Prédications Protestantes dans les Alpes du sud 

Dimanche 18 Juin 2017

Trescléoux (05700)

Lectures du jour :

Jean 6, 51-59 ;

Deutéronome 8, 11-16

1 Corinthiens 10, 16-17

Cène ou Eucharistie ?

Introduction

Frères et sœurs, le texte proposé ce matin est assez lourd, voire hermétique : Alors que nous qui savons que Jésus a été crucifié, a donné son corps, a versé son sang pour nous, nous pouvons essayer d’interpréter ses paroles, imaginez ce qu’ont pu en penser les juifs qui l’ont écouté, puisque le v. 59 nous précise que ces paroles ont été prononcées par Jésus dans la synagogue de Capernaüm.

Ils en ont simplement fait une interprétation au 1° degré, comme peut-être beaucoup de gens encore aujourd’hui Comment peut-il donner sa chair à manger ? (v.52).

« La chair » : il y a une confusion sémantique, sur le sens donné au même mot, à 2.000 ans d’intervalle. Dans tout le N.T., la chair ne désigne pas nos muscles, mais notre être tout entier, et d’une façon générale les hommes et les femmes du moment. C’est la seule façon de comprendre par exemple ce verset de Paul aux Corinthiens : (I Cor 1.26) : Considérez, frères, que parmi vous qui avez été appelés il n'y a ni beaucoup de sages selon la chair, ni beaucoup de puissants, ni beaucoup de nobles.

Rien à voir, donc, avec le péché de chair, ciblé par les puritains de tout poil.

Ce texte, pour nous qui connaissons les autres Évangiles, évoque immédiatement notre Sainte Cène et le dernier repas du Jeudi Saint pris avec les 12.

Les 3 synoptiques en font la narration, et, bien avant eux, Paul lui-même, dans I Cor.11.

Mais Jean écrit ces lignes bien après les synoptiques, qu’il connait certainement, et Jean se démarque de cette chronique des derniers jours de Jésus, en se concentrant sur l’essentiel : Affermir la foi des jeunes communautés chrétiennes en les structurant autour de thèmes et de gestes fondateurs à travers lesquels elles pourront affirmer leur identité dans un contexte hostile.

Tel est le sens de ces deux sacrements que sont le baptême et la Sainte Cène.

Ces jeunes communautés sont également en butte à des théologies déviantes propagées par des prédicateurs itinérants, comme par exemple qu’il y aurait un dieu du bien et un dieu du mal, ou que Jésus ne serait qu’un esprit venu chercher ceux qui sont restés fidèles à Dieu pour les emmener au ciel[1], que sa crucifixion devrait être envisagée de façon symbolique, tout comme sa résurrection, etc…

Le texte que nous avons lu est donc un texte de réaction, de réaffirmation, centré non pas sur l’enseignement du Christ, mais sur sa personne elle-même, car c’est sa personne, c’est Christ lui-même qui est au cœur de notre foi, et au cœur de l’Évangile de Jean, ce qui nous renvoie à son prologue :

Et la parole a été faite chair, et elle a habité parmi nous, pleine de grâce et de vérité ; et nous avons contemplé sa gloire,

L’incarnation

A la différence des synoptiques et de Paul, Christ ne dit pas ceci est mon corps, mais ceci est ma chair : Ce pain et ce vin sont ma chair et mon sang, c’est à dire moi, Dieu Fait Homme, c’est ce mystère de l’incarnation, qui seul permet la communion entre Lui et nous, sur lequel Jean veut insister.

La vraie nourriture (v.55) :

La célébration de la Sainte Cène perpétue le sens du sacrifice de Jésus sur la croix, par un geste, un acte, qui ne sera pas seulement « faire mémoire de », mais qui sera la répétition, génération après génération, de l’acte initial en ce Jeudi Saint, et des paroles qu’il a prononcées, « après avoir rendu grâces[2] ».

Célébrer la Sainte Cène, c’est affirmer que Jésus est notre seule vraie nourriture.

Les nourritures terrestres ne peuvent rassasier, elles sont toujours à renouveler, comme le fut la manne au désert (v.58).

Jésus est la seule vraie nourriture qui rassasie, comble notre vie et nous assure la vie éternelle, en sa présence. Mais pour cela il faut qu’il soit en nous, et que nous, nous soyons en lui.

La Cène aujourd’hui

Alors aujourd’hui, ce texte nous interpelle, car notre compréhension de ce texte dira ce que nous venons chercher en participant à la Sainte Cène, et ce que nous y trouverons, ou plutôt, qui nous y trouverons.

Et ce texte interpelle notre Eglise, nos Eglises issues de la Réforme, qui ont connu des positons très diverses sur le sens de la Cène, faisant l’impasse sur certains textes ou n’en retenant qu’une partie, égratignant au passage l’autorité des Ecritures :

* Luther, le premier, l’initiateur, il y a exactement 500 ans, ancien moine, voit la présence du Christ pendant la Cène mais le pain et le vin ne sont pas transformés littéralement en son corps et son sang. On dit que le Christ est « dans, avec et sous les éléments »[3]. Ainsi les participants prennent part au vrai corps et au vrai sang du Christ, à travers une hostie donnée individuellement au fidèle par le pasteur, chaque dimanche, l’eucharistie étant l’acte central de l’office.

