Prédications Protestantes dans les Alpes du sud 

Dimanche 11 Octobre 2020

Culte à Trescléoux (05700)

Lectures du Jour :

Ésaïe 25, 6-9, (Voir sous cette référence, méditation du 15-oct-17)

Matthieu 22, 1-14, (Voir sous cette référence, méditations du 12-oct-14 et du 15-oct-17)

Philippiens 4, 12-20

Paul, nouveau stoïcien ?

Frères et sœurs,

Je vous propose ce matin de poursuivre avec la lettre de Paul adressée à la communauté de Philippes, avec la lecture dans le dernier chapitre de cette lettre, d’une autre phrase[1] bien connue : Je puis tout par celui qui me fortifie. (v.13).

Dans quel contexte Paul a-t-il été amené à prononcer cette phrase ?

Paul à Athènes

Nous avons vu que Paul avait écrit sa lettre en 53-54, depuis Éphèse où il était assigné à résidence. Les destinataires étaient les membres de la communauté de Philippes, où Paul avait fondé la première église d’Europe vers 49-50 au cours de son deuxième voyage.

Petit rappel : Son premier voyage (vers 45-49) s’était déroulé exclusivement en Asie Mineure[2], où il avait prêché la résurrection du Christ dans les synagogues surtout auprès de juifs de la diaspora, dont certains étaient déjà convertis : ayant été témoins de cette semaine tragique, lors de la fête de Pessah, ils avaient cru à la résurrection de Jésus. Paul y avait donc été accueilli assez favorablement mais Paul avait les yeux tournés vers l’Europe, si proche, de l’autre côté de la mer Égée.

Donc, dans ce second voyage, une fois arrivé à Philippes, il veut pousser jusqu’à Corinthe où l’attendent deux juifs convertis, Aquilas et Priscille. Il laisse Luc à Philippes, Timothée et Silas à Bérée[3].

Mais, lui qui était un intellectuel brillant, est attiré par Athènes. Il passe donc par cette ville-état qui est restée, malgré l’occupation romaine le centre de la vie politique, sociale et culturelle de cette province romaine.

A Athènes, il y avait une grande place, l’Agora, où se tenait le marché, lieu également d’échanges commerciaux et de brassage des idées. Cette place était dominée par une colline, l’Aréopage, qui était à l’origine le lieu où siégeait le tribunal et où se réunissait ce que l’on pourrait appeler « l’intelligentsia » athénienne, qui y débattait des philosophies en vogue à cette époque, et parmi eux, des épicuriens et surtout des stoïciens.

Plusieurs d’entre eux, ayant entendu parler de son enseignement, tout à fait nouveau pour eux, l’invitent à venir débattre à l’Aréopage.

Paul prépare son discours, pour l'adapter à ces intellectuels. Ayant repéré dans Athènes un temple dédié au dieu inconnu, Il prend un bon angle d’attaque, en développant l’idée que ce dieu inconnu, c’est en réalité le dieu unique supérieur à tous les autres dieux, un Dieu immanent qui ne dépend pas des hommes que Lui a créés (et non l’inverse), hommes qu’il jugera un jour.

Jusque-là tout se passe bien, mais lorsqu’il il introduit l'idée de la résurrection de Jésus, à eux pour qui la mort libère l’âme d’un corps dont elle était prisonnière, c’en est trop et ils le renvoient en lui disant d’un air moqueur, « nous t’entendrons là-dessus une autre fois »[4].

Paul sortira mortifié de cet échec : Il n'a pas été insulté, jeté en prison, ni même flagellé, on s'est simplement moqué de son message d’espérance et de liberté. Paul venait de découvrit ses propres limites.

Lui qui n'avait jamais manqué de force et de courage pour affronter l’adversité brutale, l'emprisonnement et la torture[5], sortit d'Athènes découragé pour ne plus y revenir.

Pire, il ne réussira même pas à y fonder une petite communauté, malgré la conversion de Denys et Damaris. Il écrira plus tard aux Thessaloniciens: J'étais seul à Athènes !» (Actes 17, 15).

