Prédications Protestantes dans les Alpes du sud 

Dimanche 14 octobre 2018

TRESCLEOUX (05700)

Lectures du jour :

Proverbes 3, 13-19

Hébreux 4, 12-13

MARC 10, 17-31

Connaître le manque

Frères et sœurs,

Singulière, cette rencontre entre le jeune homme riche et Jésus !

Alors que tous les autres personnages ayant rencontré Jésus repartent « remplis d’une grande joie », comme Zachée, ou avec sa bénédiction, comme la femme cananéenne « va ta foi t’a sauvée », ou l’aveugle Bartimée, le centenier de Capernaüm, la veuve de Naïn et tant d’autres, ce jeune homme repart tout triste, tête baissée.

Et pourtant Jésus l’a regardé, l’a aimé, ce jeune homme, mais lui, n’a pas su saisir ce regard, comme on saisirait une main tendue pour vous repêcher, incapable qu’il était, d’entrer dans cette relation initiale de regards qui se croisent.

« Avoir » la vie éternelle

Et il y a longtemps qu’il n’en croise plus, des regards, trop centré sur lui-même, sur son obéissance à la Loi, avec la perfection pour objectif, mais malgré cela il reste une incertitude : Tous mes efforts seront-ils suffisants, aurai-je la vie éternelle ? Et il pose cette question : que dois-je faire pour hériter la vie éternelle?, surprenante dans sa formulation même, car un héritage, ça se reçoit, par la seule décision du donateur, çà ne s’acquiert pas. Il n’y a rien à faire sauf à dire merci.

Dans Matthieu (19/16), le jeune homme demande : « que dois-je faire pour avoir la vie éternelle? », comme si dans sa bouche le verbe avoir signifiait posséder, ajoutant cette vie éternelle à tous les biens qu’il possède déjà.

Et Jésus lui répond : Rien, tu n’as rien à faire, tu as à être. Faire ou être, voilà deux façons de comprendre les Évangiles. Jésus y répond suffisamment clairement : Tu n’as rien à faire, au contraire, tu dois te défaire de toi, te départir, te mettre à côté de tout ce qui encombre ta vie, et tu te retrouveras nu, mais dans cette nudité, c’est ton être véritable qui apparaîtra.

Ne cherche pas à faire, sois ! Et alors tu pourras suivre Jésus (v.21) sur le chemin qui mène à la vie éternelle.

La sagesse

Nous n’avons pas à juger ce jeune homme, car nous risquerions de nous juger nous-mêmes, et surtout, il ne faisait que suivre les enseignements qu’il avait reçus.

En effet, dans l'Ancien Testament les bénédictions étaient terrestres et les richesses considérées comme une preuve de la faveur de Dieu (Deut. 8. 18). D'où l'étonnement des disciples ! Ils venaient de voir un homme comblé, donc en apparence béni de Dieu, aimable à ses yeux, de conduite irréprochable, et qui était disposé à faire beaucoup de bien. Et le Seigneur l'avait laissé partir. Vraiment, si de tels avantages ne donnaient pas accès au royaume de Dieu, qui donc pouvait être sauvé ?

Cette façon d’envisager l’accès à la Vie éternelle perdure dans certains milieux, sous la forme de la Théologie de la prospérité.

Cette théologie est connue pour son insistance sur la prospérité promise aux fidèles : la santé, la richesse. Ayant ses origines dans les mégachurchs[1] du sud des États-Unis, la théologie de la prospérité n'existe que dans le protestantisme, où elle demeure très minoritaire sauf en Amérique latine[2] et en Afrique subsaharienne où elle attire des populations pauvres avec des prédications alléchantes, transformant Dieu en distributeur de bénédictions matérielles, tout de suite ! Et les affaires de ces pasteurs-escrocs prospérant elles aussi, prouvent la justesse de leurs prédications !!.

En France on ne compte qu’une communauté significative, dans le 93[3].

Les uns (le jeune homme, les disciples) et les autres (nos contemporains), auraient dû méditer sur notre seconde lecture de ce matin : celle du Livre des Proverbes, attribué au roi Salomon, réécrite par les scribes de retour de déportation, soit 5 siècles avant Jésus-Christ.

Dans notre lecture, que le jeune homme aurait très utilement pu méditer, Salomon fait l’éloge de la sagesse, arbre de vie pour ceux qui la saisissent (v.18) et il parle d’expérience :

Salomon a su demander à Dieu la sagesse[4] plutôt que la richesse.

Le récit biblique situe l'origine de cette sagesse dans un songe au commencement de son règne dans 1Rois 3, 6-15[5].

Une nuit, le Seigneur lui est apparu pour lui demander ce que son cœur désirait. Il avait alors la possibilité de demander à Dieu la richesse, la paix, la santé et l'amour, mais il a préféré demander le plus important pour être un bon roi : « Donne-moi un cœur attentif pour gouverner ton peuple, pour discerner le bon du mauvais ! »

Dieu répond à la demande de son serviteur : « J'agirai selon ta parole. Je te donnerai un cœur sage et intelligent. » Il ajoute à cette demande une grâce imméritée : « Je te donnerai, en outre, ce que tu n'as pas demandé, aussi bien la richesse que la gloire, de telle sorte qu'il n'y aura pendant tous tes jours aucun homme parmi les rois qui soit semblable à toi. »[6]

Salomon a fait preuve d'une belle sagesse en demandant la sagesse plutôt que la richesse. Salomon fit preuve d’humilité, reconnaissant en lui un manque que seul Dieu pouvait combler.

