Prédications Protestantes dans les Alpes du sud
Dimanche 16 octobre 1994
Culte de l’ACAT * GAP (05000)
Lectures Bibliques :
Michée 4, 1-4
Luc 12, 15-21 (Voir sous cette référence méditations du 1-août-10 et du 4-août-19)
2 Corinthiens 9, 6-15
Militer pour témoigner
En première lecture, ces paroles peuvent nous apparaitre comme les propos d'un doux rêveur, pleins d'un pacifisme utopique, avec une touche particulière d'idéologie sioniste ! Allons-nous hausser les épaules devant tant de naïveté, que contredit cruellement l'état du monde ? Ou bien, partageant l'espoir du prophète, mais sachant que le règne de paix qu'il annonce sera le fruit de l'intervention miraculeuse de Dieu à la fin des temps, conclurons-nous à notre impuissance à changer un monde où il y aura toujours des guerres ? Vaine utopie, ou espérance démobilisatrice ? Je voudrais réfléchir avec vous pour dépasser ce faux dilemme et recevoir un véritable encouragement de cette prophétie.
Et d'abord, il faut savoir que Michée, comme tous les grands prophètes du premier Testament, était un homme parfaitement réaliste. Il sait ici de quoi il parle: il a connu les horreurs de la guerre, avec la ruine de Samarie et la déportation de ses habitants en -722 (il l'avait annoncé dans un oracle rapporté au 1er chapitre du recueil), et surtout, lors de la campagne de Sennachérib en -701. Avant d'assiéger Jérusalem, le roi d'Assyrie a semé la terreur en dévastant le Bas-pays de Juda, où se trouve Moreshet, la ville dont Michée est originaire.
Le prophète s'est réfugié à Jérusalem, mais il ne partage pas les certitudes illusoires entretenues par de faux prophètes, qui proclament que la ville sainte et son Temple seront toujours miraculeusement épargnés par le malheur. Il n'idéalise pas la cité de David. Au contraire, avant notre prophétie, il a dénoncé vigoureusement la corruption qui y règne:
Écoutez donc ceci, chefs de la maison de Jacob, magistrats de la maison d’Israël, qui avez le droit en horreur et rendez tortueuse toute droiture, en bâtissant Sion dans le sang et Jérusalem dans le crime. Ses chefs jugent pour un pot-de-vin, ses prêtres enseignent pour un profit, ses prophètes pratiquent la divination pour de l'argent...C'est pourquoi, à cause de vous, Sion sera labourée comme un champ, Jérusalem deviendra un monceau de décombres, et la montagne du Temple une hauteur broussailleuse. (Mi 3,9-12)
En fait d'idéologie sioniste, Michée n'hésite pas à annoncer le premier, ce qu'Ésaïe n'avait pas osé faire, la ruine de Jérusalem si elle persévère dans son mépris du droit de Dieu ! Guerres et déportations, corruption, avenir bouché, la situation de son temps s'apparente à la nôtre, qui n'incline pas à l'optimisme. Mais il appartient au croyant lucide de dénoncer courageusement l'injustice et la violence d'où qu'elles viennent. C'est bien là un aspect du combat pour plus de justice que l'ACAT partage avec Amnesty International et tous ceux qui défendent les droits de l'homme. Dans l'espérance de la foi, nous pouvons le faire au nom de la vision d'un monde différent, qui est une promesse certaine de notre Dieu.
En effet, dans ce temps de désolation, l'Esprit fait entrevoir au prophète que haine et destruction n'auront pas le dernier mot. Notre texte est, en contre-point du précédent oracle de jugement, un oracle de salut, qu'il nous faut écouter avec une attention plus précise.
Michée annonce un temps où Jérusalem sera attractive pour le monde entier, parce que le droit de Dieu y sera enfin proclamé et vécu. Il le fait selon l'image des processions de pèlerins, qui montent vers la Maison du Seigneur pour l'adorer et recevoir ses instructions et sa parole vivante. Le prophète entrevoit comme une immense procession de toutes les nations, qui se mettent en marche en disant: Venez, montons à la montagne du Seigneur, à la maison du Dieu de Jacob. Il nous montrera ses chemins et nous marcherons sur ses routes. Ceci n'a rien à voir avec une prétention à l'hégémonie du peuple juif. Il s'agit du règne de Dieu dont Israël n'est que le témoin, en appelant tous les peuples à la réconciliation. C'est lui, le Seigneur, qui sera l'arbitre suprême, auquel obéiront même les nations lointaines les plus puissantes. De l'écoute de sa Parole, ils concluront qu'ils doivent détruire toutes les armes de guerre et les reconvertir en instruments au service de la vie. Ainsi l'espérance ultime du prophète va plus loin que l'abolition de la torture ou de la peine de mort, qui serait déjà un merveilleux progrès ! Il annonce un désarmement universel, l'abolition de la guerre et de toute forme d'hostilité entre les hommes. Au positif, Michée caractérise ce monde pacifié sans lyrisme ni angélisme, avec ce trait d'humanité toute simple:
Ils demeureront chacun sous sa vigne et son figuier, et personne pour les troubler !