* Zwingli le zurichois, et Farel avec lui, ont une vision radicalement différente de la la Cène, qui est seulement une commémoration. Zwingli rejetait toute idée de présence réelle de Christ et affirmait que la Cène était d’abord un acte commémoratif « faites ceci en mémoire de moi ». Christ était, cependant, présent spirituellement auprès de ceux qui prenaient part à la Cène et en quelque sorte il reconnaissait « une œuvre de Dieu dans la Cène » par le Saint Esprit. La cène n’est célébrée que 3 ou 4 fois par an, lors des grands évènements liturgiques. Ce qui est central dans les cultes, c’est la Parole, sa lecture et son commentaire.[4]

* Calvin rejette la présence corporelle du Christ dans la Cène mais affirme que la présence spirituelle du Christ est tellement réelle que « sa personne entière, corps et sang, est sensible dans la Cène. La mort sacrificielle du Christ est vécue par le croyant lorsqu’il prend part au pain et au vin dans la foi. »[5] Ainsi, selon la conception calviniste, le pain et le vin sont plus que symboliques et en prenant part à la Cène, le croyant expérimente la présence libératrice du Christ.

Mémoire et action de Grâces

Aujourd’hui, toutes ces controverses ont cessé[6], alors que retenir ?

Lorsque nous mangeons le pain et buvons le vin, symboles de la mort de Jésus, nous nous identifions avec Christ. Cela se fait en public : Ensemble nous nous levons pour former cercle avec nos frères et sœurs pour participer à ce repas, c’est un engagement, c’est proclamer Moi j'appartiens à Jésus, j'accepte sa mort à ma place et j'accepte qu'il m'aime. J'accepte son salut ou bien J'affirme ma foi en Jésus-Christ. J'ai besoin du Seigneur parce que je reconnais qu'à cause de mon péché il est mort à la croix".

Si le baptême marque le début de la vie chrétienne, l'entrée dans l'église, la Sainte Cène marque sa continuation. Paul nous dit dans notre seconde lecture : La coupe de bénédiction que nous bénissons, n'est-elle pas la communion au sang de Christ? Le pain que nous rompons, n'est-il pas la communion au corps de Christ? Puisqu'il y a un seul pain, nous qui sommes plusieurs, nous formons un seul corps; car nous participons tous à un même pain.

Paul rappelle aussi que sauvés individuellement, nous sommes membres d’une famille - la famille de l'église universelle, avec toutes ses forces et ses faiblesses. Par la Cène nous sommes en communion au sein de cette église avec tous nos frères et sœurs, dans un geste commun de reconnaissance.

Conclusion

Suffit-il de manger ce pain et boire ce vin en proclamant Je fais partie du corps de Christ, pour accéder à la Vie Éternelle, comme Jésus le promet aux versets 53 et 54 ? Assurément non, car Jésus dit aussi au verset 57, que nous devons vivre par Lui, mettre nos pas dans les siens. Il dira plus loin, dans la scène du lavement des pieds[7]: je vous ai donné un exemple, afin que vous fassiez comme je vous ai fait. (Jean 13/15)

Mais c'est là que le bât blesse, nous savons tous que nous faisons le mal que nous ne voudrions pas faire et nous ne faisons pas le bien que nous voudrions faire ![8]

L’accès à la vie, la vie éternelle qui nous est promise, nécessite de discerner dans ces nourritures terrestres, une nourriture divine qui peut faire vivre à jamais celui qui les reçoit. Notre foi nous fait vivre cette expérience d’entrer en communion avec Dieu lui-même, avec cette Parole qui s’est faite chair par Jésus Christ.

Alors si Christ lui-même est en nous par ce pain et ce vin, nous serons en Lui et nous passerons naturellement à l’action, nous irons du dire à l’agir et porterons le témoignage que Jésus est vivant, en nous, ici et maintenant.

Amen !

François PUJOL

[1] Doctrines que l’on retrouvera dans le Docétisme au 3° siècle, et plus tard dans le Catharisme médiéval

[2] Traduction exacte du grec « eucharistie »

[3] C’est la consubstantiation, qui remplace la transsubstantiation des catholiques (nuance subtile !).

[4] Et même physiquement, dans les temples, la chaire, d’où est annoncée la Parole de Dieu, est au-dessus de la table où est célébrée la Cène

[5] Jean Calvin : Petit Traité de la Sainte Cène - 1541

[6] Voir la Concorde de Leuenberg (16 Mars 1973), signée entre les Églises luthériennes et réformées, les Églises Vaudoises et les Frères moraves qui constate leur compréhension commune de l’Évangile, ce qui leur permet de déclarer entre elles la communion ecclésiale, et de la réaliser.

[7] Qui est devenu un acte important de la liturgie pascale chez les catholiques

[8] Lettre de Paul aux Romains 7/19