Prédications Protestantes dans les Alpes du sud
Dimanche 07 septembre 2008
Temple de Pierre Grosse * Molines en Queyras (05350)
Lectures Bibliques :
Jérémie 1, 4-19
Psaume 71, 1-6
1 Corinthiens 13, 1-13
Luc 4, 21-30
Pour préparer in extremis une prédication non prévue, j’ai regardé les textes proposés pour ce dimanche et ils ne m’ont guère inspiré. J’ai donc pris la liberté de reprendre une méditation (du 28 Janvier 2001) sur un texte que j’aime beaucoup : Un récit de vocation dans l’A.T. :
Notre espérance, une utopie ?
Pour se savoir appelé par Dieu, Jérémie n'a pas été alerté par une vision céleste, comme Ésaïe ou Ezéchiel. Il nous relate très simplement un dialogue initial, dont le Seigneur a pris l'initiative. Ce n'est pas à proprement parler un appel, c'est plutôt la notification du projet de Dieu à son égard: "avant ta naissance, j'ai porté mon regard sur toi, je t'ai mis à part pour mon service, je veux faire de toi un prophète pour les nations". Comme en écho, des siècles plus tard, un certain Paul évoquera sa vocation en termes semblables, dans sa lettre aux Galates: "Celui qui m'a mis à part dès le sein de ma mère et m'a appelé par sa grâce a jugé bon de révéler en moi son Fils afin que je l'annonce parmi les nations".
Ainsi ces deux serviteurs de la Parole ont eu la même conviction de n'avoir pas décidé par eux-mêmes de le devenir, mais d'avoir été choisis par Dieu, pré-destinés à ce service. Si je dis pré-destinés, il ne s'agit pas de déterminisme : ils n'étaient pas conditionnés à l'avance de manière inéluctable, ils étaient voués à une mission proposée par Dieu, mais qu'ils pouvaient refuser. L'appel de la grâce est premier, mais il faut lui répondre. Dieu n'aliène pas la liberté de ses serviteurs.
On le voit bien au fait que, comme Moïse ou Gédéon avant lui, Jérémie n'accepte pas d'emblée cette mission. Il réagit d'abord en présentant une sérieuse objection : "Ah Seigneur Dieu, je ne saurais parler, je suis trop jeune !" Le parallèle avec Moïse ne serait pas tout à fait exact, car Moïse objectait à Dieu qu'il n'était pas doué pour la parole: "J'ai la bouche lourde et la langue lourde!", tandis que Jérémie semble plutôt penser : qu'il n'a pas encore l'âge requis pour parler en public : "Je suis trop jeune pour avoir droit à la parole, on ne me prendra pas au sérieux !"
Mais le Seigneur écarte l'objection: "C'est moi qui t'envoie, et je te donnerai l'autorité nécessaire. Ne t'inquiète pas, ce sont mes paroles que tu auras à transmettre. Et il le confirme par un geste symbolique fort (là est le seul élément visionnaire du récit) "Le Seigneur avança la main, toucha ma bouche, et le Seigneur me dit : ainsi je mets mes paroles dans ta bouche" Ce geste intronise le prophète comme porte-parole de Dieu.
Aussitôt après, Jérémie entend Dieu lui préciser le contenu essentiel de son message prophétique: "Sache que je te donne aujourd'hui autorité sur les nations et sur les royaumes, pour déraciner et renverser, pour ruiner et démolir, pour bâtir et planter". Ces six verbes relèvent de deux images classiques pour désigner le peuple de Dieu, soit la vigne que Dieu a plantée, soit la ville sainte et ses constructions, dont le splendide édifice du Temple.
