Prédications Protestantes dans les Alpes du sud
DIMANCHE 24 janvier 2021
Église d'Eyguians (05300)
Semaine de prière pour l’unité des chrétiens
Textes bibliques:
1 Corinthiens 1, 10-15 (Voir également méditations du 19-janv-14 et du 23-févr-20)
Jean 15, 1-17
La fraternité de l'action
Frères et sœurs,
Quel curieux concours de circonstances, qui nous fait reprendre nos cultes, après une longue interruption, le dimanche de clôture de la semaine de prières pour l’unité des chrétiens, dans une église dédiée au culte catholique. Beau symbole !
Donc, pour cette semaine 2021, deux textes nous étaient proposés, que nous avons lus à l’instant.
Un texte qui fustige les divisions, la lettre de Paul, aux Corinthiens, et le texte de Jean qui rappelle ce qui unit tous les disciples du Christ : le Christ lui-même.
Alors chaque année se pose la même question : de quelle unité parle-t-on ? Et si nos hautes instances jugent nécessaire d’organiser chaque année une semaine de prières, serait-ce parce que nous serions en danger ?
Ce texte de Paul aux Corinthiens, est là pour nous rappeler que l’unité n’allait pas de soi déjà dans l’église primitive. Jacques[1], le frère de Jésus, voyait en Jésus le messie, accomplissant les promesses des prophètes. Le messie s’inscrivait donc pleinement dans la religion juive et il n’y avait donc aucune raison d’en modifier les rites et d’en renier les traditions.
Pour Paul, la résurrection du Christ annonçait une rupture, dans une nouvelle alliance, universelle, qui donnait aux païens l’accès à la rédemption, à l’universalité du salut, qui était elle aussi annoncée par les prophètes[2].
Le texte de ce matin aurait pu être remplacé par un extrait de la lettre de Paul aux Galates, qui présente de façon beaucoup plus violente les divergences[3] entre Paul et Pierre, qui éclatent publiquement[4], à Antioche.
Antioche[5] est cette ville, capitale de la Syrie historique, aujourd’hui sur le territoire turc, évangélisée dès l’an 38 par les deux apôtres. C'est à Antioche que le nom de « Chrétiens », sobriquet plus ou moins péjoratif, fut utilisé pour la première fois pour désigner ses adeptes.
L’Église d’Antioche a eu dès le début un fort esprit missionnaire. On lui doit l’évangélisation de la Mésopotamie et de l’Empire perse. Lorsque Jérusalem fut détruite par les romains en l’an 70, Antioche devint la nouvelle capitale de la chrétienté, au point que lors du 1er concile de toutes les églises chrétiennes, à Nicée[6] (325) les Pères de l’Eglise acceptèrent le maintien des privilèges de l’Église d’Antioche sur l’Orient, et son autonomie.
Mais cette autonomie n’empêcha pas Antioche de connaître des scissions qui donnèrent naissance à plusieurs églises, de traditions diverses, indépendantes de Rome[7].
Pourquoi faire ce que certains pourront considérer comme une inutile digression ? Pour souligner que :
* Cette diversité de communautés chrétiennes, qui s’ouvre comme une arborescence ne date pas de la Réforme[8]. Leurs origines tiennent souvent à des conditions historiques, mais si elles ont survécu jusqu’à aujourd’hui[9], c’est peut-être qu’elles détiennent un petit bout de vérité, sous la condition qu’elles demeurent en Christ[10].
* Les deux premiers conciles étaient des conciles « œcuméniques », rassemblant toutes les Églises chrétiennes du bassin méditerranéen. Ce furent les seuls, car l’empereur Constantin[11] ayant institué l’Église chrétienne de Rome comme Église d’Etat, ses successeurs décidèrent de faire de cette religion un instrument de son pouvoir : asseoir la primauté de « l’Eglise catholique Romaine » c’était asseoir son pouvoir politique dans toutes les provinces. Ainsi fut inaugurée l’instrumentalisation d’une religion[12] par un pouvoir civil, et ce fut la fin des conciles « œcuméniques ». Nous ne devons pas être dupes aujourd’hui d’instrumentalisations en tous points analogues.
