Prédications Protestantes dans les Alpes du sud
DIMANCHE 18 août 2019
Culte à Orpierre (05700)
Lectures du Jour :
Jérémie 38, 4-10 (Voir sous cette référence, méditation du 18 Aout 2013)
Luc 12 49- 53
Hébreux 12, 1-4
Le Feu sur la terre : Une rupture !
« Je suis venu apporter un feu sur la terre et combien je voudrais qu’il soit déjà allumé ».
Cette parole de Jésus est surprenante et difficilement explicable. D’autant plus qu’elle est suivie par une autre non moins surprenante : « Pensez-vous que je sois venu apporter la paix sur la terre ? Non, je vous le dis mais la division ». Et que l’on retrouve cette dernière dans Matthieu 10 34 : « Ne pensez pas que je sois venu apporter la paix sur la terre ; je ne suis pas venu apporter la paix, mais le combat ».
Et cette division, sinon ce combat, Jésus déclare vouloir les porter dans les familles ce qui nous met, de plus, particulièrement mal à l’aise.
En effet, le christianisme est une religion qui valorise la famille. Dans certaines Églises et cultures, foi et cohésion familiale sont presque synonymes. La parole de Jésus porte très précisément la division là où ça fait mal: entre le père et le fils (transmission du métier et du statut social) ; entre la mère et la fille (transmission des savoirs de la vie et de la survie, de la sagesse familiale et des secrets de femme) ; entre la belle-mère et la belle-fille (transmission de la tradition familiale et sauvegarde de l'identité de la famille du mari, de l'homme, à travers les générations). Tant au niveau théologique qu'éthique, ces paroles posent problème.
Et précisément, les relations familiales tiennent une grande place dans l’évangile de Luc si on pense par exemple aux déploiements généalogiques des trois premiers chapitres, ou au rôle de la famille de Jésus dans l'Église primitive. Ces relations sont pourtant durement éprouvées par le choc de l'annonce de l'Évangile. La naissance de Jean-Baptiste voit la rupture de la tradition familiale en ce qui concerne le nom : Il aurait en effet dû être appelé Zacharie , comme son père (Luc 1, 59-63) ; Et le jeune Jésus relativise l'autorité parentale en expliquant à ses parents qui le cherchaient et le retrouvaient dans le temple « qu’ils auraient dû savoir qu’il doit être dans la maison de son père »(Luc 2, 49). Comme dans les autres évangiles, Jésus subordonne l'attachement familial à l'appel à le suivre, mais sur un ton très catégorique :« Celui qui vient à moi doit me préférer à son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères, ses sœurs et même à sa propre personne » (Luc 14, 26). Et ( Luc 11, 27) Luc ajoute de sa source propre : « Tandis que Jésus parlait, une femme éleva la voix du milieu de la foule et lui dit : Heureux le ventre qui t'a porté et les seins qui t'ont allaité ! » Mais il répondit : « Heureux plutôt ceux qui entendent la parole de Dieu et qui l'observent ! ».Le choix est clair.
Toutes les relations familiales subissent une critique de la part de Jésus, et un ajustement, conflictuel, une vraie coupure même, semble nécessaire avant que celui qui le souhaite puisse recevoir l'Évangile.
Mais alors, qu’en est-il de la paix ?
C’est un autre motif de trouble pour le lecteur chrétien. Jésus ne serait pas venu apporter la paix ? Alors que tout au long de l'évangile (et des Actes des Apôtres), la paix caractérise justement par excellence le temps du salut et décrit l'état d'âme des croyants ! Par deux fois, pourtant, dans les deux textes que nous avons lus, Jésus nous dit : « Ne croyez pas que je sois venu apporter la paix sur la terre »: Il s’agit alors de la paix qui serait obtenue au moyen d’un renoncement à la décision de devenir disciple de Jésus et au profit du maintien de bonnes relations familiales.
La priorité donnée aux relations familiales, aux richesses, à une vie en paix dans la société terrestre est donc clairement opposée à la vocation et aux exigences de la vie avec Jésus et à la paix que peuvent nous apporter la foi et la confiance en Dieu
La paix, suivant le sens qu’on donne à ce mot et son contexte peut donc avoir pour Jésus une valeur positive ou clairement négative.
Jésus n’est pas venu apporter la paix sur la terre, mais que vient-il y faire ?
