Prédications Protestantes dans les Alpes du sud
DIMANCHE 04 novembre 2001
Culte à Gap (05000)
Lectures du Jour :
Luc 19, 1-10 (Voir méditations du 8-juil-07 et du 4-juil-10)
2 Thessaloniciens 1, 1-12
Habacuc 1,1-4 & 2,1-4
« Le juste vivra par la foi »
Tout protestant connait bien cette petite phrase de Paul[1] reprise par Luther, pour fonder la doctrine de la « justification par la foi ». Tous ne savent peut-être plus que c’est une citation de l’A.T. et si on rappelle que ce verset est tiré du livre d’Habacuc, cela ne dit peut-être pas grand-chose. Je vous propose de lire le contexte original de cette petite phrase. Écoutons le prophète Habacuc (1, 1-4).
…
Ce message n’est ni daté ni adressé nommément à des auditeurs précis. Le seul nom propre qui interviendra un peu plus loin est celui des « Chaldéens » et le contenu du message permet de le situer avec grande vraisemblance autour de l’an 600 avant J.C., au moment où les Chaldéens (ou Babyloniens) sont en plein essor, ayant conquis de nombreuses nations, sans avoir encore menacé directement le Royaume de Juda.
Les premiers mots du prophète peuvent retentir dans nos cœurs avec une singulière actualité, car Habacuc crie à la violence et s’émeut du silence et de l’apparente inaction de Dieu. Comme de nombreux psalmistes, comme Job, il lance vers Dieu un « pourquoi » douloureux :
« Pourquoi acceptes-tu le spectacle de l’oppression, en face de moi il n’y a que ravages et violence… et la justice des hommes semble incapable de faire respecter le droit ». On hésite à trancher si Habacuc dénonce ici, comme Amos[2], la situation interne de la société judéenne, du peuple qui connaît la loi de Dieu et la bafoue, ou si son regard porte dès ce moment sur la violence qui régit les relations internationales. C’est dans doute à tous les niveaux que se voit le scandale : le méchant garrotte le juste impunément.
Je vous résume la suite du chapitre où le livre transmet une première réponse de Dieu, mais est-ce bien une réponse ? Dieu parait se moquer de celui qui l’interpelle avec tant d’angoisse. Ici, il ne lui lance pas l’hippopotame dans les jambes comme chez Job[3], mais il lui dit en substance : « tu me crois inactif, mais regarde la scène internationale : C’est moi qui fais surgir les Chaldéens, ce peuple impitoyable qui parcourt ces étendues des pays riverains… » Autrement dit, Dieu intervient mais pour rendre la situation encore plus tragique.
Alors, décidément, Habacuc ne comprend plus. Il reprend la parole pour interpeller le Seigneur, et même selon certaines traductions, pour lui adresser une remontrance ! Il pressent bien – comme d’autres prophètes l’avaient dit des Assyriens – que le terrible conquérant peut être un instrument du jugement de Dieu sur son peuple.
Mais comment admettre que Dieu laisse ce tyran impitoyable multiplier à ce point sur toute la terre les violences injustes. « Tu as les yeux trop purs pour voir le mal, tu ne peux accepter le spectacle de l’oppression. Pourquoi donc acceptes-tu le spectacle de ces horreurs, gardes-tu le silence quand un méchant engloutit un plus juste que lui ?
Et voici notre seconde lecture, au début du chapitre 2 (2, 1-4)
…
Guetteur vigilant, chargé de discerner les signes des temps, le prophète réclame enfin une vraie réponse. Et Dieu répond, soulignant l’importance de la vision qu’il va donner à son porte-parole, en lui demandant de devenir porte-stylet, d’écrire ces paroles sur des tablettes pour qu’elles ne s’envolent pas de la mémoire des hommes, pour qu’après avoir eu des auditeurs, elle puisse avoir des lecteurs (nous-mêmes, aujourd’hui, 2600 ans plus tard !!).
