Prédications Protestantes dans les Alpes du sud
DIMANCHE 22 Septembre 2019
Culte à Trescléoux (05700)
Lectures du Jour :
Amos 8, 4-7
Jérémie 24,1-10
1 Timothée 2, 1-8
A votre bon cœur !
Je ne sais pas à quand remonte votre dernier examen du cœur – pour moi il remonte à une dizaine de jours – car ce qui m’intéresse dans ce passage, c’est la place centrale donnée au cœur au milieu de cette drôle de parabole pleine de figues.
En effet, verset 7 : « Je leur donnerai – dit Dieu – un cœur pour qu’ils sachent que je suis le Seigneur. Ils seront mon peuple, et moi, je serai leur Dieu, s’ils reviennent à moi de tout leur cœur. »
Alors, d’emblée ce verset pose un problème de logique : pourquoi Dieu veut-il donner un cœur à des gens qui en ont déjà un puisque c’est en revenant vers lui « de tout leur cœur » qu’ils le recevront (le cœur) ? C’est bizarre.
Et puis, qui sont ces gens à qui Dieu veut donner un cœur et en faire son peuple tandis que d’autres seraient voués à un triste sort ?
Et pourquoi ces pauvres gens en question sont-ils ceux-là même qui habitent à Jérusalem et dans le tout petit royaume de Juda ?
C’est cela que nous allons chercher ensemble à comprendre, ce matin.
D’abord, petite leçon d’histoire.
Ce texte renvoie à la situation politique au 6ème siècle avant notre ère dans le Proche Orient Ancien. L’Empire de Babylone étend sa domination sur les hébreux dont la nation est divisée en deux royaumes : Israël au nord et Juda au sud. Après avoir été sous domination Égyptienne, les deux petits royaumes hébreux deviennent vite des vassaux de Nabuchodonosor II, roi de Babylone.
Mais bien vite le roi de Juda, Joachim, refuse de payer son tribu au suzerain de Babylone. S’ensuit une expédition punitive des armées babyloniennes en Judée. Le roi Joachim est tué, son fils Joaqin est déporté et c’est le docile Sédécias, frère du roi défunt Joachim qui est installé sur le trône de Juda, petit royaume fantoche et décapité : en effet, à la suite du dauphin Joaqin, c’est toute l’élite intellectuelle et religieuse qui est déportée à Babylone. C’est de cette expérience traumatique que naîtra le mythe de la Tour de Babel, symbole universel de l’impérialisme totalitaire.
Cette page historique terminée, revenons au message du texte biblique.
Car c’est depuis Babylone que la prophétie de Jérémie résonne. C’est lui et ses compatriotes déportés que le texte compare à une corbeille de figues abîmées et pourries. Mais, contre toute attente, c’est pourtant à lui et à ses compatriotes abîmés par un exil forcé, à qui Dieu va donner un cœur et une lumière d’espérance. Pas au peuple resté sur place en Judée, mais à eux, les exilés, les oubliés, les exclus. Ce n’est pas le peuple resté sur place, « les gens du pays », le peuple de la terre promise qui a la faveur de Dieu, mais au contraire, ceux qu’on considérait comme punis, rejetés, bannis par la volonté même de Dieu.
Ce retournement inattendu de situation est le fruit d’une interprétation nouvelle, d’un renversement de point de vue, en somme… d’une conversion. Une conversion : c’est de cela qu’il s’agit dans l’expression à la fin du verset 7 : « Ils seront mon peuple s’ils reviennent à moi de tout leur cœur ».
Ce texte est d’une actualité et d’une permanence criante. Car derrière l’anecdote historique du Proche Orient Ancien ; derrière la parabole obscure de deux corbeilles de figues ; derrière la parole archaïque et hallucinée d’un prophète, c’est de nous qu’il s’agit. Oui, de chacune et chacun de nous, dans notre manière de nous considérer nous-mêmes et aussi de considérer les autres.
En effet, j’observe que deux peuples, comme dans ce texte, se disputent la faveur de la vérité. Le peuple des « gens d’ici » contre celui de là-bas ; le peuple des « nous d’abord » contre celui des « étrangers après » ; le peuple des « gens de souche » contre celui des « gens d’ailleurs » ; le peuple des « vrais » contre celui des « faux ».
