Prédications Protestantes dans les Alpes du sud
DIMANCHE 8 JUIN 2014
Culte unique à Gap-05000 (Pentecôte)
Lectures du Jour :
Genèse 11, 1-9
Actes 2,1-16 & 38-41
Pentecôte, l’anti-Babel
Comme ils sont rouges, nos cerisiers cette année. Quoi de mieux que de faire des
confitures ? Vous vous dîtes : s’il nous parle de confiture, c’est louche ! Ça tombe bien
parce que je vais vous parler d’entonnoir. Celui-ci est très gros, et ressemble un peu,
comme ceci (à l’envers), à la tour de Babel.
En effet, Babel, c’est un entonnoir, mais tourné à l’envers. Avant d’être une ville avec sa
tour, comme Paris et sa Tour Eiffel, Babel c’est d’abord une idée : l’idée de n’avoir
qu’une seule langue pour tutoyer le ciel et se prendre pour Dieu.
Babel, est un entonnoir qui vide la terre et projeter au ciel un humain avec un H
majuscule tellement il lui est insupportable de voir tous ces humains minuscules, qui ne
se comprennent pas.
Babel rétrécit le pluriel de la vie à une chose simple et unique, sèche : une humanité
défigurée à mesure qu’elle se configure au canon qui lui est imposé.
On n’échappe pas au goulot infernal de Babel : c’est l’entonnoir du totalitarisme, de la
pensée unique, du discours dominant et dominateur. Nous avons en tête après le 70e
anniversaire du débarquement en Normandie, l’exemple de l’Allemagne nazie, l’URSS de
Staline, l’Italie de Mussolini, l’Espagne de Franco, la France de Vichy etc. Aujourd’hui, la
globalisation de l’économie et de la finance au détriment de l’humain, tout comme
l’intégrisme religieux ou le discours identitaire nationaliste sont chacun des entonnoirs
qui nous attirent sur leur pente douce…mais mortifère.
Babel moule l’humanité, multicolore, multilingue, multiculturelle, multiforme vers un
modèle unique de l’humain. Pointée vers le haut comme un canon, Babel cherche à faire
de cet humanoïde le canon de l’humanité véritable, sur la terre comme au ciel.
Puisque le monde est un village alors faisons corps, parlons d’une seule bouche, ayons le
même dieu : le nôtre, fait à notre image. Et l’homme créa Dieu… Un Dieu majuscule
tellement il lui serait insupportable que dieu soit minuscule comme lui…
Alors, derrière ces murs de briques où l’on fabrique, tous identiques, les humains de
demain, on ne s’imagine pas qu’à ciel ouvert, une Parole descend visiter le chantier… un
comble pour se voulait le gratte-ciel de tous les temps.
Babel c’est le mythe de notre quotidien. Toi et moi nous apportons notre brique à
l’édifice, à la tour artificiel, à l’entonnoir vers le ciel. Quand je prêche « rien ne va plus »,
« tous aux abris », « tout fout le camp », je cotise au chantier Babel. Quand je témoigne
de Jésus-Christ par ma fermeture, ma peur du « pas comme moi », ma peur de demain, je
souscris aux travaux de Babel.
L’Eglise plus que le monde est en danger permanent de devenir un entonnoir vers le ciel.
Au nom de la bien-pensance et du prêt à penser chrétien. Au nom même de Dieu.
Fabriquant de l’identique face à des questions plurielles, des situations toutes différentes.
Pour parler à la place de Dieu, puisqu’après tout, ne sommes-nous pas le porte-voix de
Dieu ?
Que ce soit à l’échelle du monde, d’une Eglise ou d’un individu, chaque modèle qui se
prétend universel devient Babel.
Mais on n’y reprendra pas Dieu à deux fois. C’est lui qui nous prend le doigt dans le pot
de confiture, si j’ose dire. La déconfiture de Babel !
« Lorsque arriva le jour de Pentecôte, ils étaient tous ensemble en un même lieu », dit le
texte. Comme si les disciples, à leur tour, étaient tenté de monter dans leur tour d’ivoire,
de se séparer de la masse compacte de Jérusalem qui vient du monde entier pour la fête
des Moissons célébrée le 50e jour après Pâque : Pentecôte. Un mot qui veut dire
« cinquantième » en grec.
Ni une ni deux, Dieu souffle sur le groupe des disciples pour brouiller à nouveau Babel
qui germe en eux aussi. Par son souffle, c’est Dieu qui va créer l’humain nouveau, en
soufflant à l’oreille de ces gens minuscules l’essence d’une Parole qui s’est faite aussi
petite qu’eux pour les rejoindre dans leur coeur et dans leurs tripes. Ce souffle violent
remplit tout sur son passage : la vie déborde, les langues explosent, les couleurs éclatent,
les accents chantent, les intonations modulent. En un rien de temps tout ce qui faisait
bloc – la masse compacte de la foule, le groupe soudé des disciples – ne retient pas le
choc. Un même message dans chaque langage, pour chaque humain.
A Pentecôte, Dieu renverse Babel. (Retourner l’entonnoir)
Pentecôte, c’est l’anti-Babel.
Dieu renverse notre manière de penser Dieu et d’envisager la vie. Dieu ne se joue plus
dans la construction d’une vision unique, d’une pensée unique, d’une foi unique, d’une
humanité unique.
Au contraire, l’universalité de Dieu passe par la diversité de l’humanité plurielle. A la
langue morte de Babel, se supplantent les langues vivantes du monde réel.
Au discours de mort de Babel, se supplante une parole vivifiante et nouvelle.
C’est dans chacune de nos langues maternelles, avec laquelle nous nous sommes
construits, qui touche à l’intime, que Dieu se dit, que Dieu se parle.
Pour interpréter nos vies et interpréter le monde ; pour s’adresser lui-même à toi, à moi,
pour nous rejoindre au coeur de notre identité ; pour m’inscrire dans mon unicité, dans
mon originalité, dans ma particularité. C’est là l’universalité de Dieu : sa parole s’incarne
dans la diversité de la vie et les particularités de chacun.
L’entonnoir de la Pentecôte c’est l’entonnoir de Babel à l’envers… c’est Dieu compris
dans le bon sens. Un bon sens qui met du désordre dans notre folie au carré, au cordeau.
Oui, à Pentecôte, Dieu se fait de Babel un porte-voix en dispersant sa Parole bonne et
nouvelle : « j’ai été ce que tu es. Tu seras ce que je suis : ressuscité, dès aujourd’hui ».
Babel croyait tutoyer le ciel ? C’est Dieu qui nous donne sa Parole, dans toutes les
langues, car l’humanité est sa langue maternelle.
Entre Babel et Pentecôte, ce n’est qu’une grande question d’entonnoir. Dieu nous donné
de renverser le sens des choses. Entonnons ! Entonnons la Parole de Dieu. C’est d’elle
que découlera la vie nouvelle!
Amen !
Pr Arnaud VANDENWIELE