Prédications Protestantes dans les Alpes du sud
Dimanche 04 Novembre 2012
Culte à GAP (05000)
Lectures du Jour :
Deutéronome 6, 2-6 (Voir sous cette référence, méditations du 5-nov-06 et du 1-nov-15)
Marc 12, 18-34 (Voir sous cette référence, méditations du 12-nov-06, du 8-nov-09, du 1-nov-15 et du 30-juin-19)
Romains 7, 14-24
De la loi à la grâce
Ce fragment d'épître mériterait de figurer en bonne place dans une anthologie de littérature religieuse. Dans un style à la fois réflexif et dramatique, Paul brosse le tableau d'un homme divisé en lui-même, déchiré, écartelé. Ceci apparait comme la reprise sous une plume chrétienne, de la remarque désabusée du moraliste latin : Je vois le bien et je l'approuve, mais c'est au mal que j'obéis, écrivait déjà Ovide.
Lue comme un morceau choisi, cette description ne semble pas au premier abord soulever grand problème d'interprétation. Paul s'exprime à la première personne du singulier et au présent de l'indicatif, ce qui laisse supposer qu'il décrit sa propre expérience actuelle. N'est-ce pas en fait l'expérience de tout croyant que ce divorce dramatique entre son idéal chrétien et la réalité de sa vie ? N'est-ce pas le chrétien qui peut dire sincèrement « Je prends plaisir à la Loi de Dieu dans mon être intérieur, mais je dois confesser que le péché reste attaché à tout mon comportement »
Si tel devait être compris l'enseignement de Paul, il s'avérerait bien triste et nous risquerions d'en tirer de fâcheuses conséquences. Cette lourde insistance sur le péché qui habite en moi, ce défaitisme soi-disant chrétien prendra chez certains une tournure gémissante: ils se sentiront complices de cet hôte intérieur qui les fait toujours retomber dans les mêmes fautes. Ils auront perpétuellement mauvaise conscience, se sentant de malheureux velléitaires. « Je voudrais changer, mais c'est plus fort que moi ».
D'autres au contraire tireront argument de ce passage pour excuser leur médiocre fidélité chrétienne : "Bien sûr, je ne suis pas un saint. Pécheur je suis, comme tout le monde, et pécheur je resterai. J'ai blessé cet ami, mais ce n'est pas ce que je voulais. Mon intention était bonne, mais le Malin a fait mal tourner la chose". Défaitisme alors assez confortable du croyant qui voit bien ses défaillances, mais s'en désolidarise par une pirouette: " Ce n'est pas moi, c'est le péché qui habite en moi qui est le responsable ! "
Cette interprétation désolante n'est possible que si l'on isole ce texte en le coupant du contexte de l'épître, où Paul développe rigoureusement sa théologie du salut en Jésus-Christ... En le suivant bien, on découvre qu'il ne peut pas décrire dans notre passage du chapitre 7 la situation spirituelle du chrétien. Au ch.6 qui précède comme au ch.8 qui suit, il proclame en effet que le croyant est un homme libéré; " Le péché n'aura plus d'empire sur vous, puisque vous n'êtes plus sous la Loi, mais sous la grâce (6,14), La loi de l'Esprit qui donne la vie en Jésus-Christ m'a libéré de la loi du péché et de la mort (8,2)
Il faut donc comprendre qu'entre ces deux affirmations concordantes, notre texte est une sorte de regard rétrospectif, la description d'une situation dépassée, une parenthèse explicative pour bien spécifier l'impasse dramatique dont le croyant a été libéré, et dans laquelle il doit veiller à ne pas retomber. Quand nous étions dans la chair, les passions pécheresses, se servant de la Loi, agissaient en nos membres afin que nous portions des fruits pour la mort" (7,6) Ce chapitre 7 part donc d'un passé révolu, mais qu'il est nécessaire d'analyser sérieusement pour éviter tout malentendu. Cet homme charnel, vendu comme esclave au péché, serait-ce l'ennemi déclaré de Dieu, le noceur sans vergogne, le "hors la loi" ? Pas du tout, nous montre l’apôtre, c'est bien l'homme qui est "sous la loi", l'homme qui connait et approuve intérieurement le commandement saint, juste et bon (7,12)
Autrement dit, c’est l'homme pieux, l'homme moral, l'homme qui veut se sanctifier par son obéissance à la Loi de Dieu, le pharisien en un mot, celui que fut Saul de Tarse avant sa conversion. L'homme qui tente d'accomplir par lui-même la loi divine, et qui dans cet effort précisément manifeste sa radicale impuissance à faire le bien qu'il voudrait. Ainsi l'homme sous le régime de la Loi, qui cherche en elle sa justification, est enfermé dans une insoluble contradiction. Cette justice qu'il voudrait manifester devant Dieu et devant les hommes, il ne peut l'atteindre.