En ce début de 21ème siècle, l’Europe – mais pas que – est en crise. Une crise profonde qui accompagne généralement les changements d’époque. Plus que de siècle, c’est de millénaire que nous changeons et cela réveille en nous des peurs profondes et parfois préhistoriques. La fin du monde, la fin de l’Occident, la fin du christianisme, la fin de la famille, la fin des saisons, la fin du politique...
Ce discours de la « fin de tout » - ce qu’on appelle la déréliction – traduit notre angoisse à voir l’imprévu arriver, l’indésirable s’installer. Comme les gens du pays – le am ha’arets en hébreu – nous voyons d’un mauvais œil les gens que la vie a exclu, que la fatalité a touchés, que la justice ou/et l’injustice ont condamné, que le hasard a frappé.
Le hasard ? Les gens bien-comme-il-faut savent bien qu’il n’y a pas de hasard.
On mérite toujours, d’une manière ou d’une autre ce qui nous arrive. Si bien que ces personnes qui réclament leur part de bonheur ; ces personnes qui demandent l’asile ; ces personnes qui outrepassent nos frontières ; ces personnes qui dérangent nos yeux et nos certitudes ; ces personnes qu’on ne veut pas chez nous… oui, toutes ces personnes n’ont qu’à faire comme tout le monde : se démerder et aller voir ailleurs.
Clochard, migrants, malades, prostitué(e)s, voyous, marginaux, originaux, combien sont-ils dans leur exil hors du monde normé et borné des gens bien-comme-il-faut ? Ceux-là, sont du panier de figues fraîches, gorgés de vérités toutes faites, et d’une juteuse satisfaction. Mais à les ausculter, on verrait qu’à la place du cœur, c’est une horloge qu’ils ont. Pour compter le temps à garder pour eux et à donner le moins possible aux autres. Vivre sans cœur, c’est possible. La terre est pleine de gens ainsi constitués.
Mais si vous êtes là devant moi, ce matin, c’est parce que chez vous – enfin c’est ce que j’espère pour vous – c’est un cœur qui bat dans votre poitrine. Un cœur, un vrai. Pas l’organe que soigne le cardiologue, mais un vrai cœur, c’est à dire le centre de la vie, le siège de l’humanité, l’âme en quelque sorte. En hébreu, le cœur – lev – est l’organe de l’intelligence, des sentiments, de la vie et de la foi. Si bien que c’est un cerveau qui bat dans votre poitrine, d’un point de vue biblique.
Et c’est ce cœur-là, le cœur du Christ, le cœur de Dieu lui-même que Dieu veut faire battre en nous. Ce cœur-là, il ne se voit pas à l’échographie. Ce cœur-là, aucun cardiologue ne peut le réparer. Ce cœur-là, aucune pile, aucun traitement ne lui est d’aucun secours… car c’est là le cœur de notre foi : voir Dieu à l’inverse de ce que l’on voudrait qu’il soit. Exilé, il l’a été. Exclu, il l’a été. Moqué, il l’a été. Condamné, il l’a été. Tué, il l’a été. Enterré, il l’a été. La figue pourrie, c’était lui. Le raté, c’était lui. Le traitre, c’était lui. Et pourtant, c’est lui qui semble avoir eu du cœur pour tous ceux qui n’en avaient pas.
C’est dur d’avoir un cœur. Ça vous met de côté. Ça vous fait faire des choses que le commun des mortels ne ferait pas. Ça vous met à part, ça vous isole, ça vous distingue. Ça vous rapporte des ennuis, des fâcheries, des moqueries, des jugements… et parfois, il est plus simple de fermer les yeux et faire comme tout le monde, comme si on n’avait rien vu, rien su, rien lu.
Ce ne sont pas ceux qu’on croit, qui ont du cœur. C’est souvent ceux qui n’ont rien qui sont le plus généreux. Quand on n’a pas grand-chose, on est content et fier de le partager. Ce sont souvent ceux qui ont tout, ceux qui ont trop, qui estiment qu’ils n’ont rien à donner parce que ce qu’ils ont, ils le méritent. Et que du coup, ceux qui n’ont rien, le méritent aussi. Le salut par les œuvres… vous connaissez ?
Alors, si votre cardiologue vous dit que votre cœur est malade, donnez-lui un panier de figues fraîches et réservez-vous les pourries. Ça vous rappellera que le cœur n’est pas un organe mais un don de Dieu : le don d’aimer par-delà les préjugés. Amen
Amen !
Pr Arnaud Van Den Wiele