Prédications Protestantes dans les Alpes du sud
DIMANCHE 1ER AVRIL 2001
Culte à Gap (05000)
Lectures du jour :
Ésaïe 43, 16-21 (Voir méditation du 25-mars-07)
Philippiens 3, 4-14
Jean 12, 1-11 (1)
DIMANCHE 1ER AVRIL 2001
Culte à Gap (05000)
Lectures du jour :
Ésaïe 43, 16-21 (Voir méditation du 25-mars-07)
Philippiens 3, 4-14
Jean 12, 1-11 (1)
Un parfum de trop grand prix ?
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Situé « six jours avant la Pâque », et précédant l'entrée triomphais de Jésus à Jérusalem, le récit que nous avons lu apparait chez Jean comme l'ouverture de son grand Oratorio de la Passion. On peut y discerner deux thèmes qui s'entrelacent :
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Le premier est celui de la Vie et de la Mort :
Jésus sort de la clandestinité où il s'est réfugié quelque temps sachant que les autorités ont décidé de le faire périr. Il prend le risque de réapparaitre au grand jour dans la proche banlieue de Jérusalem, à Béthanie, le village de Lazare, "celui qu'il avait relevé d'entre les morts". On l'invite à un banquet, en compagnie de cet ami qu'il a rendu à la vie et à l’affection de ses sœurs. Dans ce cadre, le geste inattendu de Marie est à l'évidence dicté par se ferveur ! La maison s'emplit de parfum, symbole de vie et de joie, comme pour faire oublier l'odeur insoutenable de mort qui régnait naguère dans le tombeau de Lazare. Cette « onction » est aussi un signe de foi : elle célèbre implicitement Jésus comme « Messie », un Messie porteur de la vie plus forte que la mort…
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Mais l'interprétation de Jésus inverse le sens de ce geste. Cette onction, il y voit, lui, un signe annonciateur de sa mort. C’est à son corps qui va mourir que Marie a donné par avance les honneurs dus aux morts ! A 1a charnière de ce récit, nous ne nous étonnons pas de voir apparaître la figure de judas, "celui-là même qui allait le livrer". N'est-ce pas par son intervention que le désir de mort des Grands Prêtres et des Pharisiens va pouvoir s'assouvir.
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On doit remarquer aussi la place importante de Lazare 4 fois nommé dans ce texte,: Lazare le mort-vivant, le miraculé, fêté par ses amis, attablé avec Jésus au festin de la vie redonnée - Lazare dont la résurrection attire les foules, Mais par là-même attire la fureur meurtrière des autorités contre Jésus ; Lazare finalement englobé lui-même, témoin gênant, dans cette volonté de répression.
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« Les Grands-Prêtres dès lors décidèrent de faire mourir aussi Lazare ».
Jean pousse ici très loin l'identification symbolique de Lazare et de Jésus apparue dans le chapitre précédent, et cela donne à notre récit toute sa force dialectique : il s'achève certes sur une double perspective de mort, mais il est encadré par une double mention de « Lazare qu'il avait relevé, d’entre les morts » An seuil de la Passion, une note de résurrection et posée. Le narrateur semble dire à son lecteur chrétien : sache bien lire entre les lignes. Ne vois-tu pas que cette onction anticipée accomplie par Marie doit évoquer les aromates inutiles du matin de Pâques, cette Onction que n'accompliront pas les femmes venues au tombeau parce qu'elles ne trouveront plus son corps pour l'embaumer...
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Le second est celui de la Gratuité :
Le second thème que le récit fait courir en contre-point du grand thème de la mort et de la résurrection, me semble être celui de la gratuité.
Le geste de Marie, qui célèbre le vie redonnée, se caractérise bien comme un acte gratuit.
Le parfum dont elle oint les pieds de Jésus est d'un grand prix, l'équivalent d’une année de salaire, mais qu'importe ? Elle ne calcule pas, elle offre généreusement ce qu'elle a de plus précieux pour manifester sa gratitude. La générosité un peu folle de Marie gaspillant le nard couteux est, à sa mesure, une réponse à la générosité totale de Jésus donnant sa vie pour ses amis.
Mais tous ne peuvent comprendre cette gratuité, cette spontanéité de la tendresse. Judas la conteste. Il raisonne en termes de rentabilité charitable : « on aurait pu vendre ce parfum 300 deniers et les donner aux pauvres. » L'argument est fort, puisqu'il est directement l’écho de l'appel de Jésus à certains hommes riches ! Aussi Jésus prend-il au sérieux l’objection, sans paraitre prendre à son compte l'accusation sévère de l'évangéliste qui fait de Judas un hypocrite et un voleur. Après avoir montré dans quel esprit il a reçu l'hommage de Marie, il ajoute ce commentaire « des pauvres, vous en aurez toujours avec vous, mais moi, vous ne m'avez pas pour toujours ».
