Prédications Protestantes dans les Alpes du sud
Dimanche 4 août 2013
Trescléoux (05)
Lectures du Jour :
Ecclésiaste 2, 21-26
Luc 12 13-21(Voir également méditations du 1-août-10 et du 4-août-19)
Colossiens 3,1-11
La richesse est bénédiction quand elle n’est pas égoïste
La première partie du texte de l’évangile de Luc que nous venons de lire est assez étonnante. On y découvre un Jésus étonnamment tranchant, presque brutal : Un homme de la foule qui s’était assemblée pour l’entendre lui demande simplement de dire un mot pour que justice soit faite dans une affaire d’héritage ; et Jésus lui répond sèchement que ce n’est pas son affaire, qu’il n’est pas sur terre pour régler des conflits matériels. Il ne prend aucunement en compte la détresse et le désir de justice de cet homme.
Pourtant cet homme s'adresse au Maître, à celui qui lit, comprend et interprète les Écritures, et est donc, comme il est d’usage pour un rabbin, celui qui dit le droit, qui dit ce qui est juste, dans tous les domaines. L'héritage en Israël est quelque chose de codifié par la Torah, quelque chose qui n'est pas laissé à la loi du plus fort. L'aîné reçoit la moitié du patrimoine, ce qu'on appelle "la part du lion", et les autres fils reçoivent le reste, la portion congrue, qu'ils se partagent entre eux. Grâce à ce système, les patrimoines ne pouvaient pas être dispersés. Vraisemblablement, cet homme de la foule est un cadet et il n'a même pas reçu la petite part qui lui était due. Il demande à Jésus, non pas de faire justice, mais simplement de dire le droit, de rappeler ce que la Parole de Dieu dit, ce que la Loi de Moïse ordonne à ce propos. Mais cet homme est rabroué par Jésus, rejeté avec une sorte de mépris, comme si les biens matériels étaient quelque chose de méprisable. Et c’est bien comme cela que l’on peut interpréter son commentaire : « Attention, gardez vous de toute avidité, ce n’est pas parce qu’un homme est riche qu’il a sa vie garantie par ses biens » ; en deux mots, n’attachez pas d’importance aux biens matériels….Et comme pour enfoncer le clou, Jésus raconte cette parabole que nous connaissons tous sous le titre du « riche insensé. »
De quoi est-il question ?
Il s'agit d'un homme riche, très riche. Il a beaucoup de biens, vraisemblablement beaucoup plus qu'il ne lui en faut pour vivre puisque ses greniers sont pleins, à tel point que lorsqu'une nouvelle récolte arrive, il n'a plus de place pour la stocker. Cet homme ne se pose pas de question, pour lui, la seule chose qui compte, c'est de garder, garder toujours et encore, dans l'espérance de pouvoir un jour en profiter. Il ne pense qu’à lui, à sa richesse, au plaisir qu’il aura à en profiter pendant de longues années. Et il n’a pas de limites ; plus de richesse lui donnera plus de possibilités, plus de plaisirs ; il n'arrive plus à s'arrêter d'accumuler. Quand on est pris au jeu, on ne s'arrête plus. C'est toujours plus, toujours plus de récoltes, plus de greniers pour les stocker, sans imaginer d’autres usages, en ne pensant qu’à assurer son bonheur futur, pendant de longues années, sans imaginer que toute vie a une fin. Et c'est ce qui arrive. Le texte ne nous dit pas de quoi il est mort, mais la nuit même, son âme est redemandée.
Si on regarde l'un après l'autre les deux passages de ce texte, au-delà du malaise qui naît de la réponse donnée par Jésus à une question bien légitime, nous pouvons découvrir bien des choses. Nous allons les prendre à l'envers, en commençant par l'histoire de l'homme riche.
