Prédications Protestantes dans les Alpes du sud 

DIMANCHE 19 DÉCEMBRE 2021

4ème Dimanche de l’Avent

Lectures du Jour :

Michée 5, 1-4

Luc 1, 39-45

Hébreux 10, 5-10

Sortir de l’Entre-soi

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4ème dimanche de l’avent. Notre attente va bientôt être comblée. Il était donc temps de relire cet oracle du prophète Michée, prononcé 8 siècles avant le premier Noël : C’est de toi Bethléem… Car depuis l’Église primitive jusqu’à aujourd’hui, la naissance de Jésus à Bethléem (1) est vue comme l’accomplissement de cette prophétie.

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Si Bethléem, petite bourgade à 10 kms de Jérusalem (2), on dirait aujourd’hui « un banal chef-lieu de canton rural », est choisie par Dieu pour s’approcher de nous et donner son Fils à l’Humanité, on peut y voir deux raisons :

1. La première est que ce Fils ne pouvait naître dans cette Jérusalem orgueilleuse où les chefs religieux se sont pervertis au contact de divinités étrangères et corrompus par leur collusion avec la cour du roi et les lieux de pouvoir. Or l’enfant annoncé ne sera pas un roi comme les autres mais le Chef Suprême d’un Israël rassemblé, annonciateur d’une paix universelle, qui s’étendra jusqu’aux extrémités de la terre. Il sera revêtu de la puissance de l’Éternel car son origine remonte à toute éternité (v.3), ce que confirmera Jean dans le prologue de son Évangile (3).

Au lieu de cette capitale tombée dans une opulence vulgaire et provocatrice pour le petit peuple, il fallait un lieu hautement symbolique pour la naissance de ce Fils divin, et quel lieu mieux que Bethléem pouvait l’accueillir ?

2. Car cette naissance à Bethléem fait le lien avec toute l’histoire du Peuple hébreux, depuis Abraham :

• Tout d’abord Rachel, épuisée par la route et par son accouchement de Benjamin, s’est éteinte à Bethléem auprès de Jacob (4). Son sépulcre y subsiste encore. Ce tombeau de Rachel est un lieu saint du judaïsme. Il rappelle en outre aux Juifs la route que les Judéens prirent lors de l'exil de Babylone : Six siècles avant la naissance de J.C., les débris de Juda laissés par Nebucadnetsar, avaient trouvé refuge à l'hôtellerie qui est près de Bethléem lorsqu'ils fuyaient en Égypte devant les Chaldéens, emmenant avec eux, le prophète Jérémie (5).

• Puis, c’est Ruth la moabite qui suit sa belle-mère (6), toutes deux veuves, jusqu’à Bethléem où elles glaneront les épis de blé dans les champs de Boaz, un parent de son beau-père. Boaz épousera Ruth qui lui donnera pour fils Obed, père de Jessé et grand-père du roi David (7).

• Enfin David, méprisé par ses frères mais oint par Samuel, gardera ses troupeaux dans les champs de Bethléem.

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Pour Michée, le choix de Bethléem, c’est la revanche des humbles sur les puissants, du méprisé sur l’orgueilleux, de la campagne sur la ville, la revanche d’un lieu choisi par YHWH, ignoré des gouvernants, d’où viendra le salut offert à toute l’Humanité.

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Car, contrairement à Ésaïe, dont il est le contemporain, issu d’une famille de notables habituée des allées du pouvoir, Michée est un campagnard, issu d’un petit village (8) situé à 35 kms au Sud de Jérusalem. Contrairement à Ésaïe, qui met en garde les puissants contre leur hasardeuse politique d’alliances qui les mènera à la catastrophe absolue (la déportation à Babylone), Michée conteste leurs abus de pouvoir vis-à-vis des faibles, l’injustice sociale érigée en méthode de gouvernement (9) et leur éloignement de YHWH au profit d’idoles étrangères, leurs rites de louange et d’adoration étant insuffisants à donner le change.

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Michée est donc un homme seul, seul pour soutenir le peuple dans ses souffrances. Seul pour affronter les prophètes officiels œuvrant à la cour du roi dont ils ont les faveurs. Leurs prophéties consistant à dire au roi ce qu’il a envie d’entendre : l’avenir du royaume s’annonce radieux. C’est alors que Michée proclame des oracles de jugement assez durs, où il rappelle aux puissants l'exigence de justice qui impose de ne pas opprimer les faibles, de ne pas s'emparer des biens d'autrui et de ne pas abuser du pouvoir. Après le jugement viendra la sanction, qui concernera tout le peuple, c’est à dire aussi bien la Judée que la Samarie, dont Michée a vu la chute en -722.