Comment recevoir aujourd'hui ce message, nous chrétiens engagés ? Il faut le faire bien sûr à la lumière de l’Évangile, et notamment du passage du Sermon sur la montagne entendu tout à l'heure. L'essentielle bonne nouvelle de Jésus-Christ, c'est que les fondements de ce règne de paix ont été posés dans l'histoire des hommes. Jésus de Nazareth a été le Messie issu de Bethléem que prophétisait Michée au ch. suivant de son livre (Lui-même il sera la paix 1), le roi pacifique entrant à Jérusalem sur un âne et non sur un cheval de guerre, annoncé plus tard par Zacharie. Il a été le non-violent par excellence, et il a signé de son sang, sur la croix, ce message de l'amour absolu qui triomphe de toute haine. En lui, dans son Église universelle, se sont à l'origine réconciliés Juifs et païens que séparait une barrière infranchissable.
Nous avons à être les annonciateurs de ce monde pacifié, possible et promis, et à le faire progresser parmi les hommes, en servant le Prince de la paix dans l'esprit des Béatitudes : humilité et douceur, faim et soif de justice, miséricorde. Heureux, dit Jésus, les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu. Et juste après, en ce début du sermon sur la montagne, Jésus semble transposer l'oracle de Michée, lorsqu'il dit aux disciples:
Vous êtes la lumière du monde; une ville située sur la montagne ne peut être cachée… que votre lumière brille aux yeux des hommes, pour qu'en voyant vos bonnes actions ils rendent gloire à votre Père qui est aux cieux.
Une ville sur la montagne, telle Jérusalem, une ville illuminée par la lumière du Seigneur ! Mais ne disons pas trop vite que l’Église s'est substituée à Israël, et qu'elle incarne cette Jérusalem nouvelle, puissamment attractive, qu'espérait le prophète. D'abord, nos frères juifs peuvent encore écouter Michée et en être encouragés à bâtir, avec d'autres, une cité qui mérite son nom: Yeroushalaïm, la ville de la paix, en faire un vrai symbole de réconciliation. L'espoir en a commencé à se lever, témoin le prix Nobel de la paix qui vient d'être attribué, mais il reste encore fort à faire, car les armes ne se sont pas tues définitivement dans cette région.
Ensuite, rappelons-nous avec modestie que la lumière de l'Évangile est trop souvent voilée par notre faute; que "l'œcuménisme" voulu de Dieu, la réconciliation de la terre entière, est malheureusement desservi par une église encore divisée, qui ne vit pas pleinement la réconciliation en son propre sein !
C'est donc dans l'émulation spirituelle et l'humilité que nous devons être attentifs à ne pas mettre la lumière reçue sous le boisseau. Témoignons, par la vie même de nos communautés, lieux du pardon réciproque et de la réconciliation, de l'espérance qui nous a été donnée par l’Évangile. Posons, chaque fois que nous le pouvons, des actes qui font reculer l'agressivité et la violence. L'ACAT, bien entendu, ne saurait prétendre posséder la solution-miracle pour établir la paix dans le monde. Et ce n'est pas son rôle de proposer aux Nations Unies des plans de désarmement universel ! Mais, selon sa vocation et à sa mesure, elle doit témoigner avec d'autres hommes et femmes de bonne volonté qu'il n'y a pas de paix sans justice et respect de la dignité de tout homme. Pour nous, c'est l'espérance indéfectible du règne de Dieu qui nous mobilise pour dénoncer l'inacceptable, et nous aide à mener ce combat sans défaillance.
J'ajouterai, quoique cela n'apparaisse pas dans nos lectures de ce matin, que la prière persévérante est quant à elle une arme que Jésus a recommandée, et celle-là bien sûr ne doit pas être déposée. La prière de la veuve qui ne se laisse pas démonter par la persistance de l'injustice et crie jusqu'à obtenir satisfaction est l'arme mystérieuse qui nous est offerte, pour faire reculer les puissances d'oppression, de haine et de mort. Elle est le soutien d'une militance qui ne se décourage pas, en attendant l'accomplissement dernier de la paix qui nous est promise.
Amen !
Charles L’EPLATTENIER