Est-ce enfin la réponse qui va lever le scandale, résoudre les énigmes troublantes d’une histoire humaine qui s’écrit avec le sang et les larmes ? En fait, il n’y a pas de réponse aux pourquoi du prophète. Pas d’explication rationnelle, rassurante, ou du moins, satisfaisante pour notre logique – De toute l’épaisseur contradictoire, angoissante, des évènements qui se déroulent sur la scène de l’Histoire – seulement un appel à la foi, plus exactement, un appel à l’espoir persévérant que la justice de Dieu se manifestera bientôt avec éclat : l’échéance en est fixée : elle s’avance à coup sûr. La fin des tyrans s’inscrit à l’horizon de notre histoire tragique. Il faut le dire et le croire, même si l’échéance paraît tarder et si tous les jours de nouvelles violences viennent jeter de terribles défis à notre espérance…
Le juste vivra par sa fidélité (2,4), par son opiniâtre attitude de confiance envers les promesses de Dieu. Le terme que l’on traduit tantôt par « foi », tantôt par « fidélité », a la même racine que le mot « Amen », dont la racine évoque ce qui est solide, ce qui tient bon, ce qui résiste à l’épreuve…
Je ne vais pas tenter de résumer tout ce qu’on peut tirer d’inépuisable signification de cette affirmation centrale : Le juste vivra par la foi. Simplement, souligner l’éclairage que lui donne son lieu d’origine dans la prophétie d’Habacuc. Un éclairage qui sans doute lui donne un regain d’actualité et une vraie force percutante pour nous aujourd’hui.
En effet, toute une tradition doctrinale, toutes les vieilles controverses théologiques, nous ont habitués à penser la « justification par la foi » en termes de salut individuel. La question centrale de la problématique du salut était : Comment être sauvé dans l’Au-delà, / Se savoir, dès maintenant, tenu juste par Dieu, justifié, au sens d’être pardonné.
Avec la fastidieuse controverse sur la part de la foi et des œuvres dans cette affaire, je ne dis pas qu’il faut évacuer cet aspect des choses, mais nous voyons ce matin que le mot d’ordre le juste vivra par la foi, a retenti pour la première fois dans un contexte d’injustice sociale et de désordre international.
Aujourd’hui, je pense que notre sensibilité nous prépare à être en résonance avec cette problématique d’Habacuc : Son trouble portait sur le sens de l’Histoire, sur la manière dont Dieu y intervient. Y a-t-il un gouvernement de Dieu qui nous soit intelligible ? Y a-t-il un avenir pour l’Humanité, autre que le chaos, le cycle infernal des violences ? Ce sont bien les mêmes questions qui nous harcèlent et le scandale n’est pas moindre en ce tout début de 21ème siècle que 7 siècles avant J.C.
Au contraire, même car depuis, il y a eu Jésus Christ, Lui, le non-violent par excellence, le prophète de l’Amour et de la Justice, en paroles et en actes. Et nous affirmons tous ensemble qu’il est le Seigneur du monde, le maître de l’Histoire, qu’il veut conduire à sa fin heureuse : Le Royaume de Dieu !
Mais l’histoire que nous vivons ne semble-t-elle pas démentir chaque jour cette conviction, lancer un singulier défi à notre espérance ? Pour vivre, il nous faut tenir bon dans la foi, une foi qui, comme celle d’Habacuc, de Job et de bien d’autres doit oser crier à la violence et dénoncer les scandales inacceptables, devant Dieu et devant les hommes…
Une foi qui à certains moments ne saura plus que dire « Pourquoi ? », mais qui le dira encore à ce Dieu incompréhensible, tout comme la croix de Jésus.
Une foi qui pourtant toujours, à nouveau, se saisira de la promesse, s’y accrochera en dépit de tout, et malgré les échecs et les découragements, persévèrera dans ce parti-pris de l’espérance qui est indissociablement le parti-pris de la lutte opiniâtre pour la justice et la fraternité.
Car c’est cela, bibliquement, être un « juste » : un croyant accordé au droit de Dieu, qui se confond avec le droit de l’Homme.
Amen !
Pr Charles L’EPLATTENIER
[1] Lettre aux Romains 1, 17-21
[2] Voir prédication du 15 Juillet 2001
[3] Voir Job 40, 10-19