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Mais à la toute fin de son livre, c’est une espérance qui va poindre (10), confirmant la prophétie messianique de la venue d’un sauveur à Bethléem. Dieu va pardonner, Dieu va piétiner le péché (7, 19), la fidélité de Dieu ne sera pas démentie, il confirme la promesse qu’il avait faite à Abraham : Je bénirai ceux qui te béniront, je maudirai celui qui te maudira. Par toi, je bénirai toutes les familles de la terre. (11)

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Et nous, quelle est notre espérance, où est notre impatience ? Où sont-elles ? Je me posais cette question en relisant ces paroles de Paul : Si nous avons mis notre espérance en Christ pour cette vie seulement, nous sommes les plus à plaindre de tous les hommes (12) et Pour nous qui avons la foi, nous espérons que Dieu nous rendra justes, et c'est l'Esprit Saint qui nous fait attendre cela avec impatience (13).

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Nous avons l’habitude de dire que Noël renouvelle notre espérance. Qu’est-ce que cela signifie pour nous ce matin, en ce dernier dimanche de l’Avent ?

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Nous ne sommes pas de ce monde, dans lequel nous ne sommes que des voyageurs un peu comme cet étranger de Baudelaire (14). Notre port d’attache est ailleurs, c’est ce que Paul nous rappelle.

Un peu aussi comme Michée, lorsqu’il se rendait à Jérusalem, comme en terre étrangère. Comme à lui, Dieu nous confie une mission, au nom de notre foi en Jésus Christ : annoncer à ce monde, à tous les lieux de pouvoir, ce qui est contraire au projet de Dieu pour l’Humanité, rappeler au monde la volonté de Dieu concernant l’ordre qui doit y régner. Mais nous devons aussi rappeler à l’Église cette tâche, ou à défaut, l’exercer à sa place.

Et cette précision n’est pas de pure forme, si l’on en croit ce curieux concours de circonstances :

Le 26 octobre, dans les prestigieux salons du Cercle interallié, à Paris, dans le 8e (à deux pas de l’Élysée), dans la cadre du Cercle Charles Gide (15), était organisé à l’initiative de la F.P.F (16), un dîner caritatif au profit de l’Entraide Protestante. Y étaient conviés, 250 membres de la H.S.P. (17) triés sur le volet, coutumiers de l’entre-soi, y compris dans leurs temples, qui allaient pouvoir à peu de frais pratiquer la charité et l’Entraide Protestante leur dira merci.

Pour couronner le tout, ce dîner avait un invité de grande marque, le président de la République en personne ! Et l’on atteint des sommets lorsque le président de la F.P.F., François Clavairoly, commence son allocution par « Cher Emmanuel ».

Mais où sommes-nous ? Dans un club, entre amis du même monde, pratiquant la collusion, la connivence, voire la consanguinité ? On est sûrement bien plus près des prophètes professionnels faisant la cour au roi Ézéchias que de Michée, bien plus près de Jérusalem que de Bethléem.

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Est-ce bien cela que Jésus nous demande, demande à notre Église. Lorsqu’il nous demande Qu’as-tu fait de ton frère, ce n’est pas lui donner quelques billets qui feront l’affaire, mais par un tout autre engagement, le considérer comme un frère, partager ses souffrances et ses détresses, et l’accompagner, l’encourager, ce que n’ont pas su ou voulu faire les habitants de Bethléem, obligeant Joseph et Marie à se contenter d’une grotte servant d’étable, ce qui a fait d’eux et de Jésus d’autres victimes de l’entre-soi.

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S’il y a synergie entre la vitalité de la vie interne de nos paroisses et leur activité diaconale à l’extérieur, ne nous étonnons pas de constater l’affadissement progressif de note vie communautaire. Mais encore une fois, si nous sommes vraiment en attente de ce nouveau Noël, nous pourrons avec le soutien de Notre Seigneur, remplir notre mission, tant auprès des plus vulnérables de nos frères, qu’il faut protéger, qu’auprès des puissants et de la société toute entière, à qui il faut sans relâche rappeler les exigences de vérité et de justice qui sont celles de Dieu pour un vivre ensemble apaisé et fraternel.