Pour revenir à cette unité que nous portons dans nos prières, la lettre aux Galates nous éclaire : Paul poursuivait son ministère missionnaire en Asie mineure, à partir d’Antioche, avec Tite, et Barnabé[13]. Dans un souci de communion, il éprouva le besoin de valider son action auprès de l’Église-mère, celle de Jérusalem, où il se rendit « après quatorze ans »[14].
Il fut accueilli par ceux qu’il nomme les 3 colonnes[15] (Gal. 2,9) de l’Eglise chrétienne de Jérusalem. L’accueil ne fut pas des plus chaleureux. Paul ne fit aucune concession sur ce qu’il estimait être « la vérité de l’Evangile » mais il se rendit compte qu’il avait devant lui des « personnalités[16] » non pas parce qu’elles occupaient des places prépondérantes dans l’Eglise, ce qui ne l’impressionnait guère[17] mais parce qu’elles avaient reçu le discernement que donne l’Esprit Saint.
Et de fait, soutenu par Pierre, rien ne lui fut imposé et les protagonistes de cette rencontre se quittèrent en se serrant la main. Aujourd’hui, nous sommes privés de ce serrement de mains, mais lorsque nous pourrons de nouveau le pratiquer nous nous rendrons compte de toute la symbolique qu’il représente : le serrement de mains est un signe de paix, et de bienveillance envers l’autre, et il n’est pas anodin que Paul ait jugé utile de souligner ce geste, devenu totalement banal aujourd’hui[18].
Et pour véritablement sceller cette paix, cette communion retrouvée, ils promirent de se souvenir des pauvres. C’est la diaconie, et c’est à travers cette diaconie et les actions qu’elle génère, que la communion entre frères peut réellement se réaliser.
Je préfère ce mot communion à celui d’unité, qui laisse augurer des accords entre organisations humaines[19], tandis que la communion, elle est vécue au quotidien entre des personnes de chair et de sang qui vivent ensemble une expérience de fraternité dans l’action, sans autre enjeu.
Et Jésus ne dit pas autre chose dans son commandement : aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. Nous savons jusqu’où Jésus nous a aimés. Comment ne pas déborder de reconnaissance pour cet amour immérité, donné sans contrepartie ? En aimant à notre tour.
« Qui est mon prochain ? » demandait le docteur de la Loi à Jésus dans la parabole du bon Samaritain[20]. Après la lui avoir racontée, Jésus lui suggère la réponse : Je n’ai plus à me demander qui est mon prochain, mais comment serai-je le prochain de tout homme ou femme que je rencontrerai. Ainsi, c’est à moi de commencer à aimer, de m’approcher de l’autre, tel qu’il est et non pas tel que je voudrais qu’il soit. C’est cela le respect de son altérité, ce dont nous sommes parfois assez éloignés.
Lorsque Jésus nous dit Nul n’a d’amour plus grand que celui qui se dessaisit de sa vie pour ceux qu’il aime, il n’est pas nécessaire pour cela de mourir en martyr sur un bûcher, mais de se « départir » de sa vie, faire un pas de côté pour retrouver mon prochain, avec empathie, ouverture d’esprit, bienveillance, disponibilité.
C’est ainsi que nous pourrons réaliser concrètement, localement, cette communion avec nos frères en Christ, avec lesquels nous avons déjà bien des choses en commun : un même baptême, une même parole de vie, un même credo, une même prière universelle. Cela ne pèse-t-il pas plus lourd que nos différences ?
Et Jésus nous donne la clé pour réaliser cette communion : Demeurez en moi comme je demeure en vous !, injonction qu’il illustre par la parabole de la vigne et des sarments. Le moyen de demeurer en Christ étant de rester greffé sur le cep et d’accepter d’être régulièrement émondés, taillés de tout ce qui nous encombre, absorbe inutilement notre énergie et nous éloigne du Seigneur.
