Prédications Protestantes dans les Alpes du sud 

DIMANCHE 29 Mars 2015

Fête des Rameaux

Culte à Trescléoux (05700)

Lectures du Jour :

Esaïe 50,4-7,

Marc 11,1-11, (voir sous cette référence méditation du 25 Mars 2018)

Philippiens 2,6-11 (voir sous cette référence méditation du 25 Septembre 2011)

Cinq siècles plus tard

L’histoire

Nous sommes en 550/540 avant J.C., le peuple hébreu est en exil à Babylone[1] depuis 40 ans. Chaque soir les hébreux se réunissent sur la place de leur quartier, comme le font les émigrés d’aujourd’hui dans notre pays, dans des squares, des terrains vagues.

Les uns sont las, se lamentent de devoir servir leurs vainqueurs, et se demandent, désespérés, ce qu’il va advenir de leurs enfants. Vont-ils se noyer, se fondre au sein du peuple vainqueur, au risque de voir disparaitre définitivement le « peuple élu » ?

D’autres, les anciens, ressassent en boucle leurs souvenirs du Pays, de leur capitale, Jérusalem, et son Temple, celui de Salomon, détruit par l’armée de Nabuchodonosor II.

D’autres enfin sont nés ici, ne parlent même plus hébreu. Ils ont déjà franchi le pas et se trouvent très bien à Babylone où les affaires prospèrent. Ils ne voient dans leurs compatriotes que des grincheux nostalgiques qui les saoulent avec leurs regrets.

Le Serviteur

Et puis arrive un type, que certains connaissent bien, car il leur récite souvent des psaumes et des passages de la Torah qu’un groupe d’exilés viennent de réécrire. On se demande d’ailleurs comment il les connaît, mais bon, il serait un disciple ou un parent éloigné du prophète Esaïe, celui-là même qui avait annoncé la chute de Samarie[2], en représailles contre l’infidélité du peuple hébreu envers le Dieu Saint, sa recherche d’alliances étrangères, son manque de foi qui se traduit par l’hypocrisie religieuse, l’arrogance des puissants, l’oppression des faibles.

Lui, quand on lui demande « Qui es-tu ? », il répond « le Serviteur » et il annonce à qui veut l’entendre qu’au Nord, le jeune roi de Perse, Cyrus II, obtient victoires sur victoires et que bientôt il se tournera contre Nabonide, le roi de Babylone, et ce sera le signe de la libération du peuple Hébreu.

Alors on le rabroue, on le fait taire : comment le salut d’Israël pourrait-il venir d’un roi païen ?

Ecouter/parler

Mais lui, il persiste, il dit qu’il parle au nom du Seigneur, et que s’il peut parler c’est que d’abord, il l’a écouté. Et que l’on ne peut entendre le Seigneur si l’on est loin de Lui ;

Ses compatriotes n’aiment guère ce qu’ils prennent pour des leçons de morale, car ils savent bien, eux, que s’ils sont là, en captivité c’est à cause de leurs parents, qui ont été infidèles, et ils ne comprennent pas pourquoi, eux, devraient payer pour les fautes commises par leurs parents[3].

La mission d’Israël

Vous n’y êtes pas du tout, rétorque le Serviteur à ceux qui cèdent au découragement. Il leur affirme que c’est le Seigneur lui-même qui lui a ordonné d’aller les réconforter en son nom, car il est fidèle, Lui et il n’abandonnera pas Israël, son peuple élu, bénéficiaire d’un statut unique au sein de la création.

Et quant à ceux qui accusent le Seigneur d'ingratitude envers son peuple, car ils sont choqués par le choix de ce Cyrus, un roi païen, pour les libérer, le Serviteur montrera à ces récalcitrants que Cyrus est bien l’instrument et le Messie du Seigneur, ouvrant ainsi la porte au thème de l'universalité du salut :

Les nations ne sont plus présentées comme les ennemies de Dieu, puisqu’elles sont, comme Israël, ses créatures, mais comme des peuples en attente de conversion.

Et ce sera le rôle d'Israël, ou tout du moins de ce petit reste humilié, mais fidèle, d'évangéliser ces peuples et de les amener à reconnaître le seul vrai Dieu, le Seigneur[4].

