Prédications Protestantes dans les Alpes du sud 

Dimanche 27 novembre 1927

Inauguration du Temple de Sahune (26510)

Maître, fais taire tes disciples ! Si ceux-ci se taisent, les pierres crieront (Luc 19-40)

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Fr. et s. Ce dialogue est emprunté au récit de l'entrée triomphale de Jésus à Jérusalem. C'était une solennité grandiose, dont le souvenir peut donc, en quelque mesure, se relier à la cérémonie qui nous réunit ici aujourd'hui.

Sans doute bien des différences distinguent chacune de ces situations : l'entrée à Jérusalem se déroulait au printemps, au moment où la nature longtemps endormie s'éveillait sous un soleil nouveau... Aujourd'hui notre inauguration s'effectue en une fin d'automne, à l'heure où la terre se revêt de grisaille, où le soleil, quelque peine qu'il y prenne, ne réussit qu'à colorer les choses d'une lumière pâle sans même les tiédir...

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Surtout, c'était au jour des Rameaux, une foule enthousiaste qui chantait et agitait des palmes, jalousée il est vrai par la haine impatiente de quelques grands chefs... et c'est aujourd'hui du côté de la foule, de la part de l'immense majorité de nos concitoyens, à l'égard de Jésus et à l'occasion de notre rassemblement, une remarquable indifférence ou seulement une curiosité amusée et simplement bienveillante avec, il est vrai, chez quelques douzaines d'amis ici réunis, une émotion joyeuse, un sentiment de bonheur, joie pourtant contenue, pondérée, mesurée...

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Qu'importe d'ailleurs ? Il restera pour nous, dans ce rappel de la fête joyeuse d'autrefois, quelque leçon à prendre : leçon d'autant plus d'actualité que le vœu des adversaires de Jésus s'est, somme toute, à peu près réalisé : le quasi silence des disciples et que les pierres alors auront à parler- devront parler. Ce sanctuaire nouvellement construit et aujourd'hui inauguré répétera à sa manière l'Hosanna ancien et à défaut de l'enthousiasme de la multitude, quand le silence des voix humaines se fera pénible, redira : " Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! " Écoutons donc ce langage, cette louange des pierres. Qui sait si, à ces accents, nos cœurs ne vibreront pas pour résonner à leur tour, d'un Hosanna sublime au Fils de David !

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Les pierres crieront a dit Jésus. Il parlait au futur. Mais s'il a dit vrai, 2000 ans s'étant écoulés, nous devons pouvoir traduire : "Les pierres ont crié ! " Effectivement au cours des siècles passés, elles ont témoigné en faveur du Dieu venu en Jésus-Christ. Ils sont innombrables les monuments, témoins de la foi de nos aïeux. Nos lèvres peuvent rester closes, le nouveau venu sur terre s'enquerra immanquablement de la raison de ces cathédrales, de ces tours élancées et fines se dressant vers le ciel, obligeant les yeux des humains à s'élever bien plus haut que le sol et montrant aux espaces lointains le signe de l'amour éternel, la croix. Et à celui qui voudra savoir, ces pierres que le temps a noirci, ces flèches que le soleil illumine et que les vents battent sans les jeter à terre diront : " Nous somment dressées pour glorifier le nom du plus beau, du plus pur parmi les hommes. Après l'avoir élevé sur la croix -sommet qui, en vérité, domine les plus hauts monts - les hommes s'étant repenti l'ont élevé dans leur cœur et de peur que leurs voix ne parviennent assez loin, que leurs chants s'évanouissent aux limites d'une génération, ils ont voulu perpétuer le signe de leur amour et de leur foi " ils ont amoncelé des pierres et les ont cimentées pour leur permettre de résister au temps, ils leur ont donné des formes délicates et graciles, élancées et légères pour traduire la beauté, la spiritualité, la sublimité de leur foi. Négateurs, moqueurs, jouisseurs des joies d'en bas, assemblez vos arguments, faites valoir vos délices vulgaires, plus hautes et plus durables que mille autres constructions, ces pierres sont là pour dire : " Hosanna au Fils de David ! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! "

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Mais ce sont là témoins du passé. Leur autorité risque d'être contestée ; car le passé reste en arrière. Quoique beau, il est dépassé par le présent, par l'avenir qui, alliés contre lui, retiennent la raison et le cœur des hommes.

