Prédications Protestantes dans les Alpes du sud 

Dimanche 29 Mai 2016

Culte à TRESCLEOUX (05700)

Lectures du Jour :

Genèse 14, 18-20,

1 Corinthiens 11,23-26, (voir également méditation sous cette référence, le 19/04/2009)

Luc 9, 10-17

Éloge du partage

Frères et sœurs, ce matin nos lectures, en particulier Genèse et 1 Corinthiens, nous orienteraient plutôt vers un commentaire de la Sainte Cène, mais il y a le texte de Luc, et si l’on se souvient de ce que l’on nous disait à l’école du dimanche, c’est le texte de la multiplication des pains, d’un miracle. Or, garder en mémoire ces deux expressions, peut nous conduire à une interprétation erronée du message de ce texte.

Il y a, dans ce lieu désert, au crépuscule, Jésus, les disciples, la foule.

* Jésus, qui devant cette foule, éprouve le besoin de se retirer, pour se retrouver en lui-même, pour prier aussi, avant de lui parler,

* Les disciples, trop contents de pouvoir raconter au maître leurs exploits, de leur première campagne d’évangélisation, un peu frustrés de voir que Jésus se préoccupe plus de la foule que d’eux-mêmes, ses disciples, tout de même !

* La foule, qui boit les paroles de Jésus, mais qui est tenaillée par une faim, bien concrète celle-là.

La symbolique du pain

Et puis ce quatrième personnage, le pain, nourriture universelle sous de multiples formes, le pain, aliment de base, tout autour du bassin Méditerranéen.

Le pain est donc une nourriture, mais aussi un symbole qui accompagne le Peuple Hébreu tout au long de l’Ancien Testament :

* On pense évidemment à la fuite d’Egypte, dans la précipitation, où l’on emmène le pain qui n’a pas eu le temps de lever, c’est le pain Azyme, que les juifs préparent à chaque fête de Pessah, leur Pâque.

* On pense au désert, où Dieu annonce au Peuple en déshérence, affamé : Au matin vous vous rassasierez de pain; et vous saurez que je suis l'Éternel, votre Dieu. (Exode 16/11):

* On pense au vieux Jacob, affrontant le chagrin de la perte de son fils Joseph, et la famine en Canaan après une longue période de sécheresse. Il envoie ses fils en Egypte pour y chercher du blé. Ils y retrouvent leur frère, devenu vice-roi d’Égypte qu’ils croyaient mort, et pour cause. Ce sera l’occasion d’une grande réconciliation et pour Jacob, la bénédiction de mourir enfin rasséréné (Genèse 42/50).

* On pense à la veuve de Sarepta, à qui il ne restait qu’un peu d’huile et de farine. Elle fit confiance à Elie et fut rassasiée chaque jour jusqu’à ce que les pluies reviennent et son fils ressuscita sur une prière d’Elie.

* Cette symbolique du pain, qui perdure aujourd’hui encore dans nos expressions : enlever le pain de la bouche, manger son pain noir !

On peut d'ailleurs se demander quel sens peut avoir aujourd’hui cette dernière expression, pour les nouvelles générations, quand on sait qu’une baguette de pain sur 5, part à poubelle !

Revenons à notre texte. Jésus savait que les juifs de son temps étaient imprégnés de cette symbolique du pain qui accompagnait les récits de l’AT.

C’est pourquoi, lorsqu’il s’empare de ce symbole pour se l’appliquer à lui-même, il entre en parfaite résonance avec l’inconscient collectif de la foule : Je suis le pain de vie[1], cela veut dire je suis le pain qui nourrit mais aussi le pain donné par Dieu. Parfaite synthèse entre les besoins matériels, ceux du corps et les besoins spirituels, ceux de l’esprit : Il est écrit : L'homme ne vivra pas de pain seulement, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu[2].

Jésus ne fait pas de distinction entre l’un et l’autre. Il en fait, au contraire la synthèse, dont l’aboutissement est ce dernier repas que nous perpétuons avec la sainte Cène, dont nous reparlerons.

Une certaine tradition chrétienne a au contraire voulu séparer le corps, la chair, trivial, vulgaire, voire démoniaque et de considérer les besoins spirituels, comme les seuls nobles, auxquels il fallait porter une attention exclusive.

Multiplication ? Miracle ?

Dans ce texte de Luc, l’attitude de Jésus en montre le caractère erroné. Que fait jésus ?

* Il parle : il enseigne avec ses paraboles, sur le Royaume des Cieux, bien plus proche qu’on ne l’imagine, l’amour de Dieu pour chacun, aussi petit soit-il, un amour au-delà de tout ce que l’on peut imaginer, le pardon et la rédemption, la compassion, le rôle de la prière, les temps à venir, la mission des disciples, etc…

* Il guérit ceux qui en ont besoin, il se soucie de leur corps, de leur bien-être, il prend soin de chacun,

* Il nourrit la foule, et là il faut faire le point : La version Second intitule notre texte la multiplication des pains, la version synodale, le miracle des pains. Ces 2 expression sont assez réductrices, voire inexactes :

Luc, dans notre texte n’emploie ni l’une ni l’autre. Parler de multiplication et de miracle c’est une nouvelle fois, faire de Jésus un magicien, au risque de ne voir en lui que cet aspect, celui qui peut tout faire car il a la puissance de Dieu avec Lui. Jésus a tout fait pour ôter de l’esprit de ses contemporains cette image. Avec cette question lancinante qu’il pose : Et vous, qui dites-vous que je suis ? Et c’est oublier que cette puissance de Dieu s’est manifestée sur une croix !

