Prédications Protestantes dans les Alpes du sud
DIMANCHE 28 AOÛT 2016
Trescléoux (05700)
Lectures du Jour :
Proverbes 4,1-13 (voir également sous cette référence, méditation du 1er Septembre 2019)
Luc 14,1-23
Hébreux 12,18-24
La Sagesse de la Parole
1. Un père est souvent aux prises avec sa paternité : comment faire de l’enfant de sa femme son enfant ?
Ce n’est pas immédiat, il faut parfois des années pour qu’à son tour le père se sente cette responsabilité : transmettre la vie. Autrement dit, devenir un parent, ce qui se dit du père comme de la mère.
Or à l’origine parent cela signifie accoucher d’où les mots de part ou parturition, issus de la même racine.
2. Il s’agit donc pour lui comme pour elle de mettre au monde mais c’est un accouchement qui dure plus longtemps et il n’est pas moins difficile ni moins douloureux parfois que celui de la mère. Souvent l’enfant se « présente mal », c’est-à-dire qu’il ne se laisse pas faire et résiste à l’enseignement ! Car forcément notre sagesse, que l’on veut lui inculquer est marquée par notre expérience qui elle, ne peut se partager et qui risque de nous voir répéter trop souvent « de mon temps… », autrement dit ce que nous avons connu mais que nos enfants n’ont pas vécu, ne vivront pas.
3. D'où l’expression « mettre au monde », qui dit bien ce qu’elle veut dire : il s’agit d’introduire dans le monde un être humain en lui apprenant à être intelligent c’est-à-dire à savoir créer des liens, des relations entre lui et les événements, entre lui et les autres ou plus exactement entre lui et l’Autre.
II La sagesse
C’est là que l’on peut mettre en évidence le sens de la sagesse. La sagesse n’est pas une liste de préceptes, de lois d’aphorismes[1], ou de proverbes, même tirés de la Bible, car la sagesse n’existe que si elle est vivante que si elle apparaît aux yeux de tous. La sagesse ne peut donc être que le résultat d’un vécu dans lequel chacun répond aux situations qu’il rencontre et chacun répondra d’une façon différente selon son cœur. Les réactions de chacun sont forcément différentes car l’événement ou l’Autre que l’on rencontre, nous n’avons aucune prise sur eux donc ce qui en sortira est totalement imprévisible.
C’est pourquoi tout est à recommencer à chaque génération avec chaque vie est c’est aussi pourquoi il faut recommencer à faire des bébés pour que subsiste l’humanité. C’est le mystère de la vie : elle est toujours à recommencer mais une chose subsiste, ajoutent les proverbes : « la gloire est la part des sages ». Non pas dans les flonflons ou dans les médailles mais par la reconnaissance dans les yeux des autres.
III Alors, comment être sage ?
Écouter ou plutôt regarder comment se révèle la sagesse dans ce chapitre 17 de Luc.
Elle se révèle de la façon la plus improvisée, au cours d’une invitation, à un banquet où l’on ne sait pas qui l’on va y rencontrer, ni ce qui peut y arriver.
Jésus est invité à déjeuner, un jour de de sabbat chez un chef des pharisiens et avec lui d’autres pharisiens, qui espèrent sans doute la controverse ! Autrement dit, qui se targuent d’être des sages reconnus… et probablement des pères de famille (c’est important pour la suite…).
Or voilà que l’imprévu surgit, avec l’irruption d’un homme visiblement malade.
Jésus va-t-il le guérir ? Précédé de sa réputation, c’est la question qui court. Or ce n’est pas possible : on est en plein sabbat et alors, la loi l’interdit !
Jésus n’entame pas la discussion qu’attendaient les pharisiens, imbattables en casuistique sur cette question mais il fait appel aux réflexes responsables de chacun : une simple affaire d’expérience.
"Lequel d’entre vous, un jour de sabbat… si son fils (ou son bœuf)… tombe dans un puits, ne l’en sortira ? Et immédiatement…"
Et ces gens, qui font si volontiers la leçon à tout le monde, restent muets c’est-à-dire qu’ils n’ont pas de réponse, ou plutôt ils prennent conscience que leur réponse ira en contradiction totale avec la Loi. Ils mesurent tout à coup ce que leur dit leur cœur : à coup sûr, ils feront tout pour sauver leur fils (ou leur bœuf).