Paul et Sénèque

Seul, pas tout à fait, car parmi les stoïciens présents, l’un d’entre eux poursuivra le dialogue avec Paul, et pas n’importe qui : Sénèque, ce grand philosophe romain, contemporain de Paul[6].

Vous allez me dire, que « Mais que vient faire ce romain dans cette histoire grecque ? » : Eh bien il se trouve que son frère aîné, Gallion, était le proconsul de cette province[7]. Sénèque y séjournait, et de fait une amitié naquit entre Paul et Sénèque, attestée par un échange de correspondance entre eux[8].

Mais quelle était cette philosophie stoïcienne ?

En détachant la phrase du verset 12 de son contexte on pourrait penser qu’elle est formulée par un stoïcien :

Je sais vivre dans l'humiliation, et je sais vivre dans l'abondance. En tout et partout j'ai appris à être rassasié et à avoir faim, à être dans l'abondance et à être dans la disette.

Car le fondement de cette philosophie est le suivant :

L’homme doit rechercher la sagesse qu’il atteindra s’il s’éloigne de toutes les passions : la joie et la douleur, qui élèvent ou abaissent l'âme à l'excès, la peine, la crainte, le désir et le plaisir, qui sont des « mouvements irrationnels de l’âme », des maladies qui une fois admises envahissent tout l'être.

Il en est de même de la pitié, sentiment douloureux qui trouble l'âme. Si le sage rencontre un malheureux, il viendra à son secours non par pitié mais par l’effet de sa propre vertu.

Ainsi armé de sa raison, le sage ne redoute aucun des maux qui effrayent les hommes ordinaires :

La pauvreté ? Un manque de choses superflues, absolument inutiles ; il faut si peu de choses pour vivre.

La mort ? Une nécessité de la nature. Qu'importe l'heure à laquelle il faudra payer sa dette.

Le sage exempt de toute crainte[9], placé hors d’atteinte des maux qu’il subira, c'est ainsi qu’il surpassera Dieu. Dieu, que l’on pourrait encore appeler destin, « car le destin n'est pas autre chose que la série des causes qui s'enchaînent[10], et il est la première de toutes les causes, celle dont dépendent toutes les autres ».

Le témoignage de Paul

Vous voyez que l’on pourrait conclure un peu hâtivement que Paul est devenu stoïcien, tant il manifeste sa capacité à être détaché du meilleur comme du pire.

Mais s’il reprend une formulation que les stoïciens ne renieraient pas, c’est pour mieux les confondre. Car Paul n’a pas atteint ce détachement face aux évènements par ses propres vertus, mais par la force que lui donne Jésus Christ, ce qu’il proclame au verset 13 :

Je puis tout par celui qui me fortifie.

Il n’empêche, son échec à Athènes lui est resté en travers de la gorge et son discours se radicalisera, au point d’écrire aux Corinthiens (dans la 1° lettre) :

«Alors que les Juifs demandent des signes, et que les Grecs sont en quête de sagesse, nous proclamons, nous, un Christ crucifié, scandale pour les Juifs et folie pour les païens.[11]

Et un peu plus tard :

Je ne suis pas venu vous annoncer le mystère de Dieu avec le prestige de la parole d’un sage. Je me suis présenté à vous faible, craintif et tout tremblant, et mon message n’avait rien des discours persuasifs de la sagesse, pour que votre foi reposât, non sur la sagesse des hommes, mais sur la puissance de Dieu.[12].

Non, Paul ne rejette pas comme des maladies, la joie, la reconnaissance, l’affection, qui cimentent les relations entre frères et sœurs d’une même communauté et qui sont des bénédictions de Dieu.

Et lorsqu’il reçoit un don des Philippiens, aussi modeste soit-il, c’est pour lui l’abondance (v.18), et son cœur déborde, de joie et de reconnaissance pour cette affection que les Philippiens lui portent.

Savoir dire comme Jacob, lors de sa rencontre avec Esaü :

J’ai tout ce qu'il me faut, c'est Dieu qui me l'a donné[13],

C’est se déclarer parfaitement heureux avec ce que nous avons, c'est avoir quitté le registre de la comparaison pour celui de la gratitude.

