette sagesse. Pour qu’il nous laisse tranquille, il n’y a qu’à lui claquer la porte au nez à lui-aussi. Il a l’habitude !

Autre inconvénient : une fois la notion de limite affirmée aussi vigoureusement dans le domaine économique, croit-on qu’il suffise de s’élever pudiquement contre les slogans simplificateurs de l’extrême-droite pour exorciser le complexe de "seuil de tolérance" de sa composante raciste ? Nous ne nous "sentons" décidément plus chez nous. Se sentir chez soi ? Dieu a décidément le don d’enfoncer le couteau dans la plaie ! la Loi dit : "Au pays d’Egypte, vous étiez vous-mêmes des étrangers".

Voilà ce qui est insupportable : une fois l’étranger dans nos murs, nous ne nous sentons plus chez nous. Sa présence nous rappelle de façon un peu trop criante que nous ne sommes nous mêmes que des étrangers dans notre propre pays. Pendant plus d’un siècle, nos villes se sont nourries de la foule des paysans exilés de leur terre par la rationalisation croissante de l’agriculture et par l’attrait des salaires réguliers de l’industrie ou de l’administration. J'imagine volontiers mon arrière grand-père Julien-Marie Olivier, ayant quitté le bocage de sa Bretagne natale et arrivant à Paris comme ouvrier cordonnier, ayant perdu tous ses repères. Ne se sentait-il pas étranger ? Sans parler de mon grand-père maternel, Sandor Neuvelt, quittant la Hongrie devenue fasciste et antisémite, pour venir s'installer dans la patrie des droit de l'homme, à la devise si belle : Liberté, égalité, fraternité. Sur la devanture du bureau de recrutement il avait lu : « Tout homme a deux patries : la sienne, et la France ! » Et il était arrivé un beau matin Gare de l'Est, avec deux mots de vocabulaire... Et aujourd'hui ça continue : des étrangers viennent chez nous... Mais aussi, nos jeunes s'expatrient, pour un temps limité ou définitivement : ma nièce vient de partir au Canada poursuivre ses études...

Mais quoi ! si l’homme a des pieds, c’est pour marcher et non pour prendre racine ! Des pages du vieux Livre émerge une figure d’émigré dont la troublante actualité nous devance : celle d’un Abraham qui quitte ses racines en réponse à une promesse et qui marche, mis debout par la foi. Pour notre part, vers quoi marchons-nous ? Vers quels possibles ? En réponse à quelles promesses d’avenir ? La vraie question est précisément celle des limites que nous assignons par avance au possible. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que la sagesse qui prévaut aujourd’hui en matière d’accueil de l’émigré a une fâcheuse tendance à réduire les possibles à une peau de chagrin.

Là encore, Dieu pointe son scalpel au plus sensible de la plaie ; la Loi dit : "Tes pères n’étaient que 70 quand ils sont descendus en Egypte, et maintenant le Seigneur ton Dieu t’a rendu aussi nombreux que les étoiles du ciel". "Aussi nombreux que les étoiles du ciel" c’est la promesse qui met Abraham en marche. Si Abraham supporte le déracinement auquel Dieu l’appelle, c’est seulement en raison de la promesse. Et s’il se met en marche, c’est seulement par la foi, c’est à dire en raison de la confiance et de la fidélité à l’avenir que lui ouvre Dieu. Si nous ne supportons plus aujourd’hui le visage de l’étranger que Dieu a placé dans nos murs, si l’image de notre propre déracinement que Dieu place ainsi sous nos yeux nous est devenue intolérable, c’est parce que nous vivons sans foi dans l’avenir qui nous est réservé ici-bas.

Les "trente glorieuses" qui suivirent la guerre furent des années de déracinement consenti par tous parce qu’il était porté par un projet de société ouvert sur l’avenir. Après l'enfer des années d'occupation, on ne pouvait aller que vers une société meilleure, plus fraternelle, de partage. On s'en sortirait tous ensemble. L’étranger y avait toute sa place non seulement parce que le travail ne manquait pas, mais aussi parce que le jeu social n’y apparaissait pas comme un jeu où ce que gagne l’un, l’autre le perd. Le déracinement était la règle commune : on déménageait facilement pour aller vers un avenir meilleur.

Ce qui est en jeu dans le débat présent sur l’immigration, c’est la foi avec laquelle nous envisageons notre propre avenir. Les fantasmes xénophobes qui hantent aujourd’hui notre société ne sont pour une bonne part que le reflet de notre impuissance à envisager pour notre pays un projet de société ouvert et intégrateur.

Nous en avons fini avec les lendemains qui chantent et il ne nous reste plus que ceux qui déchantent. A laisser la question des flux migratoires devenir le thème politique majeur de ce nouveau siècle, nous nous enfermons dans une absence fatale de perspectives.

Notre avenir est-il si fermé que cela que nous ne puissions y laisser entrer personne ? Si oui notre sort pourrait ressembler à celui de Lot se séparant d’Abraham de peur qu’il n’y ait pas assez de pâtures pour tout le monde. Prenons garde à ce qu’en rejetant l’étranger hors de nos murs, nous ne claquions pas la porte au nez de notre propre avenir.

Ces étrangers prêts à affronter tous les obstacles pour venir chez nous sont d’abord des paraboles vivantes de la persévérance dans le refus de la fatalité et de la mort. Ils témoignent ensuite d’une confiance dans les capacités d’avenir de nos sociétés. Suivant les traces d'Abraham, ils ont quitté leur pays, leur famille, pour aller vers ce pays où coulent le lait et le miel, où les rayons des supermarchés regorgent de nourriture abondante...

Ces étrangers qui se bousculent à nos frontières et qu’on accueille ne viennent-il pas pour nous voler notre pain, notre travail, nos avantages acquis ? Bien au contraire, pour la plupart, ils acceptent les travaux les plus durs, les moins bien rémunérés. Promenez-vous dans Paris aux petites heures du jour, et vous les verrez ramasser les poubelles, balayer les rues. Je ne vous referai pas le sketch de Fernand Reynaud...

« Venez, vous qui êtes bénis par mon Père, et recevez le Royaume qui a été préparé pour vous depuis la création du monde. Car j'ai eu faim et vous m'avez donné à manger ; j'ai eu soif et vous m'avez donné à boire ; j'étais étranger et vous m'avez accueilli chez vous » Matthieu 25, 34-35

Amen !

Michel OLIVIER