Prédications Protestantes dans les Alpes du sud 

DIMANCHE 1° Mars 2015

Culte à Trescléoux (05700)

Lectures du Jour :

Genèse 22, 1-18,

Marc 9,2-10, (Voir sous cette référence, méditation du 08 Mars 2009)

Romains 8, 31-34 (Voir sous cette référence, méditation du 25 Février 2018)

Défaire le lien

Introduction

Le « sacrifice d’Isaac ». Curieux texte, que l’on croit connaître notamment par les nombreuses représentations qu’en ont données des peintres célèbres, les plus connus étant le tableau du Caravage, ou celui de Rembrandt.

Mais c’est aussi un texte qui nous interpelle : Quel message ont donc voulu transmettre les rédacteurs[1] de cet évènement, que l’on désigne sous le nom de « sacrifice d’Isaac », alors qu’il n’y a pas eu de sacrifice, mais n’est-il pas justement là, le message des rédacteurs ?

C’est donc une scène qui peut être à l’origine de nombreuses confusions, et le fait que ce texte nous soit proposé en ce 2° dimanche de Carême, rajoute à la difficulté.

Le contexte

Lorsqu’on parle d’Abraham on remonte dans l’histoire d’environ 4.000 ans ! Abraham et sa tribu sont entourés de dieux cruels, en particulier, les anciens dieux cananéens, qui exigent la vie des enfants en expiation des fautes de leurs parents ! Ces dieux-là sont à l’origine d’accidents, maladies, mort d’’hommes et de femmes pour apaiser leur colère.

Mais le Dieu des juifs n’a pas été inventé par les hommes, et le monothéisme juif va innover fortement en affirmant de façon radicale l’idée que la vie de l’homme est sacrée et qu’il n’est plus question de verser son sang inutilement. On a vu par exemple récemment (pour la chandeleur) que Joseph a offert deux pigeons lors de la présentation de Jésus au Temple.

Voilà ce que dorénavant la Torah jugera comme sacrifices raisonnables. Le livre du Lévitique ajoutant explicitement : Tu ne livreras aucun de tes descendants pour le faire passer par le feu en l’honneur de Moloch, (Lv 18,21).


Les prophètes de l’exil, Jérémie et Ézéchiel, proclamant de leur côté que la raison principale de l’exil à Babylone avait été la persistance de sacrifices humains, pratiques abominables qui ont profané le nom de ton Dieu. (Jr 19,5, Ez 16,21) et provoqué son courroux.

Le sacrifice : choix impossible

Il y a des mots qui sont piégés. Derrière le sacrifice on voit tout de suite l’holocauste, le sacrifice aux dieux, dont je viens de parler. Soit, mais le mot hébreu que l‘on traduit par sacrifice signifie aussi élévation car tout sacrifice était réalisé sur un lieu élevé, comme pour être plus près des dieux. C’est également sur ces montagnes que Dieu se manifestait ou que l’on pouvait lui parler, de sorte que les montagnes de Judée et de Samarie deviendront vite des montagnes sacrées, (Sinaï, Horeb, Carmel, Garizim, Mont des Oliviers, Thabor, Hermon et ce mont Morija[2]).

Mais avant qu’il ne gravisse cette montagne, il faut rappeler LE moment important de l’histoire d’Abraham : Il s’appelait encore Abram lorsque Dieu lui fit la promesse (au chapitre 15) qu’il aurait un descendant, que son héritier ne serait donc pas son cousin Eliezer, comme il le pensait et que sa descendance deviendrait aussi nombreuse que les étoiles du ciel, une promesse de bénédiction qui englobait déjà toutes les nations.

Puis est venue au même chapitre l’alliance et la promesse du don de ce qui sera justement la terre promise.

Il est donc impensable que Dieu, qui n’aimait pas les sacrifices humains, qui venait de faire cette promesse, la rompe unilatéralement en demandant à Abraham de lui sacrifier son fils unique.

Alors, que doit-on comprendre lorsque nous lisons Dieu mit Abraham à l'épreuve ?

Si ce texte peut encore nous parler aujourd’hui, et si l’épreuve en question n’est pas d’aller immoler son fils, en revanche, cette notion de sacrifice nous demeure très familière. Chaque jour, nous sacrifions quelque chose ou… quelqu’un, à autre chose, ou à une autre personne.

Ce peuvent être de doux sacrifices : un peu de sommeil pour lire un bon bouquin, ou, bien plus grave, je sacrifie ma famille aux exigences de mon patron, ou à ma propre ambition, avec des conséquences qui peuvent être ravageuses pour mes proches.

Donc, ce récit d’une histoire vieille de 4.000 ans, nous interpelle sur une question qui est bien au cœur de notre vie de chrétien : où sont tes priorités ?

Alors dans le contexte d’aujourd’hui, ce texte nous impose de regarder lucidement tous les sacrifices humains dont nous sommes acteurs ou complices passifs, individuellement ou collectivement, et de voir comment nous pourrions changer cet état de choses, autrement que par une simple petite phrase dans nos intercessions dominicales, certes nécessaires mais pas suffisantes.

Et, en allant un peu plus loin, l’obéissance d’Abraham à son Dieu, nous impose de nous poser cette question à nous-mêmes : mon obéissance à Dieu fait-elle partie de mes priorités ? Et jusqu’où mon obéissance pourrait-elle me mener ?

Cette histoire soulève la question des choix impossibles, devant lesquels nous pourrions, comme Abraham, être placés un jour ou l’autre.