Conclusion

Alors, quel enseignement pouvons-nous retirer de cette anecdote athénienne ?

Le christianisme naissant de Paul, minoritaire, baignait et se confrontait aux philosophies et pensées dominantes du moment, prêtes sous divers prétextes à le rejeter, ce qui n’empêchait pas Paul de proclamer sa foi, y compris dans l’espace public, tout en revendiquant à chaque occasion sa citoyenneté romaine, donc sa fidélité aux autorités civiles.

Aujourd’hui, notre christianisme vieillissant est dans une situation très semblable, tout aussi minoritaire, confronté de plus en plus aux pensées dominantes dans une société déchristianisée. Alors, lorsque nous voyons des hommes politiques brandir la laïcité comme une nouvelle religion civile[14], placer les lois républicaines[15] au-dessus de toute clause de conscience, considérer toute revendication d’un droit à la différence comme du « séparatisme », il y a lieu de s’inquiéter pour notre démocratie[16] et l’on pourra opportunément faire nôtre cette réponse de Pierre à ses juges qui voulaient lui interdire de parler et enseigner au nom de Jésus : Qu’est-ce ce qui est juste aux yeux de Dieu : vous écouter, vous, ou écouter Dieu ? Décidez vous-mêmes ! En tout cas, nous ne pouvons pas nous taire sur ce que nous avons vu et entendu. 

Amen !

François PUJOL

[1] Nous avions commenté au chapitre 1 cette phrase pour moi, mourir m’est un gain. (Méditation du 20 Septembre 2020).

[2] Dans l’actuelle Turquie, dont il était lui-même originaire (à Tarse)

[3] Aujourd’hui Veria, ville de 35.000 habitants

[4] Actes des Apôtres 17,32

[5] De ce point de vue, la barque de Paul était assez chargée. Il en fait le détail dans sa seconde lettre aux Corinthiens (11, 24-27) : Cinq fois, les Juifs m'ont donné les 39 coups de fouet. Trois fois, les Romains m'ont frappé durement, une fois, on m'a jeté des pierres pour me tuer. Trois fois, j'ai été sur un bateau qui a coulé, et une fois, j'ai passé un jour et une nuit dans l'eau. J'ai fait beaucoup de voyages et j'ai connu beaucoup de dangers : dangers à cause des rivières, des bandits, de mes frères juifs ou des non-Juifs, dangers dans les villes, dangers dans le désert, dangers sur la mer, dangers des faux frères. J'ai fait des travaux très fatigants et j'ai souvent manqué de sommeil. J'ai eu faim et soif et j'ai souvent manqué de nourriture. J'ai eu froid et j'ai manqué de vêtements.

[6] Ils mourront tous les deux presque en même temps, victimes l’un et l’autre de la folle barbarie de Néron.

[7] Ce qui vaudra à Paul une libération sans procès, contre les accusations des chefs juifs de Corinthe.

[8] Huit lettres de Sénèque à Paul et six de Paul à Sénèque. Mais leur authenticité est contestée. Elles seraient apocryphes, écrites au IV° siècle, peut-être pour confirmer l’intérêt de Sénèque pour le Christianisme

[9] On doit à Sénèque ce célèbre aphorisme : « Ce n'est pas parce que les choses nous paraissent difficiles que nous n'osons pas, c'est parce que nous n'osons pas qu'elles nous paraissent difficiles. »

[10] Une cause, un effet, lui-même devenant la cause d’un autre effet, etc… C’est le « principe de causalité ».

[11] 1 Corinthiens 1,22-23.

[12] 1 Corinthiens 2, 1-5

[13] Genèse 33, 11

[14] Avec ses objets sacrés, pour lesquels existe un délit de blasphème qui n’avoue pas son nom : Article 433-5-1 du code pénal : l’outrage à l’hymne national ou au drapeau tricolore est punissable de six mois d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende.

[15] « La loi de la République est plus forte que celle des dieux » G. Darmanin, 04/10/2020.

[16] Et le pluralisme des idées, la liberté de conscience, conquêtes éphémères de l’Edit de Nantes.