Il n’y a pas multiplication, il y a partage, voilà ce que nous devons retenir de ce texte et cela nous ouvre des perspectives autrement plus positives et porteuses pour la compréhension du message de Jésus.

Et le seul miracle qu’il y a eu, c’est celui de la foi des 12 qui sont allés partager ces 5 pains sans se poser de question, sans chercher à savoir le pourquoi ou le comment. Ils l’ont fait, c’est tout.

Le partage

Le partage est beaucoup plus proche pour nous ce matin, que la multiplication, car nous, nous savons multiplier : les rendements des céréales, la production de biens de toutes sortes, mais pour quel résultat ? Car la question posée à l’Humanité, n’est pas celle de la production, mais celle du partage.

Et la COP 21 nous l’a rappelé, c’est aujourd’hui une question de salut pour l’Humanité, ce mot, salut devant être pris dans son sens littéral, il est question aujourd’hui de se sauver, et là, impossible de rechercher le salut dans la fuite, la fuite en avant, en particulier.

Et il nous faut redire encore une fois, que le salut de l’Humanité ne peut passer que par un retour vers Jésus Christ, seule porte de réconciliation vers le Père. Ce retour, qui est aussi une conversion permettra seul à l’Humanité de trouver son salut, tant matériel que spirituel, car les 2 sont intimement liés, c’est ce que nous confirme notre lecture : la nécessité d’un partage apparemment impossible.

Donc, Jésus parle, guérit, nourrit, s’intéressant à la totalité de l’individu. Or nos Églises semblent s’être recroquevillées peu à peu sur le seul aspect spirituel, sur la seule Parole.

Jacques l’apôtre en tirait déjà une mise en garde [3] singulière :

Tout se passe comme si nos églises avaient confié la prise charge du bien-être de l’individu à des œuvres extérieures. Mais cette distinction ne facilite pas la transmission du message évangélique, nombre de ces œuvres s’étant peu à peu sécularisées.

Pourtant une organisation est restée fidèle à l’esprit de ce texte, L'Armée du Salut, à cet égard, très intéressante : elle est fondée fin 19°, avec cette doctrine résumée par ce slogan[4], les « 3 S » : Soupe, Savon, Salut, partagé par d’autres mouvements de ce temps-là[5], qui s’appuient sur l’idée que l’on ne peut pas annoncer l'Évangile aux gens, si par ailleurs, ou avant, on ne s'est pas préoccupé de leur santé, leur nourriture terrestre, et leur bien-être social, d'où ce slogan Soupe, Savon, Salut. Une fois qu'on les a mis à peu près debout avec le savon et la soupe, alors seulement on peut leur parler de Jésus Christ, pour le relèvement de toute leur personne, la restauration de leur dignité et leur dire que Dieu les aime, eux aussi.

Il nous faut aussi parler des pasteurs Fréderic Oberlin ou Félix Neff qui se préoccupaient autant d’agronomie, d’hygiène, de génie civil, d’éducation, que de prédications, et ils étaient dans le vrai, puisque nous parlons encore d’eux, 2 siècles plus tard.

La cène

C’est la même idée qui m’apparaît chaque fois que je partage la Cène avec des frères et sœurs. La réunion du matériel et du spirituel, de la chair et de l’esprit.

La Cène, c’est un repas fraternel, horizontal, c’est l’acte de mémoire, mais aussi une communion avec Notre Seigneur, c’est ce qui fait de la Cène un sacrement, non seulement parce qu’elle a été instituée par Jésus, mais parce qu’elle recèle une part de mystère : nous ne savons pas comment cette relation s’établit avec Notre Seigneur lorsque nous prenons ce repas, nous ne cherchons d’ailleurs pas à le savoir, mais nous croyons, nous ressentons cette présence.

Conclusion

Ce matin Jésus nous dit : je suis le Fils de Dieu, j’ai pu partager ces 5 pains avec la foule et il restait 12 paniers pleins, un pour chacun de mes disciples.

A vous, je donne aussi un panier rempli de pains, pour que vous alliez le partager avec ceux que vous rencontrerez, en prenant soin d’eux. Après, vous pourrez leur parler de moi.

Et rappelez-vous, ce que j’ai pu faire, vous aussi vous pouvez le faire, car vous n’êtes pas seuls, je vous ai laissé un compagnon, le Saint Esprit.

Amen !

François PUJOL

[1] Je suis le pain de vie. Celui qui vient à moi n'aura plus jamais faim, (Jean 6/35)

[2] Paroles prononcées par Jésus en Matthieu 4/4, reprises de Deutéronome 8/3.

[3] Si un frère ou une sœur sont nus et manquent de la nourriture de chaque jour, et que l'un d'entre vous leur dise: Allez en paix, chauffez-vous et rassasiez-vous! et que vous ne leur donniez pas ce qui est nécessaire au corps, à quoi cela sert-il ? Il en est ainsi de la foi: si elle n'a pas les œuvres, elle est morte en elle-même (Jacques 2/15)

[4] La profession de foi de William Booth (en 1912) : « Tant que des femmes pleureront, je me battrai, Tant que des enfants auront faim et froid, je me battrai, Tant qu'il y aura un alcoolique, je me battrai, Tant qu'il y aura dans la rue une fille qui se vend, je me battrai, Tant qu'il y aura des hommes en prison, et qui n'en sortent que pour y retourner, je me battrai, Tant qu'il y aura un être humain privé de la lumière de Dieu, je me battrai, Je me battrai. »

[5] La Mission Populaire Évangélique, fondée après la Commune de Paris, dans le même esprit.