Prédications Protestantes dans les Alpes du sud 

Dimanche 30 AVRIL 2017

Trescléoux (05700)

Lectures du jour :

Luc 24,13-35

Actes 2,14-33

1 Pierre 1, 17-21

Connaître ou Rencontrer ?

Introduction

Notre lecture de ce matin nous conduit au dernier chapitre de l’Évangile de Luc. Il s’agit donc pour lui, d’une conclusion en trois parties :

* Le message divin donné aux femmes, devant le tombeau vide,

* L’apparition aux disciples d’Emmaüs

* L’apparition aux onze dans la chambre haute.

Nous sommes confrontés ce matin, à un texte emblématique de la période pascale, les compagnons d’Emmaüs, tellement emblématique que l’abbé Pierre a donné ce nom à sa fondation.

Mais que dire précisément à propos de ce texte ? On pourrait y voir un aller-retour particulier :

* Un aller vers la nuit, la nuit du Deuil

* Un retour vers la lumière, dans une joie qu’il faut absolument communiquer aux autres.

* Entre les deux, une rencontre, la rencontre avec Jésus.

On remarquera la similitude d’itinéraire entre ces deux compagnons et les femmes qui vont au tombeau dans l’angoisse, et en reviennent toutes enivrées de la nouvelle qu’elles doivent transmettre.[1]

Un deuil qui s’achève…

Nous sommes donc en présence de deux disciples de Jésus, qui rentrent chez eux le lendemain de Pâques.

L’un est nommé, Cléopas, l’autre non, ce qui nous permet de nous identifier à lui.

Ils quittent Jérusalem où ils n’ont plus rien à faire, maintenant que tout s’est effondré :

* Jésus, cet ami, ce maitre, annoncé par JB comme étant le Messie tant attendu[2], ce Jésus qui manifesta tant de fois son amour pour les petits, les humbles, par des guérisons, des miracles, ce Jésus qui ne faisait pas de différences entre Juifs et Samaritains, prompt à apporter des paroles apaisantes à ceux qui souffrent dans leur chair ou victimes de l’opprobre des puissants, Ce Jésus qui par sa parfaite connaissance des Écritures tenait tête aux scribes et aux pharisiens sans que jamais ils n’aient pu le prendre en défaut, Ce Jésus, acclamé il y a 8 jours comme un roi, sera crucifié 5 jours plus tard. Quel sens tout cela peut-t-il avoir ?

* Quel sens peuvent avoir ces 3 années passées à son côté, pour finir par cette mort indicible à l’âge de 30 ans ? Bien sûr, il y a ces femmes qui sont revenues du caveau de Joseph d’Arimathée, disant que le tombeau du Maitre était vide, mais les hommes, Pierre le premier, ne les ont pas crues.

* Quel sens cela peut-il avoir, lorsqu’on sait en plus, que ce sont nos propres chefs religieux qui ont organisé sa mise à mort ?

Oui, tout s’écroule, tout s’effondre, plus aucune branche à laquelle se raccrocher et l’on rumine le passé, on le tourne dans tous les sens, et l’on en reste là, car pour eux, il n’y a plus de futur à imaginer, (Nous espérions qu’il était celui qui allait délivrer Israël - v.21), dans lequel se projeter, le futur s’est arrêté il y a 3 jours.

.

… chemin faisant

Et puis se joint à eux un étranger, probablement, car il ignore tout de ces évènements et les 2 compagnons sont obligés de raconter encore une fois cette histoire, une façon de ressasser encor et encor cet échec sur toute la ligne.

Mais voici que cet étranger leur refait, en quelques kilomètres, le film de toutes les Écritures[3], du premier au dernier livre, depuis le Pentateuque et Moïse[4], jusqu’à Zacharie (9/9 et 12/10), il montre comment tous annoncent la venue du messie, sa mise à mort par son propre peuple, avant que ne soit manifestée la puissance de Dieu par sa résurrection.

Mais rien n’y fait. Ce tableau fulgurant dressé par l’inconnu n’éveille rien de particulier en eux, tant ils sont emmurés dans leur douleur dans laquelle s’entremêlent chagrin, révolte, déception. Ils semblent prêts à un repli définitif sur eux-mêmes, à dresser un mur derrière lequel s’enfermer, dans l’obscurité de leur souffrance, sourds à ce qui vient de l’extérieur, y compris ce qui pourrait leur apporter un peu de lumière, un peu d’espérance. Tout le monde ne s’appelle pas Job[5].

Jusqu’à la rencontre

Et pourtant, en arrivant au terme de leur marche, arrivés chez eux peut-être, ils ne peuvent se résoudre à quitter cet inconnu dont ils ignoraient l’existence même quelques heures plus tôt, comme si un lien invisible venait de se tisser, ce dont ils se rendront compte un peu plus tard : oui leur cœur était en train de s’enflammer à leur insu, voilà le miracle chaque fois renouvelé pour quiconque rencontre le Christ sur son chemin.

Alors, sans se concerter, ils lui adressent cette requête : Reste avec nous !

Une requête ou plutôt un appel à l’aide : reste avec nous, Seigneur, reste avec nous, que nous allons chanter tout à l’heure.

Ils sont en train de changer : ils ne sont déjà plus dans le passé mais dans ce temps présent, qu’ils voudraient étirer sans fin

La fraction du pain

Jésus entre donc dans la maison pour y dîner.