Eh ! bien, voici encore des pierres, des monuments toujours ; fidèles traducteurs et révélateurs des pensées et des volontés. Et ces pierres d'aujourd'hui, aussi bien que celles d'autrefois, parlent mais d'une autre manière, disent d'autres choses.

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Ce ne sont plus des églises, des cathédrales, des flèches, des croix ! Ce sont des casernes, se sont des prisons, ce sont des hôpitaux et pour expliquer casernes, prisons, hôpitaux, des usines, le monde est devenu un immense atelier. Tout homme s'applique à fabriquer des instruments destinés à embellir sa vie. On entend alors le ronflement des machines, le crissement des outils, mais dominant le bruit des marteaux, des tours, des scies,.... des murmures, des injures, des réclamations, des revendications..

Et tous ces cris traduisent l'immense et intense désir d'une amélioration décisive et prompte. Depuis des siècles, certes, la science et ses applications ont conduit l'homme de progrès en progrès. On s'habille mieux, on mange davantage, on s'amuse beaucoup plus qu'autrefois, mais une chose n'a pas suivi la progression : c'est le bonheur même de l'homme. L'homme est aujourd'hui aussi peu satisfait qu'autrefois. Il l'est moins, vous dis-je. Quelque invention, quelque fabrication qu'il fasse... autos, avions, T.S.F. il souffre autant et meurt aussi bien..! En inventant et fabricant, il accroît même sa souffrance et prépare sa mort avec la prétention de leur échapper. Mille et mille moyens inconnus des temps passés lui sont offerts et au lieu de chanter comme aux temps anciens, il vocifère. Et après tout, s'il en est qui soit heureux par là et bien d'autres qui prétendent être heureux par là, il en est à qui suffisent les satisfactions matérielles, le chauffage central et la musique.

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Elles crient les pierres avec lesquelles est construite la société moderne... elles crient les illusions trompées et les douleurs accumulées.

Aussi ne puis-je m'empêcher de regretter le temps où l'on chantait même sans électricité, sans automobile, sans télégraphe avec ou sans fil. À la foi a été substituée la vue, à l'espérance a été substituée l'envie chez les uns, la crainte chez les autres, à l'amour est préféré la colère - au Christ venu du ciel pour nous arracher à la douleur est préféré le Démon prometteur et menteur. Comment les pierres même n'en seraient-elles pas émues ? Une lamentation s'étend sur la terre entière qui remplace l'Hosanna ancien des premiers disciples et répète la plainte du Galiléen, auguste victime de la douleur terrestre : " Oh ! si toi aussi tu avais su reconnaître en ce jour, ton jour, qui aurait pu t'apporter la paix !...

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Humanité, si tu avais su garder la foi, si tu avais su reconnaître dans le Christ, le Consolateur, le Redresseur, le Rédempteur, tu aurais trouvé la paix ! Et la voix des disciples fidèles ne se serait jamais tue, elle eut traversé les siècles vivante et vibrante - et les pierres s'y seraient associées mais sans avoir besoin de témoigner aujourd'hui contre nous, nous obligeant à exhaler notre infinie détresse, en répétant tristement : Tes autels, Ô Éternel, mon Dieu et mon Roi, heureux ceux qui habitent ta maison. Je voudrais être de ceux-là !

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Et c'est pourquoi, lorsque au milieu de ces constructions du monde, nous voyons s'élever même humble et modeste, un édifice comme le nôtre nous y trouvons clairement exprimée la réponse à la plainte humaine qui nous délivrera ?