Et curieusement, l’un et l’autre (Dieu et Salomon), situent cette sagesse au niveau du cœur : donne-moi un cœur attentif, je te donnerai un cœur sage et intelligent.

Un cœur sage, c’est un cœur capable de discernement et de faire les bons choix. Un cœur intelligent, c’est un cœur qui s’engage sur les bons chemins.

D’ailleurs ne dit-on pas encore aujourd’hui, 27 siècles après Salomon : Faire quelque chose de bon cœur, y mettre tout son cœur ?

En revanche, le même Salomon nous met en garde « ne sois pas sage à tes propres yeux, ne t’appuies pas sur ton intelligence, (v. 5 et 7). Je ne puis en même temps m'appuyer sur elle et me confier en Dieu de tout mon cœur, suivre à la fois mes raisonnements, et discerner le chemin que Jésus m’indique.

Alors Jésus pose son regard cette fois, sur ses disciples, qui sont dans les mêmes dispositions d’esprit que le jeune homme, pour les entraîner sur une autre voie.

Peine perdue[7] : juste après cet enseignement, Jésus leur annoncera pour la troisième fois le but ultime de son retour à Jérusalem, et dans la foulée Jacques et Jean lui demandent de leur réserver les premières places dans son royaume, l’un à sa droite, l’autre à sa gauche, alors qu’il venait de leur dire : Plusieurs des premiers seront les derniers, et plusieurs des derniers seront les premiers (v.31).

Alors Jésus leur répond : le salut est chose impossible pour les hommes ; Dieu seul peut l’accorder (v.27). Ici, le Seigneur ne condamne pas les riches, mais « ceux qui se confient aux richesses terrestres», convaincus que tout peut s’acheter.

Le manque

Au reste, chercher le chemin qui mène à Jésus est un choix du cœur. Mais cette quête ne peut être entreprise que par ceux qui se savent en situation de manque. Un manque non pas matériel mais spirituel, existentiel : Trouver, par notre relation avec Jésus, un sens à la vie, à notre vie. Trouver à travers cette transcendance que nous appelons Dieu, un sens à l’histoire de l’Humanité.

Et ce jeune homme ne pouvait rencontrer Jésus, probablement parce qu’il n’avait jamais connu cette situation de manque qui provoque en nous une quête.

Dans le temps, on pratiquait dans les familles le jeûne hebdomadaire, et après cette journée de manque, on pouvait voir, le lendemain, les plats sur la table avec un autre regard, prendre conscience de la bénédiction que cette nourriture représentait et en rendre grâces à Dieu.

Pauvres de cœur

Et lorsque Jésus dit : « Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d'entrer au royaume de Dieu. » (v.25), le trou d’aiguille est ici le nom de la porte étroite[8] de la ville de Jérusalem trop basse pour que les chameaux puissent y passer avec leurs chargements. Jésus ne condamne pas à priori la richesse mais il sait très bien qu’avec tous ses biens dont il ne veut pas se séparer, le jeune homme resterait coincé dans cette porte et devrait prendre la porte principale, qu’il pourrait franchir sans se baisser, sans devoir faire acte d’humilité.

Ce qui est en jeu n’est pas la richesse ou la pauvreté matérielles, mais ce qui se passe au fond de nous-mêmes, dans notre cœur :

« Heureux les pauvres de cœur », nous disent les Béatitudes, qu’une version traduit ainsi « heureux ceux qui se savent pauvres en eux-mêmes, le Royaume des cieux est à eux ». Indépendamment de nos biens matériels, nous avons la possibilité de nous faire pauvres, c’est-à-dire, d’accepter de ne pas être plein de tout : de biens matériels, mais aussi de certitudes. Pauvre de cœur, disponible, ouvert à toutes les occurrences, sans souci des pourquoi et des comment, vulnérables peut-être, mais avec la confiance que Jésus nous portera lorsque nos jambes fléchiront.

Et pour terminer, je vous laisse la réponse du renard au Petit Prince : « on ne voit bien qu’avec le cœur. »

Seigneur, donne nous un cœur pour voir, voir les regards que nous croisons, voir les visages de nos frères en humanité et de voir en ces visages celui de ton fils notre Seigneur Jésus Christ.

Amen !

François PUJOL

[1] La plus importante : Lakewood Church à Houston : 52.000 participants par semaine, salle pour les offices (en anglais et en espagnol) : 16.800 places

[2] Au brésil, les évangéliques représentent près de 25% des électeurs. Ils se sont ralliés au candidat d’extrême droite, Bolsonaro, défenseur de « l’ordre moral » et de la libre circulation des armes, se présentant lui-même comme le Trump d’Amérique latine.

[3] Charisma : 12.000 membres, 3 cultes chaque W.E., 80 conversions par semaine, 1 école, de la petite section à la terminale, etc…. Ce n’est pas un hasard si elle est née (il y a 30 ans) en Seine Saint Denis.

[4] Cette qualité a été mise à l'épreuve lorsqu'il a dû trancher le différend entre deux prostituées, d’où l’expression « jugement de Salomon ».

[5] Voir : méditation du 27-juil-2014 : « demande ! Que puis-je te donner ? »

[6] Voir série d’Antoine Nouis sur Salomon, dans Réforme – Septembre 2018

[7] Et à Pierre qui fanfaronne une fois de plus (v.28), Jésus aurait pu lui répéter sa sentence sur les serviteurs quelconques (Luc 17,10)

[8] « Entrez par la porte étroite. Car large est la porte, spacieux le chemin qui mènent à la perdition, et il y en a beaucoup qui entrent par là. Mais étroite est la porte, resserré le chemin qui mènent à la vie, et il y en a peu qui les trouvent » (Matthieu 7 :13-14).