Demeurer « en Christ », greffés sur le cep est la seule façon d’espérer porter du fruit. Le fruit, la glorification du Père (v.8), sera le produit des relations fécondes que nous entretiendrons avec notre prochain, Jésus incluant nos frères en Christ : tous vous reconnaîtront pour mes disciples, à l’amour que vous aurez les uns pour les autres. (13, 35).
Alors en rendant cet amour que nous avons reçu, nous pourrons vivre cette communion au quotidien, et pour ce qui concerne « l’unité », nous pouvons par la prière, nous en remettre au Seigneur, comme le faisait l’initiateur[21] de cette semaine annuelle : « l’unité que Dieu voudra, par les moyens qu’Il voudra ».
Amen,
François PUJOL
[1] Jacques « le juste ».
[2] En particulier Esaïe : 42,6-7 - 49,6 - 52,10 – 52,15 – 56,7 – 65,1.
[3] Ils se réconcilieront ultérieurement, à Jérusalem, puis seront ensemble victimes de la folie meurtrière de Néron
[4] Voir Galates 2, 11-21. On a tendance à oublier cette ville car elle n’a pas reçu de lettres de Paul figurant dans notre N.T., mais Luc parle de sa fondation dans les Actes (11, 19-30).
[5] Il s’agit d’Antioche sur l’Oronte, à ne pas confondre avec une quinzaine d’autres « Antioche » construites dans tout le Moyen Orient par le roi (à partir de -305) Séleucos 1er en l’honneur de son fils Antiochos.
[6] Où fut rédigé le 1er Credo, complété en 381 par le 2ème concile œcuménique, de Constantinople, notre Credo actuel, partagé par toutes les Eglises chrétiennes.
[7] Des églises de tradition grecque, de rite orthodoxe ou de rite « catholique oriental », Des Eglises de tradition syriaque occidentale où l’on distingue également un rite orthodoxe et un rite « catholique oriental », l'Église syriaque orthodoxe (communion orthodoxe orientale), l'Église catholique syriaque (catholique orientale), toutes membres du Conseil Œcuménique des Eglises, l'Église maronite, de tradition catholique orientale, la seule à reconnaitre l’autorité du pape, L’Église Chaldéenne, catholique orientale de tradition syriaque, qui s’est développée en Irak (siège à Bagdad).
[8] Qui connut dès les origines, dissidences, scission et autres, qui avaient pour causes des divergences théologiques qui n’avaient rien de secondaire (baptême, Sainte Cène).
[9] Actes 5, 38-39, l’intervention de Gamaliel devant le sanhédrin : « Maintenant donc, je vous dis une chose : ne vous occupez plus de ces gens-là et laissez-les partir. Si leur projet et leur action viennent des hommes, cela disparaîtra. Mais si leur projet et leur action viennent de Dieu, vous ne pourrez pas les faire disparaître »
[10] v. 6 : Si quelqu’un ne demeure pas en moi, il est jeté dehors comme le sarment, il se dessèche, puis on les ramasse, on les jette au feu et ils brûlent.
[11] Constantin 1er, dit « le grand », (272-337)
[12] Y compris lorsqu’il s’agit d’une « religion laïque ».
[13] Envoyé par l’Église de Jérusalem à Antioche, où l’église chrétienne s’était développée presque spontanément, sans l’intervention initiale d’aucun des apôtres, Paul et Pierre ne venant que pour la conforter.
[14] Voir lettre de Paul aux Galates, chap.2
[15] Jacques, Pierre et Jean
[16] Les 12 apôtres
[17] Galates 2,6
[18] Ou plutôt hier et peut-être demain
[19] Le synode de 1938 avait pour but la réunification de l’Église Réformée, séparée en deux entités depuis 1872 (libéraux et évangéliques), mais ce fut au prix de nouvelles dissidences, certaines Eglises locales n’acceptant pas les concessions faites.
[20] Luc 10, 29-37
[21] L’abbé Paul Couturier, à partir de 1939 (fondateur également du groupe œcuménique des Dombes)