Ainsi,même la loi, même la loi religieuse c’est-à-dire la sagesse légale, appelle le discernement (du cœur) pour être vécue, pour être rendue vivante. Dans le cas contraire cette loi n’est que lettre morte.
Et le propre de cette intelligence, de ce discernement, est qu’elle nous relie les uns aux autres face aux évènements, y compris les plus improbables.
2. Alors, on passe à table, et là encore va s’exercer la sagesse biblique.
C’est en invité que Jésus interpelle les autres invités : la sagesse que va justement montrer Jésus, interpelle les autres invités. Il va de nouveau les confronter à leur proclamation d’égalité et de justice dont ils se targuent : en particulier ceux qui se précipitent vers le centre de la table pour se trouver au plus près du maître de maison alors que Jésus s’associe à ceux qui sont en bout de table là où l’on mettra les convives de la dernière heure ou celui qui n’a pas été invité.
Jésus prend les devants : c’est la sagesse. Il les met en garde, pour leur éviter les situations embarrassantes pour ne pas dire humiliantes dans lesquelles les convives risqueraient de se précipiter en étant remis à leur (vraie) place.
IV. Entre alors en jeu dans le brouhaha du banquet le « plus » de la sagesse : c’est la gratuité, qui n’est rien d’autre que de vivre sous la Grâce de Dieu. Grâce débordant les gens de bonne compagnie et l’invitation s’étend à tous ceux pour qui le banquet n’est pas un luxe, ou une politesse : tous ceux qui ont faim. Là, on passe du banquet entre bourgeois à la soupe populaire, lieu où se trouvent très probablement les relations sans enjeu, dans une totale sincérité.
Mais c’est exactement ce que nous avons aujourd’hui sous nos yeux : ces remarques nous font penser aux milliers de la jungle de Calais, aux centaines de milliers d’orientaux qui percent nos frontières.
Certes les paraboles changent selon l’actualité du temps mais elles parlent de la même façon, de la Grâce qui bouscule les traditions, les habitudes, l’entre- soi.
Participer à cette grâce c’est être sages nous dit la Bible. Et on le reconnaît à ce qu’on en est paradoxalement heureux.
V. Mais ce n’est pas fini. Jésus monte encore d’un cran.
1. Là, c’est dur à entendre et à voir : tous ces invités qui refusent l’invitation, tous ces temples, églises, vides le dimanche, vides de tous ceux qui ont autre chose à faire : courir les magasins, ouverts comme en provocation le dimanche matin, faire du footing pour maigrir puis s’affaler devant leur télé.
2. Pour voir quoi ? Par écrans interposés, l’actualité occupée par les brisés de la vie, les laissés-pour-compte, les incompris, les déboussolés au travail boiteux, aux vies familiales infirmes, aveuglés par les propagandes, tous si faciles à marginaliser. Ceux-là même que Dieu nous envoie chercher ! Car Dieu les invite : jusqu’à ce que sa maison soit pleine.
À ce stade, Jésus n’a plus rien de raisonnable et ceux qui le suivent pas davantage.
Or ces paroles ne vous font pas sortir de vos gonds et vous avez raison ! Parce que vous y reconnaissez la sagesse, la vieille sagesse des Proverbes avec laquelle on apprend à être intelligent c’est-à-dire créer des liens avec les autres, mais ça je vous l’ai déjà dit et vous en avez convenu.
Alors, même si la sagesse de Jésus nous interpelle, nous comprenons qu’au bout de ces visages il y a la vie heureuse des sages et çà, c’est déjà le Royaume de Dieu, parce que la sagesse est Parole, parce que la sagesse est éternelle.
Tout meurt dans la nature, mais la Parole qui est donnée ne meurt jamais, c’est pourquoi il faut qu’elle soit sage[2].
Amen !
Pr Pierre FICHET
[1] Comme l’expression « la sagesse des nations », lieu commun qu’il convient de mettre en question.
[2] Proverbes 3,13-18