Je crois que si nous prions le Seigneur avec insistance et sincérité, avec la force de notre foi, nous y arriverons.

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Viens Seigneur Jésus, nous t’attendons !

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Amen !

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François PUJOL

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1. On peut également voir la méditation sur MATTHIEU 2, 1-12, du 8-janv-12.

2. Depuis 1995, aux termes des accords d'Oslo, la ville est théoriquement sous administration de l'Autorité palestinienne, bien que la majeure partie de l'agglomération (85 %) soit en réalité administrée par Israël et contrôlée par l’armée.

3. Voir Jean 1, 1-14 : La Parole est devenue un homme, et il a habité parmi nous. Nous avons vu sa gloire (…), mais le monde ne l'a pas reconnu (…) et les siens ne l’ont pas accueilli.

4. Petit-fils d’Abraham,

5. En -568, Nabuchodonosor II met en déroute les Égyptiens près de Gaza. (Voir Jérémie. 41).

6. Naomi, juive qui s’était installée avec son mari Elimélech dans le pays de Moab pour fuir la famine en Judée. Ruth sera une des étrangères entrant dans la généalogie de Jésus.

7. Esaïe 11, 1 : Un rameau sortira de la souche de Jessé, père de David, un rejeton jaillira de ses racines. Sur lui reposera l’esprit du Seigneur.

8. Moreseth-Gath.

9. On peut lire le détail de leurs turpitudes aux chapitres 2 et 3.

10. Le chapitre 7, 8-20 du livre ("liturgie d’espérance") est lu par les Juifs à la fête de Yom Kippour.

11. Genèse 12, 3.1

12. 1 Corinthiens15, 19

13. Galates 5, 5

14. Qui déteste l’or autant que ses interlocuteurs détestent Dieu…

15. Charles Gide (1847 – 1932), fondateur de l’Ecole de Nîmes, dirigeant historique du mouvement coopératif français, théoricien de l'économie sociale, il envisage la coopération comme une troisième voie entre capitalisme et socialisme, « un socialisme sans lutte des classes », et rejoint les pasteurs Tommy Fallot et Elie Gounelle pour fonder le Mouvement du Christianisme Social dont il sera un temps président. Il lèguera sa propriété familiale de Montpellier à L’Église Réformée qui y installera la Faculté de Théologie (IPT). (Oncle d’André Gide).

16. Fédération Protestante de France, regroupant toutes les dénominations et œuvres d’origine protestante, en vue d’une représentation unique auprès des autorités civiles, conformément aux lois de 1905.

17. HSP : Haute Société Protestante, expression née au XIXe siècle, qui désigne un ensemble de familles fortunées protestantes, émigrées en pays de refuge après l’édit de révocation, revenues en France après la Révolution, à qui l'on prête une solidarité mutuelle, un pouvoir et des réseaux d'influence en partie occultes. Ces familles sont surtout composées de grands industriels, banquiers, négociants et armateurs. Les familles fréquemment citées dans ce cadre sont notamment les familles André, Bethmann, Bungener, Courvoisier, Davillier, Delessert, Delmas, Dietrich, Dollfus, Frerejean, Guerlain, Hermès, Hottinguer, Japy, Kaltenbach, Koechlin, Mallet, Mieg, Mirabaud, Monod, Nègre, Odier, Peugeot, Poupart de Neuflize, Renouard de Bussière, Riboud, Sabatier, Say, Schlumberger, Schweitzer, Seydoux, Vernes, Vieljeux

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L’Etranger

Charles Baudelaire (1869)

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— Qui aimes-tu le mieux, homme énigmatique, dis ? Ton père, ta mère, ta sœur ou ton frère ?

— Je n’ai ni père, ni mère, ni sœur, ni frère.

— Tes amis ?

— Vous vous servez là d’une parole dont le sens m’est resté jusqu’à ce jour inconnu.

— Ta patrie ?

— J’ignore sous quelle latitude elle est située.

— La beauté ?

— Je l’aimerais volontiers, déesse et immortelle.

— L’or ?

— Je le hais, comme vous haïssez Dieu.

— Eh ! Qu’aimes-tu donc, extraordinaire étranger ?

— J’aime les nuages… les nuages qui passent… là-bas… là-bas… les merveilleux nuages !