Ce que Jésus conteste dans cette parabole, c'est d'avoir comme seul objectif l'accumulation continue de richesses. Ce qu'il met en cause, c'est la richesse pour la richesse. Il y a dans ce passage, une leçon qui est encore valable aujourd'hui, une leçon qui va à l'encontre de cette économie libérale qui existait sans doute déjà à l'époque de Jésus. Jésus conteste cette idée de l'économie pour laquelle l'accumulation de richesses est le signe de la bénédiction divine, et la pauvreté un signe de malédiction, ou pire encore de punition. Il la conteste non pas dans le fait qu'on puisse être riche ou qu'on puisse gagner sa vie correctement. Il la conteste lorsqu'elle devient le seul moteur de la vie. Au point d'en oublier Dieu, le prochain, ... et d'en oublier que l'on est mortel. À ce moment-là, elle n'est plus que vanité.
C'est ce que nous dit le texte de l'Ecclésiaste. L'homme ne profitera pas de l'enrichissement égoïste. La richesse, si elle est don de Dieu, bénédiction de Dieu, appartient à Dieu, c'est à dire quelle doit être partagée, et d'abord avec le pauvre qui reçoit aussi la bénédiction divine. C'est aussi ce que dit la fin de ce passage de Luc. « Il en est ainsi de celui qui amasse des trésors pour lui-même et qui n'est pas riche au regard de Dieu, riche pour Dieu ». Ce verset 21 nous donne une piste, nous propose une réflexion sur la nature et sur l'objectif de la richesse accumulée. Les bien matériels, nous dit l'Ecclésiaste, sont une bénédiction de Dieu, mais donnés par Dieu pour les autres. Nous ne vivons que pour les autres et non pour nous-mêmes, celui qui ne vit que pour lui-même, selon cette parabole, n'est qu'un cadavre en sursis. C'est un peu sans doute ce que Jésus reproche à l'homme de la foule. Il lui reproche de ne vivre que pour lui-même. Il lui reproche de ne penser qu'à ses biens matériels et à son héritage.
Il lui reproche aussi de faire une mauvaise demande. Cet homme interroge Jésus pour qu'au nom de la Loi de Moïse, pour qu'au nom de Dieu, il dise quel est le droit, quel est le devoir du frère aîné. Et Jésus s'y refuse, il refuse d'être pris au piège. Il refuse d'être fait juge. On pourrait se demander pourquoi. On pourrait peut-être même le lui reprocher. Et pourtant une simple réflexion montre que sa logique à lui est celle de la grâce. Imaginons ce qui peut se passer…. Lorsque dans notre prière nous demandons à Dieu de se faire juge des autres à notre profit, le plus souvent c'est de nous-mêmes qu'il finit par devoir être juge ; parce que chacun d'entre nous à un moment ou à un autre, est injuste à l'égard de son prochain. Face à la justice divine, personne ne peut espérer survivre. En fait Jésus refuse de rentrer dans ce rôle de juge, dans cette logique de justice, qui laisse peu de place à l'amour et à la grâce. Cela ne veut pas dire que Jésus condamne, ou que l'Évangile condamne la justice des hommes. La justice des hommes doit suffire à dire le droit. Cela ne veut pas dire que Jésus condamne le partage "juste" des héritages. Cela ne veut pas dire que Jésus condamne une économie qui rapporte de l'argent. Cela veut simplement dire qu'il remet chaque chose à sa place, il rend à chaque chose sa juste valeur. L'économie, l'argent, la richesse, ce sont des outils donnés par Dieu à l'homme, nous dit l'Ecclésiaste, pour accomplir la justice et le partage au sein de la société.
Aussi ces textes nous invitent-ils à sortir de la logique de l'avoir, la logique de la possession, pour entrer dans une autre logique. Ils nous invitent à nous débarrasser de ce souci de l'enrichissement pour nous-mêmes, afin de devenir riche pour Dieu, c'est-à-dire riche pour les autres, riche avec les autres.
Afin que la richesse soit une vraie bénédiction divine, ... pour tous.
Amen !
Jean Jacques Veillet