J'entends bien l'objection qui peut surgir à ce point de notre réflexion. Ce que je viens d'exposer ne cadre pas avec l'image du pharisien que Jésus avait brossée dans sa célèbre parabole. Loin d'avouer quelque détresse spirituelle, celui-là avait parfaitement bonne conscience, fier de sa piété, de sa morale. Saul lui-même, à ce qu'on peut savoir n'était pas un homme partagé ni angoissé lorsqu'il fonçait vers Damas pour arrêter les disciples du Christ. Il était ardemment convaincu d'agir pour la gloire de Dieu...
Effectivement, il faut comprendre que sa description dans notre texte de l'homme sous la Loi n'est pas l'écho d'une détresse spirituelle consciente qu'il aurait éprouvée avant sa conversion, comme ce sera le cas pour Martin Luther dans son couvent avant sa découverte d'un évangile libérateur. Nous ne sommes pas en présence d'une analyse psychologique, mais d'une réflexion théologique. Le "Je" de ce texte n'est pas celui de la personne de Paul, mais une expression rhétorique souvent utilisée dans la littérature philosophique de l'époque. Ou si l'on veut, c'est le chrétien Paul vivant "sous la grâce" qui évoque la condition de celui qui vivait "sous la Loi", telle qu'elle lui apparaît maintenant. C'est la connaissance du salut par grâce qui lui permet de déceler la réalité de sa condition antérieure. Il se voulait l'ami de Dieu, mais se comportait en fait en orgueilleux bâtisseur de sa propre justice. En termes différents, ce diagnostic rejoint celui de Jésus dans sa parabole. La dernière profondeur du péché se dévoile précisément dans cette perversion par laquelle l'homme religieux s’empare de la Loi divine pour en faire l'instrument de sa gloriole personnelle et de son jugement plein de mépris sur les autres, ces mécréants.
Ainsi, c'est à la lumière de la grâce et d'elle seule qu'il est maintenant possible de reconnaître ce paradoxe: l'homme sous la Loi veut sincèrement faire le bien, mais objectivement il pèche de la manière la plus grave s'il refuse de comprendre que c'est la seule miséricorde du Seigneur qui le justifie. La propre justice, le refus de la grâce, l'égocentrisme de l'homme préoccupé de sa réputation religieuse et de l'accumulation de ses mérites, c'est selon l’Évangile le péché par excellence, l'impasse mortelle où s'enferme l'homme qui vit sous le régime d'une religion légaliste..
Une juste lecture de Romains 7 révèle donc que pour Paul, le chrétien est sorti de cette impasse. Le double cri sur lequel s'achève notre passage: Misérable que je suis ! Qui me délivrera de ce corps de mort ? - Grâce soit rendue à Dieu par Jésus-Christ notre Seigneur évoque de manière lapidaire l'expérience du salut, un cheminement qui passe par la découverte de sa misère d'être pécheur et dans le même temps la reconnaissance de l'infinie miséricorde de Dieu.
Celui donc qui cesse de compter sur sa propre vertu pour s'attacher à son Sauveur et tout recevoir de lui, est délivré de la contradiction fondamentale décrite dans ce chapitre. Il n'est plus cet homme déchiré par un terrible divorce entre le vouloir et le faire. Comme le montrera le chapitre suivant, s'il est "en Christ"', sous l'empire de l’Esprit, il devient capable d'actes de vraie obéissance, mais dont il ne songera plus à se glorifier.
Ceci dit, ne soyons pas des spiritualistes naïfs se croyant déjà dans le Royaume de Dieu. La vie chrétienne en ce monde reste un combat, une tension entre les désirs de la chair et ceux de l'Esprit, comme Paul le dit ailleurs. Mais c'est un combat d'hommes libres qui n'est plus une lutte désespérée. Quand nous sommes retombés dans le péché, nous savons que le pardon du Christ nous relève. La victoire sur le péché a été décisivement remportée sur la croix et manifestée par la résurrection de Jésus-Christ et nous sommes entrainés dans sa victoire Ce serait faire injure au Christ vivant de nous reconnaître dans la condition de radicale impuissance décrite en Romains 7. Notre vie chrétienne est celle que décrit le chapitre 8, une vie sous la loi de l’Esprit qui nous fait vivre en enfants de Dieu.
Amen !
Pr Charles L’Eplattenier