Le refus du monde

Mais si, pour le Serviteur, proclamer cette Parole est une nécessité, comme une injonction du Seigneur, pour ramener le Peuple vers lui, cette Parole qui doit enseigner au monde la volonté de Dieu, concernant l’ordre qui doit y régner, cette Parole de Dieu qui est la seule autorité, le seul chemin à suivre par l’Humanité pour retrouver son bien commun : la paix entre les peuples, la fraternité entre les hommes, ce monde n’en veut pas. Il préfère s’adonner au culte des idoles à la mode, comme jadis les propres fils de ces exilés, séduits par les dieux babyloniens.

Alors, le Serviteur nous annonce la couleur : la proclamation de la Parole de Dieu suscitera généralement au mieux l’indifférence, mais il faut aussi s’attendre à une confrontation avec ceux qui refusent de se remettre en cause, de regarder lucidement leur façon de vivre, de se comporter, les relations qu’ils établissent avec leur prochain, qui refusent de répondre à cette question : qui suis-je, qui suis-je vraiment ? [5]

Cette confrontation peut aller jusqu’à des formes plus ou moins dures, plus ou moins violentes, comment allons-nous réagir, allons-nous renoncer, faire de l’autocensure, nous retirer en arrière ?

Confiance en l’avenir

Et pourtant, il y a aussi, en ces temps de crise économique, mais surtout morale, des milliers de nos compatriotes, totalement désorientés, n’ayant plus de repères, y compris familiaux, plus de travail, n’ayant plus aucune prise sur leur propre vie, se trouvant dans leur propre pays, comme des exilés de l’intérieur, ayant perdu toute espérance, prêts à se replier sur eux-mêmes, sur un passé toujours enjolivé, vous en connaissez certainement des dizaines. Alors, qui donc va leur annoncer cette promesse de la part du Seigneur : transmise par un autre prophète de l’exil, Jérémie :

Je n’ai pas pour vous des projets de malheur, mais des projets de bonheur pour vous donner un avenir à espérer (Jér.29/11)

Leur dire que cette promesse est aussi pour eux, aujourd’hui. Non ce n’est pas le moment de nous relâcher.

Et Jésus ?

Vous allez me dire mais quel est le rapport avec cette fête des rameaux que nous sommes censés célébrer ce matin ?

Vous aurez remarqué que ce passage d’Esaïe 50 présente de nombreuses allusions à la passion du Christ, mais à aborder tout de suite cette question on serait passé à côté du contexte historique de ce 2° Esaïe, dont on peut aussi tirer quelques enseignements.

Alors, oui, Esaïe parle du Serviteur avec un S, il parle même du Serviteur souffrant en Esaïe 53 ;

Alors oui, Esaïe se situait bien, avec 5 siècles d’avance, dans une perspective messianique et dans l’annonce d’un salut universel, d’où sa lecture en ce matin de fête des rameaux

Et lorsque Esaïe encourage ses compatriotes à écouter le Père pour accomplir sa volonté, à rester ancrés dans leur foi au risque de devoir en payer le prix et qu’il les exhorte à accepter ce risque, quoi qu’il advienne, un seul a répondu, point par point, à ces invocations, c’est Jésus, jusqu’à son procès, jusqu’à son exécution.

Et l’on pourrait dénombrer parmi ceux qui l’ont condamné, lui préférant Barrabas, tous ceux qui le suivaient en Galilée, tous ceux qui ont vu ses miracles, ses guérisons, qui l’ont acclamé à son entrée dans Jérusalem, démonstration de la versatilité des peuples.

Cette Jérusalem, vers laquelle il se mit en chemin quelques semaines plus tôt, annonçant par trois fois à ses disciples incrédules : Le fils de l’Homme sera livré et condamné à mort, on se moquera de lui, on crachera sur lui, le flagellera, on le tuera mais 3 jours après il ressuscitera (Marc 10/34), reprenant mot à mot ces paroles prononcées 5 siècles plus tôt par Esaïe.

L’apôtre Paul, dans son hymne aux Philippiens lu ce matin, nous rappelle que cet abaissement de Jésus, cet abaissement jusqu’à sa mort, une fois pour tous, suivi de son élévation, sa résurrection et son retour vers le Père, en un mot, la croix de Golgotha était le passage obligé pour notre réconciliation avec le Père, pour notre réintégration dans l’Ordre Divin, qui nous permet de dire, avec Paul Si Christ est ressuscité, alors nous aussi nous ressusciterons. Voilà ce qui doit nous accompagner durant cette semaine sainte qui s’ouvre devant nous.