C’est au moment de la fraction du pain, après qu’il ait rendu grâces[6], que va s’opérer un basculement : leurs yeux s’ouvrent, ils le reconnaissent et à ce moment même, il disparaît du milieu d’eux.

Mais au lieu que cette nouvelle absence les replonge dans la dépression, elle va produire un changement de regard. Au lieu de les enliser dans la douleur en cherchant comment faire perdurer le passé, leur regard jusque-là noyé dans la nuit s’éclaire d’une espérance nouvelle.

Sur le chemin du deuil, où ils avançaient à tâtons dans une obscurité de plus en plus profonde, le temps des larmes s’éloigne, une route nouvelle s’ouvre, et avec elle un avenir à reconstruire.

Cette fraction du pain par Jésus à Emmaüs nous donne, 2000 ans plus tard le plein sens de ce repas-mémoire que nous partageons régulièrement :

* La présence du Christ au cœur de ce repas : Au-delà de son absence physique, cette absence n’est plus vécue comme une déchirure, mais devient le creuset d’une recréation de soi. Au-delà de l’épreuve dont la cicatrice restera toujours visible, bien que refermée, c’est pour chacun de nous, après chaque repas partagé avec Notre Seigneur, d’une nouvelle naissance qu’il s’agit.

L’envoi

Cette nouvelle naissance est l’aube d’une vie nouvelle[7], l’ouverture vers les autres succède au repli sur soi, la joie remplace l’amertume.

Alors qu’en quittant Jérusalem, ils avaient abandonné leurs compagnons estimant qu’ils n’avaient plus rien à faire avec eux, les disciples vont rebrousser chemin. Leur marche au pas sombre du désespoir (v.17) est soudainement transformée en course de vie.

Les femmes sont revenues du tombeau vide en courant. Nos compagnons retournent vers Jérusalem retrouver leurs amis, non plus pour ressasser le passé mais pour vivre ensemble selon les instructions du Christ ressuscité[8].

Cet élan de vie des disciples peut être illustré par cette parole de Teilhard de Chardin : « Ne le cherchez pas en arrière, ni ici, ni là, ni dans des vestiges matériels que vous conservez comme des reliques. [...] il ne vous attend plus là. C’est en avant qu’il faut le chercher, dans la construction de votre vie renouvelée. […] Non pas oublier mais chercher en avant. »

Ils vont quitter le chemin de la désespérance pour se relier aux vivants et partager ce qui va être vécu, sans crainte, puisqu’ils seront forts de la présence du Christ à leurs côtés, forts du souffle du Saint Esprit qui leur sera donné à la première pentecôte (Luc 24, 49).

Pour conclure

Mais il y a un autre enseignement à tirer de ce texte : c’est que l’on peut côtoyer Jésus durant un long chemin, croyant le connaître, pour finalement ne le rencontrer qu’au bout de la route, ou peut-être ne jamais le rencontrer.

Mais une fois cette rencontre opérée, dans des circonstances toujours inattendues, une impérieuse nécessité nous saisit, comme elle a saisi les femmes, ou les compagnons, c’est la nécessité de partager cette expérience, dans l’action, avec ceux qui croiseront notre chemin et deviendront nos « prochains »[9].

Et l’on ne se pose pas la question de savoir si l’on a ou si l’on n’a pas la foi, ce que l’on sait, c’est que notre cœur déborde,

Et à Jacques qui nous demande Montre-moi ta foi sans tes œuvres[10], Albert Schweitzer répond je n’agis pas parce que j’ai la foi, mais j’ai la foi parce que j’agis.

Amen !

François PUJOL

[1] On remarquera aussi que Pierre a fait le même chemin, mais qu’au retour il déclarera n’avoir rien vu de particulier, « ce qui provoquera son étonnement » (v.12). Il lui faudra attendre la dernière apparition de Jésus, au bord de la mer de Galilée pour qu’il comprenne enfin (Jean 21/14)

[2] Luc 3, 16

[3] La Bible hébraïque (l’Ancien Testament des protestants) avait été « fixée » trois siècles plus tôt, en langue grecque, la langue universelle de l’époque (ou du moins du Bassin Méditerranéen) la Septante d’Alexandrie.

[4] Le P. contient le Décalogue, « 1’alliance de Dieu avec le peuple », mais le P. c’est surtout la figure de Moïse, présenté souvent comme la préfiguration de Jésus le Christ : il fut le seul à dialoguer avec Dieu, et le seul à ne pas entrer en terre promise, accomplissant rétrospectivement la parole de Caïphe prononcée 12 siècles plus tard : « il est avantageux pour vous qu'un seul homme meure pour le peuple et que la nation entière ne périsse pas » (Jean 11/50)

[5] Dans la révolte et le sentiment d’abandon qu’il vit, Job va cependant éprouver la présence de Dieu comme une source de consolation. Au chapitre 19, il s’écrie : « Je sais bien, moi, que mon rédempteur est vivant. »

[6] Comme il le fit à chaque acte important : la multiplication des pains, la résurrection de Lazare, la cène.

[7] Je vous donnerai un cœur nouveau, et je mettrai en vous un esprit nouveau (Ézéchiel 36/26);

[8] Matthieu 28/20 : Allez, évangélisez les nations et baptisez les en mon nom.

[9] On remarquera que les chrétiens sont les seuls à utiliser cette expression « mon prochain ».

[10] Epître de Jacques 2/18