Et devant ces choix impossibles, il y a deux attitudes :

1. L’une, c’est d’aller au bout de ce choix impossible qui se terminera dans tous les cas par une catastrophe, se laisser submerger par cette épreuve, ne plus rien voir, ne plus rien entendre d’autre, et puis finalement, dire, comme Job ces paroles indicibles pour moi : Dieu donne, Dieu reprend, béni soit le nom du Seigneur (Job 1/21).

Dieu saura voir

Ce ne sont pas des paroles que je prononcerais car pour moi Dieu n’est pas un Dieu qui reprend, mais un Dieu qui sauve, cette histoire d’Isaac, 1.800 ans avant la venue de Jésus christ, en est la démonstration ;


Le Dieu auquel je crois est le même que celui en qui Abraham croyait, c’est un Dieu qui saura voir, qui y pourvoira, affirmation d’une espérance, d’une confiance que dans les pires situations, les plus inextricables, Dieu trouvera une solution, cette espérance qu’il existe toujours un 3° choix.


Abraham ne s’est pas laissé noyer par le chagrin de la mort annoncée de son fils unique, il a continué d’espérer, est resté ouvert à une autre option, en levant les yeux.

Et il aurait tout aussi bien pu reprendre ce verset du psaume 121, écrit par ces mêmes rédacteurs de l’exil : Je lève les yeux vers les montagnes, d’où me viendra le secours ? Le secours me vient de l’Éternel qui a fait les cieux et la terre. Ps. 121:1-2.

La libération

Alors si le texte dit que Dieu met Abraham à l’épreuve, il ne s’agit pas de voir de façon quelque peu sadique, si Abraham va obéir à Dieu aveuglément jusqu’au bout, il s’agit de faire comprendre à Abraham par quoi il doit passer pour que la promesse de Dieu (sa postérité) puisse se réaliser.

Et cette postérité ne pourra s’épanouir que si Abraham accomplit pleinement sa paternité en laissant son fils Isaac suivre son chemin.


C’est en le libérant, en dénouant ses liens[3] qu’il le retrouvera. Sur le mont Morija, il a dû apprendre à ouvrir les mains, à faire confiance, à lâcher prise. Il a dû apprendre le modèle de paternité que l’on trouve dans la parabole du fils prodigue. Le vrai père est celui qui laisse partir son fils avec l’héritage et qui attend, avec confiance, qu’un jour il fasse demi-tour pour retrouver le chemin de la maison paternelle. Le jour où il revient, il n’est plus un fils rebelle ou servile mais un enfant libre et responsable.


Voilà le retour que Dieu attend de nous. Il n’attend pas de ses fils et ses filles qu’ils restent accrochés à lui parce qu’il est le Père, mais qu’ils aient le courage de tenir debout tout seuls. Dire que Dieu est père, c’est dire qu’il aspire à avoir en face de lui un humain debout et adulte, qui entretient avec lui des relations de compagnonnage, comme Abraham et Isaac qui redescendent de la montagne, ensemble l’un à côté de l’autre.

Et le carême dans tout ça ?

Ce qui est saisissant, ce sont toutes les similitudes entre les deux histoires de sacrifices, celui d’Isaac et celui de Jésus.

Comme Isaac, Jésus est le fils unique, le fils bien-aimé de son père. Comme Isaac, Jésus a porté lui-même le bois, le bois de sa croix. Comme Isaac il a été ligoté au bois.

Mais la comparaison s’arrête là car si la mort de Jésus est un sacrifice, c’est par la seule volonté des hommes, ce que dit avec lucidité Caïphe[4] (Jn 18.14) : il est avantageux qu’un seul homme meure pour le peuple…, sacrifiant ainsi le Christ au maintien de pouvoirs religieux et politiques avec les trahisons qui l’accompagnent.

Et face aux humains qui ont besoin de sacrifices, toujours et encore, la puissance de Dieu a transformé ce meurtre d’un Fils unique, en acte de libération et d’amour pour l’humanité, retournant ainsi le sens de cette phrase de Caïphe : il est avantageux qu’un seul homme meure pour le peuple, nous offrant une vie nouvelle de fils et de filles libérés, réconciliés avec le Père grâce au miracle du matin de Pâques.

C’est en ce Dieu d’amour qu’il nous est donné de croire, ce matin encore, ce Dieu qui n’est pas un Dieu qui prend mais un Dieu qui sauve, qui donne la vie et qui libère, un Dieu qui saura voir.

Et face aux humains qui ont besoin de sacrifices, toujours et encore, la puissance de Dieu a transformé ce meurtre d’un Fils unique, en acte de libération et d’amour pour l’humanité, retournant ainsi le sens de cette phrase de Caïphe : il est avantageux qu’un seul homme meure pour le peuple, nous offrant une vie nouvelle de fils et de filles libérés, réconciliés avec le Père grâce au miracle du matin de Pâques.

C’est en ce Dieu d’amour qu’il nous est donné de croire, ce matin encore, ce Dieu qui n’est pas un Dieu qui prend mais un Dieu qui sauve, qui donne la vie et qui libère, un Dieu qui saura voir.

Amen,


François PUJOL

[1] Le pentateuque a été totalement réécrit par les exilés à Babylone (597-538) à partir de textes épars et de traditions orales, pour réaffirmer la primauté du Dieu Unique YHWH, et préserver l’identité du peuple hébreu en lui donnant une mémoire collective.

[2] Que certains identifient à la colline sur laquelle a été édifié le Temple à Jérusalem.

[3] Les juifs n’intitulent pas cet épisode « le sacrifice d’Isaac », mais « la ligature », pressentant que l’enjeu de ce texte est plutôt de ce côté : la libération du fils pour que la promesse puisse s’accomplir.

[4] Le grand prêtre du Temple