Conclusion :

Pour conclure, je reviendrai vers ces exilés de l’an 550. Vingt ans plus tard, la prophétie d’Esaïe s’accomplira, Cyrus II libèrera le peuple hébreu qui rentrera au pays avec tous les instruments sacerdotaux, avec les rouleaux de la Torah et des Psaumes réécrits en exil par une poignée de fidèles. Ce retour dans l’allégresse et la ferveur sera de courte durée. Les jeux de pouvoir, les rapports de force, l’émergence d’une hiérarchie et d’une classe dirigeante auront vite eu raison des promesses faites au Dieu libérateur.

5 siècles plus tard, on sait ce que firent les fils de ces exilés à celui-là même qu’Esaïe avait annoncé comme le Messie à leurs ancêtres.

Dans 2 ans nous célébrerons les 5 siècles de la Réforme, née dans la douleur et le sang, paradoxalement confortée par de nombreuses persécutions qui firent de nos ancêtres des exilés de l’intérieur..

Aujourd’hui, 5 siècles plus tard, nos Eglises sont structurés, organisées, mais si le Seigneur revenait, qui d’entre nous le reconnaîtrait, de quel côté serions-nous ? Cela ne fait pas de mal de nous poser la question, car la poser c’est déjà y répondre, en nous rappelant cette promesse de Jésus dans Luc :

                Heureux les serviteurs que le maitre trouvera à son retour éveillés et en tenue de travail. (Luc 12/35-40)

Amen,

François PUJOL

[1] Les ruines de Babylone se trouvent en Irak à 100 kms au sud de Bagdad

[2] En 722 avant J.C.

[3] Les pères ont mangé des raisins verts, et les dents des enfants en ont été agacées (Ézéchiel 18/1-9)

[4] Voir aussi dans Actes des Apôtres : « Car ainsi nous l'a ordonné le Seigneur : Je t'ai établie pour être la lumière des nations, pour porter le salut jusqu'aux extrémités de la terre. « (13, 46)

[5] Voir dans la liturgie, prière de D. Bonhoeffer in Résistance et soumission Labor et Fides, Genève 1973 p.359

Prière de repentance :

Poème du pasteur allemand Dietrich Bonhoeffer

(pendu par les nazis en Avril 1945 à l’âge de 39 ans)

Qui suis-je ?

Souvent ils me disent que dans ma cellule je sors Détendu, ferme et serein, Tel un gentilhomme de son château.

Qui suis-je ? Souvent ils me disent qu’avec mes gardiens je parle aussi librement,

amicalement et franchement que si j’avais à leur donner des ordres.

Qui suis-je ? De même ils me disent que je supporte les jours d’épreuves impassible,

souriant et fier, ainsi qu’un homme accoutumé à vaincre.

Suis-je vraiment celui qu’ils disent ?

Ou seulement cet homme que moi seul connais,

Inquiet, malade de nostalgie, pareil à un oiseau en cage,

Cherchant mon souffle comme si on m’étranglait,

Avide de couleurs, de fleurs, de chants d’oiseaux,

Assoiffé d’une bonne parole et d’une espérance humaine,

Tremblant de colère au spectacle de l’arbitraire et de l’offense la plus mesquine,

Agité par l’attente de grandes choses, mais craignant et ne pouvant rien faire pour des amis infiniment lointains

Si las, si vide que je ne puis ni prier, ni penser, ni créer,

N’en pouvant plus, prêt à l’abandon.

Qui suis-je ? Suis-je celui-là ou celui-ci ?

Aujourd’hui cet homme et demain cet autre ?

Suis-je les deux à la fois ?

Un hypocrite devant les hommes,

Et devant moi un faible, méprisable et piteux ?

Ou bien, ce qui est encore en moi ressemble-t-il à l’armée vaincue

qui se retire en désordre tout en proclamant avoir remporté la victoire ?

Qui suis-je ? Dérision que ce monologue.

Qui que je sois, tu me connais :

Tu sais que je suis à toi, toi Mon Dieu.

Amen !