Il y a ici quatre verbes pour évoquer le déracinement et la démolition, et seulement deux pour évoquer une reconstruction ou une nouvelle plantation/Le lecteur du livre de Jérémie n'aura pas de peine à comprendre que cette disproportion correspond effectivement au contenu du livre. Jérémie prophétise à Jérusalem à la fin du règne de Josias, et surtout sous celui de Yoyaqim, qui règne de 609 à 598. Le prophète constate que malgré la réforme de Josias restée superficielle, le peuple et ses dirigeants sont corrompus, et il voit venir le châtiment de ce peuple infidèle. C'est pourquoi la plupart de ses oracles annoncent des événements tragiques. Très spécialement, à deux reprises, il prédit la ruine du Temple lui-même, propos scandaleux qui lui vaut des menaces de mort ! Mais il faut rappeler que cette annonce du châtiment est toujours conditionnelle. Nous l’avons vu avec Jonas, si le peuple écoute l'avertissement et change de conduite, Dieu écartera le malheur annoncé : "Tantôt je décrète de déraciner, de renverser et de ruiner une nation. Mais si cette nation se convertit du mal qui avait provoqué mon décret, je renonce au mal que je pensais lui faire». (18,7s). Ce sera là le message essentiel de Jérémie, avant l'invasion babylonienne. Mais le peuple ne l'écoutera pas, et il devra vivre son ministère à travers de grands tourments.
Pourtant Jérémie n'est pas qu'un prophète de malheur. Il sait que la grâce de Dieu doit avoir le dernier mot. C'est pourquoi il annonce, par-delà le temps du châtiment, le temps du pardon et de la restauration, le temps où Dieu conclura avec son peuple une "nouvelle alliance". "Des jours viennent, oracle du Seigneur, où je veillerai sur eux pour bâtir et pour planter, comme j'ai veillé sur eux pour déraciner et renverser, pour démolir et ruiner" (31,28). C'est toujours le même leitmotiv caractéristique du livre de Jérémie, incluant ici le thème de la vigilance de Dieu.
Ce thème était déjà là lors de la vocation du prophète: "La parole du Seigneur s'adressa à moi: que vois-tu, Jérémie ? Je dis: ce que je vois, c'est un rameau d'amandier. Le Seigneur me dit: c'est bien vu ! Je veille à l'accomplissement de ma parole." En hébreu, l'amandier s'appelle "le veilleur", celui qui s'éveille quand les autres dorment encore.
J’ai trouvé un joli texte de René Barjavel qui le confirme :
"Les seuls arbres fruitiers qui poussaient autour du hameau étaient les amandiers à l'écorce noire, toujours à moitié morts de gel et de sécheresse. Mais ils avaient leur moment de gloire : fin février, ils se couvraient de fleurs pour appeler le printemps. Pendant quelques jours leurs vieilles silhouettes anguleuses se transformaient en bouquets éclatants, d'un rose très pâle, presque blanc, offrant l'exemple de l'espoir jamais détruit"
Là où le romancier a vu un symbole d'espoir, Jérémie a lu celui de la vigilance de Dieu.
Ce passage est intéressant pour révéler ce que peut être l'inspiration prophétique. Jérémie n'est pas un "visionnaire", mais un promeneur attentif. Il a été frappé par le spectacle de cet arbre en fleur, et l'esprit de Dieu, à travers un jeu de mot, lui a suggéré une signification spirituelle qu'il nous transmet. De même pour la soi-disant deuxième "vision", celle d'un chaudron qui bouillonne du côté du nord. C'est un spectacle de rue tout banal qui là aussi reçoit un sens prophétique. A l'encontre de ses contemporains qui craignaient surtout la menace égyptienne, Jérémie a la révélation que le danger va venir des royaumes du Nord. C'est en effet l'armée babylonienne qui bientôt va assiéger Jérusalem et les villes de Juda.