On trouve différentes affirmations à ce sujet dans l’évangile de Luc :
- Lors de la controverse lors du banquet chez Lévi, le collecteur d’impôts, qui réunissait différentes personnes de mauvaise réputation pour les pharisiens, Jésus déclare : « Je ne suis pas venu appeler ceux qui s’estiment justes, mais ceux qui se savent pêcheurs pour les appeler à un changement radical »
- Lors de la montée vers Jérusalem, un village samaritain refusa de recevoir Jésus. Jacques et Jean dirent : « Seigneur, veux-tu que nous commandions au Feu de descendre du ciel et de les exterminer ? » Mais Jésus refusa « car le fils de l’homme est venu non pour perdre les âmes des hommes mais pour les sauver ». Et ils allèrent dans un autre village.
- Ces paroles et bien d’autres ont suscité beaucoup de discussions et de contradictions tout au long du parcours de Jésus. Elles s'inscrivent dans un contexte de confrontation et de polémique, où Jésus montre clairement sa différence. Par rapport à Jean-Baptiste, il souligne qu'ils ont, tous les deux, une mission d'interpellation, mais d'une manière différente. L'initiative de Jésus suscite la contradiction. L'Évangile doit heurter, déclencher une crise pour pouvoir être vraiment écouté et accueilli.
Jésus est venu apporter un feu sur la terre.
Deux paroles du texte de Luc sont en rapport avec le feu. Dans l'épisode du village samaritain, Jésus refuse de faire tomber le feu du ciel. Dans le passage que nous avons lu, il est venu l'apporter.
Cela rappelle l'annonce de Jean-Baptiste (3,16-17) : « Il leur répondit à tous : Moi, je vous baptise d'eau, mais il vient, celui qui est plus puissant que moi, et ce serait encore trop d'honneur pour moi que de délier la lanière de ses sandales. Lui vous baptisera dans l'Esprit saint et le feu. Il a sa fourche à la main, il va nettoyer son aire; il recueillera le blé dans sa grange, mais il brûlera la paille dans un feu qui ne s'éteint pas. »
Le feu, dans l'Ancien Testament, accompagne les manifestations de la présence de Dieu t il est, dans le Nouveau Testament, l'élément du jugement, définitif, de Dieu. En même temps que Jésus refuse de l'anticiper contre le village Samaritain, il en pose pourtant le signe par sa propre existence, ses paroles, ses actes. Mais le jugement amorcé par Jésus induit aussi sa Passion. (12,50) "J'ai un baptême à recevoir; comme cela me pèse d'ici qu'il soit accompli !"
La violence, le choc de la confrontation de l'Évangile avec le monde tel qu'il est, avec la société et ses injustices, avec le système religieux établi, sera assumé par Jésus dans sa souffrance et sa mort. Jésus provoque, il agresse même, mais en même temps, il subit. La venue de l'Évangile dans la chair de l'humanité est à ce prix.
Le feu de Dieu, à la différence du feu physique, n'est pas domesticable par l'homme, et il n'est pas manipulable non plus à des fins égoïstes ou pour un enjeu de pouvoir.
Qu’en est-il pour nous aujourd’hui ? Comment avons-nous évolué depuis l’époque de Jésus, que ce soit au nom de l’Evangile ou de la dignité humaine ?
Pensons à l’évolution des droits de l’homme dans notre société européenne, dans les autres continents, à la progression de l’égalité entre tous les peuples de la terre, à la progression de l’égalité entre hommes et femmes.
Pensons à l’évolution des structures familiales, au prix de la rupture avec les traditions, mais au bénéfice de la liberté et de la dignité de la personne.
Dans le contexte œcuménique, la rupture des traditions pose un problème. Beaucoup d'Églises se voient en effet avant tout comme les gardiennes d'une tradition et réagissent très mal à toute réflexion qui risque de mener au changement. Les difficultés des femmes, (qui fournissent pourtant au moins les deux tiers des bénévoles dans les Églises) à accéder aux fonctions de responsabilité et de célébration, en est un exemple parlant. Comment prenons-nous nos responsabilités, dans le dialogue œcuménique et interculturel ?
En tout cas, la rupture provoquée par Jésus ne doit pas remplacer une domination par une autre, ou une tradition par une autre, mais elle ouvre à une autre façon de vivre, de raisonner, de «fonctionner ». Elle ouvre à la volonté de Dieu, et elle se vit, même si c'est inconfortable, sur fond de la promesse et de l'amour de Dieu.
Amen !
Jean Jacques VEILLET