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La réponse de l’Évangile : Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et chargés, et vous trouverez le repos de vos âmes .

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Toujours assurés, c'est, dis-je, la réponse nécessaire, utile, venue au bon moment, apportant exactement et complètement ce que l'âme des hommes de ce temps a besoin de recevoir. Une réponse ? Sans doute ! Mais aussi un appel...Venez !

Sous ce toit, dans ces murs, venez donc, mes chers auditeurs, pour obtenir de Dieu ce que Dieu nous offre et par quoi vous trouverez satisfaction pour vos âmes. Qu'y a t-il pour vous dans cette maison ? Il y a tout d'abord - comme votre cœur le réclame - invitation à l'adoration. L'adoration est une démonstration d'amour et de respect. Elle est provoquée par le sentiment de la majesté, de l'immensité, de la souveraineté de Dieu infiniment grand en puissance, en sagesse, en amour.

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Venez encore, c'est une seconde grâce divine pour vous instruire. L'instruction - constituée par la lecture de la Bible et la prédication - est l'un des actes essentiels qui s'accomplissent dans cette maison.

Lecture et prédication, c'est la voix que Dieu emprunte pour se faire entendre : c'est l'instant où la conscience, la volonté et aussi le cœur sont pris à partie par Dieu. À ce moment-là, entre ces murs, un débat s'engage, pour ainsi dire, un débat où l'un ou l'autre des interlocuteurs d'avance s'incline, accepte, se laisse toucher, s'abandonne. Et ce doit être pour Dieu qui parle, un culte infiniment agréable celui qui accorde à sa parole une autorité incontestée...! Mais il s'agit de vous, de votre avantage, de votre intérêt.

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Venez donc pour entendre la Parole de Vie, la Parole qui porte la Vie en déployant la Vérité. Venez !

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Venez, non pour remplir un passe-temps intéressant, non pour goûter un délassement moral mais pour répondre à un rendez-vous d'importance dont dépend la satisfaction des besoins, des nécessités de conscience et de cœur. Venez, écoutant attentivement la révélation de ces choses qui ne montent pas toutes seules au cœur de l'homme, à la montée desquelles le cœur de l'homme bien plutôt se refuse et s'oppose, apprenant ces réalités cachées aux sages et aux intelligents qui estiment inutiles ces intuitions, ces institutions profondes et supérieures venues de Dieu... mais découvertes alors, dévoilées aux âmes enfantines qui déclarent ignorer et veulent connaître à l'aide de cet instrument étonnant de puissance et de justesse, donnant à coup sûr la plus merveilleuse vision à distance et qui s'appelle la foi.

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Venez et prêtez l'oreille à ces vérités étranges d'abord répugnantes : votre misère, votre péché, votre culpabilité, votre condamnation, votre mort inévitable, parole désespérante, doctrine déprimante, enseignement effrayant, terrifiant, vérité douloureuse, affreuse dont il importe peu que vous goûtiez l'amère saveur et que vous respiriez l’écœurant parfum ; mais écoutez encore cette Parole, parole de Dieu révélatrice de vous-même, miroir fidèle de votre laideur et aussi fidèle révélatrice de l'amour divin...

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Elle ajoute à ces premiers dires Dieu est amour ; Dieu ne veut pas la mort du pécheur mais sa conversion et sa vie. " Revenez, revenez à moi et je reviendrai à vous" Et longuement, patiemment ces déclarations s'éclairent, prennent corps jusqu'à ce qu'enfin, émergeant du dur rocher de la loi et de la brume des prophéties cette Parole apparaisse lumineuse en Jésus-Christ, en Jésus-Christ vivant, mort et ressuscité pour notre justification. Venez donc pour acquérir cette connaissance intime, de cœur, cette connaissance rédemptrice, celle du Christ Sauveur dont la voix éternelle répète : " Celui qui a le Christ a la Vie. Je suis le Chemin, la Vérité, la Vie, "

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Il reste enfin à offrir dans ce lieu votre sacrifice. Il n'y a pas de religion à proprement parler, il n'y a pas d'acte religieux là où il n'y a pas de sacrifice. On pourrait presque dire : il n'y a rien, rien dans aucun domaine là où il n'y a pas de sacrifice ; le savant, le laboureur, l'ouvrier, la mère. Il n'y a donc plus lieu d'ordonner aucun sacrifice ? Dieu se déclare satisfait, une fois pour toutes ?