Un dernier trait de ce récit de vocation anticipe sur un motif que développera le prophète au long de son ministère. La principale raison de la colère de Dieu contre son peuple, c'est l'idolâtrie : "ils m'abandonnent, ils brûlent des offrandes à d'autres dieux, ils se prosternent devant l'œuvre de leurs mains". Dès le chapitre suivant, Jérémie va stigmatiser cette corruption en tant qu’oubli par le peuple de son premier amour, ou l'abandon de la source d'eau vive pour des citernes crevassées. Mais il n'oubliera pas d'ajouter que cet abandon du vrai Dieu et le mépris de sa loi se manifeste aussi par toutes sortes d'injustices sociales, qu'il dénonce avec vigueur: "Tel un panier plein d'oiseaux, leurs maisons sont pleines de rapines : c'est ainsi qu'ils deviennent grands et riches, gras et reluisants. Ils battent le record du mal. Ils ne respectent plus le droit, le droit de l'orphelin, ils ne prennent pas en mains la cause des pauvres. Ne dois-je pas sévir contre eux ?- oracle du Seigneur" (5,27ss)
Nous savons qu'au temps de Jérémie, Dieu a effectivement veillé sur l'accomplissement de sa Parole, celle qui annonçait la destruction, comme aussi les promesses de restauration. Mais tout cela n'est-il pas de l'histoire ancienne? Je pense que le double axe de la prédication de Jérémie, le négatif et le positif, garde sens pour nous. Par sa Parole, qui pour nous est essentiellement celle de Jésus, Dieu veut toujours détruire ce qui doit être détruit, pour pouvoir bâtir du neuf. Sa parole a pour premier rôle de renverser nos propres idoles, le culte du pouvoir ou de l'argent, de démolir nos comportements orgueilleux, de déraciner de nos cœurs tout sentiment égoïste. Alors, comme l'écrit Jacques, "débarrassés de toute souillure et de tout débordement de méchanceté", nous sommes invités à "accueillir avec douceur la parole plantée en nous".
Cette parole plantée en nous est celle qui peut faire naître et grandir l’amour de Dieu et du prochain, Car elle est la parole de Celui qui s'est totalement dépouillé et nous a aimés jusqu'à en mourir et nous appelle à aimer comme il nous a aimés.
Oui, déraciner et replanter, démolir et rebâtir, telle est l'œuvre efficace que la parole du Christ, la parole de ses prophètes et de ses apôtres peut accomplir toujours à nouveau dans nos vies. Si nous l'écoutons, si nous en vivons (et c'est là l'essentiel de la foi et de la vie chrétienne), nous pouvons espérer alors que nos communautés soient à leur tour sans forfanterie, porteuses d'un authentique message pour nos sociétés, écho de celui de Jérémie, prophète pour les nations. La parole de l’Église ne doit-elle pas dénoncer les formes modernes de l'idolâtrie, et toutes les injustices qu'elles entrainent, violation des droits de l'homme, exclusions, racisme, pouvoir excessif de l'argent, tout ce qui dresse des murs de séparation entre les hommes suscite les haines et les guerres, et conduit tôt ou tard au désastre.
Il faut oser crier avec force nos indignations, nos refus de l'inacceptable. Trop souvent, par vaine prudence ou lâcheté, nous nous taisons, nous semblons accepter le règne de la corruption et la loi du plus fort. Heureusement, il y a toujours ici ou là des témoins courageux, des voix prophétiques, qui ne se réclament pas toujours de l’Évangile, mais qui portent, sans le savoir, une vraie parole de Dieu pour leurs contemporains.
Mais être prophète pour les nations, à l'instar de Jérémie, c'est aussi oser dire une parole d'espérance, répéter sans se lasser qu'il n'est pas fatal que l'humanité se déchire et se détruise. C'est rappeler les bases de toute reconstruction authentique que sont la justice et l'amour, le respect de toutes les créatures. Sans prétendre construire eux-mêmes le Royaume de Dieu promis, les hommes pourraient tenter de bâtir une société moins barbare, plus pacifique et plus harmonieuse, dans ce monde que Dieu a fait si beau ! C'est une utopie, mais il faut oser la proposer à nos contemporains. L'utopie ou la mort ! C'est comme le testament que nous laisse l'admirable Théodore Monod qui écrivait :
L'homme du troisième millénaire va devoir abandonner la parade, les faux dieux que sont le sang, la race, le sexe, le profit; la raison d’État, s'il veut survivre. Mais personne ne doit céder à la tentation du désespoir: Ni les ténèbres ni les cendres ne justifient de se laisser aller à l'à quoi bon" !
Gardons au cœur cet avertissement lucide et cet encouragement à ne pas désespérer.
Amen !
Charles L’Eplattenier