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Écartons vite un contre-sens trop fréquent : on fait du geste de Marie le symbole de l'adoration cultuelle du Christ (l'encens qui accompagne la prière) et on lit ce récit comme s'il édictait une règle de priorité pour l’Église du Christ : le culte passe avant la pratique sociale ! Il n'est pas question de cela : la réponse de Jésus signifie clairement au contraire qu'à partir du moment où lui-même ne sera plus corporellement présent, la solidarité avec les pauvres restera une exigence permanente pour ses disciples, et le meilleur signe de leur amour pour lui, tandis que le geste de Marie envers son corps revit un caractère d'exception : "elle observe cet usage en vue de mon ensevelissement" : par ces mots Jésus révèle le sens le plus profond de cet acte, dont Marie n'avait sans doute pas conscience ; dans son élan d'immense tendresse dans la vénération unique donnée au corps de Jésus, c'est en vérité le Pauvre qu'elle honore.
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Quelle absurdité d'opposer Jésus et les pauvres, quand il est ici le pauvre parmi les pauvres, lui qui bientôt va être entièrement dépouillé, lui dont la passion rassemblera toute l'atrocité de la souffrance physique et toute l'angoisse de la solitude et de l'abandon, le plus grand dénuement qu'un homme puisse connaître.
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Ce sera donc bien plutôt pour éclairer notre relation à ces « pauvres que nous avons toujours avec nous » et en qui le Christ nous demande de le servir et de l'honorer, que nous retiendrons l'opposition radicale entre Judas et Marie mise en évidence par notre récit.
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Judas m'apparait comme singulièrement moderne C'est la valeur marchande qui captive son intérêt : une livre de nard pur, c'est 300 deniers ! Le corps de Jésus, objet de la convoitise des Grands-Prêtres il le vendra pour dix fois moins. Il le « livrera » pour 30 deniers, comme on livre une marchandise. Judas est bien le personnage central de cette histoire, en ce sens qu'en lui, les deux thèmes se rejoignent. La primauté donnée à l’argent et la trahison, œuvre de mort, sont intimement associées.
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La primauté donnée à l'argent tue la fraternité, elle fait de l’homme un objet, évalué selon sa rentabilité dans le système de production. Elle rend peu à peu insensible à ce qui fait le vrai prix de la vie, la qualité des relations humaines, l'échange gratuit, l'appréciation de l'autre pour ce qu'il est et non pour son rendement.
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Marie, elle, n'a pas songé à la valeur d'échange commercial do ce parfum abondamment répandu. Elle en a fait un signe de son amour, geste de donation, expression de sa joie, plus éloquent que tout discours. Jésus l'a reçu ainsi et c’est ainsi qu'il nous parle encore. .Autant que d'argent, le « pauvre » a besoin do considération et d'amitié et il y a beaucoup de pauvres autour de nous, parmi ceux qui ne manquent pas d’argent.
Qui de nous, à certaines heures, ne se sent pas affreusement solitaire et démuni ?
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Ce n'est pas à dire qu'il n'y ait beaucoup à faire pour lutter contre la pauvreté matérielle. Donnons acte à Judas de ce qu'il y a de juste dans son propos. il faut des gestionnaires lucides et énergiques pour travailler à une plus juste répartition des richesses de la terre, ce qui implique que l'on se batte sur le terrain monétaire et commercial (le problème est aujourd'hui à l'échelle du monde). Il n’empêche que tout en s’engageant avec d'autres dans la lutte contre la misère des peuples ou des classes exploités, les chrétiens devraient être par excellence et en même temps les témoins de la gratuité.
Il faut montrer à nos contemporains, qui commencent tout juste à en prendre conscience, que qualité de la vie et abondance des biens ne sont pas synonymes.
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Pour vivre, les hommes ont besoin aussi, ce n'est pas un luxe, d'amitié, de convivialité, de tendresse, de fantaisie.
Ne considérons jamais comme une perte -fâcheuse de temps, de forces on d’argent ce que nous nous serons laissés aller à dépenser sans compter pour jouer avec un enfant, distraire un malade, accueillir chaleureusement à notre foyer un ami dans la peine, entourer un isolé, aider un aigri à retrouver un peu la joie de vivre. Partageons avec d'autres ce que nous avons du plus précieux. Comme il est vain de thésauriser nos trésors, quels qu'ils soient.
En revanche les gaspillages semblables à ceux de Marie de Béthanie auront au dernier jour l’approbation de Celui qui accepta son hommage, lui qui s'est identifié aux affamés, aux prisonniers, aux étrangers, aux malades et qui dira :
« toutes les fois que vous avez fait un geste d'amour sans calcul envers l'un de ces plus petits,
c'est à Moi que vous l’avez fait ».
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Amen !
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Pr Charles L’Eplattenier.
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(1) : A l’origine cette méditation a été radiodiffusée le dimanche 23 Février 1975, sur les ondes de France Culture par le service radiodiffusion de la Fédération Protestante de France (47 rue de Clichy). Charles était alors pasteur de l’ERF à Vincennes (94). Les auditeurs pouvaient se procurer le texte pour 1 FRF.