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Oui, à condition que toute créature humaine, chacune pour son compte, se solidarise avec le Christ sur la croix, s'identifie à lui, que par un acte d'adhésion intime, de souffrance profonde, de réprobation totale du mal, devienne à son tour crucifiée, meure de son péché et à son péché pour ressusciter, revivre et renaître à une vie nouvelle selon l'esprit. Ce sacrifice-là est exigé. C'est le seul valable. C'est le don de soi, c'est l'offrande de la volonté et du cœur, seul moyen de salut car seul il ouvre au Dieu souverain connu en Jésus-Christ, l'accès de la personne humaine, et du coup de le sanctifier, de le vivifier, le diviniser sur la même croix. Or ce sacrifice se traduit par le don du temps, de la peine ou de l'argent dont on dispose. Avouons-le, le sacrifice d'argent est aujourd'hui le plus significatif ; car c'est l'argent qui aujourd'hui tient le plus à notre cœur. c'est avec l'argent que nous pouvons le mieux satisfaire les exigences de notre être naturel, la convoitise des yeux, la convoitise de la chair, et l'orgueil de la vie. Aussi quand nous donnons de notre argent à Dieu, la mesure du don de nous-même à Dieu.

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Ce sanctuaire et les œuvres qu'il abrite disent que des cœurs ont compris - se sont donnés - Ce qu'ils ont donné d'eux mêmes, Tout cela c'est votre argent, c'est votre cœur, c'est vous-même. Aimez la donc cette maison où le sacrifice est requis de vous et venez y retremper votre amour. Venez souvent. Peut-être êtes-vous fier en pensant que telle ou telle de ces choses qui se sont faites, auxquelles vous avez contribué, Eh ! bien, venez et revenez et comptez ce qui a été sacrifié, et à mesure que vous compterez les sacrifices accomplis - le compte avec Dieu n'est jamais clos - peut-être estimerez-vous qu'entre le don de Dieu et le vôtre il y a encore un grand intervalle et vous efforcerez-vous de le combler sinon toujours par de l'argent mais par de l'amour jusqu'à ce que vous-même tout entier vous vous offriez en sacrifice Vivant et Saint "

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Ce qui est, dit St Paul, votre culte raisonnable " Nom nouveau du vrai sacrifice Amour, alors on ne compte plus, on donne, adoration, connaissance, sacrifice, mais qu'est-ce que tout cela sinon la construction de la maison spirituelle dont parle St Pierre ? Maison dont chacun d'entre nous est une pierre vivante agrégée à la pierre angulaire Jésus-Christ, rejetée, méprisée de certains - mais choisie et précieuse pour Dieu. Alors, Oh ! Alors le cri qui s'échappe de nos lèvres, de nos cœurs " Tes autels ! Ô Éternel, mon Dieu et mon Roi " est un cri de joie, d'allégresse. Il se répète, se répercute, et s'achève dans cet autre : " Un jour dans tes parvis vaut mieux que mille ailleurs. "

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Alors fr et s, ne rendez pas rares de tels jours, de telles jouissances. La connaissance, le sacrifice, là veux-je dire, que pauvres êtres menés par le mal, voués à la mort, Vous aurez trouvé et gardé le secret de devenir des hommes vivants, des âmes immortelles et heureuses. Ce qui vaut bien la peine de faire retentir à nouveau le cantique des Rameaux :

" Hosanna au Fils de David ! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! "

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Amen !