Prédications Protestantes dans les Alpes du sud 

DIMANCHE 09 JANVIER 2022

Culte à Trescléoux (05700)

Lectures du jour :

Ésaïe 40, 1-11 (Voir méditation du 10-janv-16)

Luc 3, 15-22 (Voir méditations du 13-déc-09 et du 13-déc-15)

Tite 2,11-14 & 3,4-7

Une Église normalisée ?

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Frères et sœurs, ce n’est pas souvent que le calendrier de nos lectures dominicales nous fait rencontrer la lettre de Paul à Tite. Une fois tous les trois ans, le plus souvent autour de Noël, nous verrons pourquoi.

Auparavant, il n’est pas inutile de revenir aux raisons de la position de cette lettre dans la série des lettres de Paul.

Elles sont au nombre de treize, classées non pas par ordre chronologique, sur lequel pèsent quelques incertitudes, mais tout simplement en fonction de leur longueur : de la plus longue, la lettre aux Romains (1), en premier, à la plus courte, la lettre à Philémon avec son chapitre unique, en dernier. La lettre à Tite, avec ses 3 chapitres se trouvant juste avant, et juste avant Tite, les deux lettres à Timothée. Ces trois lettres, regroupées en fin de liste, ce qui n’a rien de théologique, constituent le groupe des « lettres pastorales », les seules qui soient adressées non pas à une communauté (Rome, Éphèse, Corinthe, etc…) mais à un destinataire particulier (2), en l’occurrence des disciples fidèles et zélés de Paul, auxquels il confie des tâches bien spécifiques pour conforter ces jeunes communautés immergées dans des milieux païens, auxquelles s’adressent indirectement ces lettres.

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Qui est Tite ?

Dans la tradition orthodoxe, Tite serait un crétois hellénisé, issu d’une famille de no-tables. Il aurait rencontré Paul lors d’un voyage à Jérusalem et serait resté auprès de lui après avoir été baptisé.

C’est à Tite que Paul confirmera le soin de récupérer le produit de la grande collecte qu’il a organisée auprès de toutes les communautés fondées en milieu païen (3). Ce produit était destiné à l’église de Jérusalem où une famine sévère sévissait (4). Tite y accompagnera Paul (5) et sera témoin de la discorde qui s’ensuivit ente Paul et Jacques « le Juste » au sujet de l’application des prescriptions des lois de Moïse aux païens convertis.

Pratiquant la langue et la culture grecques c’est lui qui règlera le conflit interne survenu au sein de l’église de Corinthe (6).

IL accompagnera Paul jusqu’à Rome puis retournera en Crête où toujours selon la tradition, et contrairement à Timothée mort en martyr, Tite serait décédé à un âge avancé en tant qu'épiscope (évêque) de l’église chrétienne de Crête.

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La lettre de Paul à Tite

Son style général, très différent de l’effusion dans la foi, de l’hymne au Christ, Fils de Dieu, crucifié comme un esclave, souverainement élevé en gloire par la puissance de Dieu (7), que l’on trouve dans la lettre de Paul aux Philippiens, porte à penser que cette lettre est assez tardive, écrite peut-être par des disciples Romains de Paul, soucieux de poursuivre son œuvre.

Dans la lettre à Tite, il est simplement question du Christ Jésus notre Sauveur, (3,6) mais sur le fond cette lettre reste dans la ligne théologique de Paul.

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L’universalité du salut

D’ailleurs notre lecture commence par une affirmation centrale : L’amour de Dieu sauve tous les êtres humains, affirmation d’un salut universel proposé à l’Humanité toute entière. Il s’agit d’un don, une grâce, manifestée en son fils Jésus, qui a donné sa vie pour nous (v.14) et paraîtra un jour dans sa gloire (v.13). Le verset 13, quant à lui, réaffirme la divinité de Jésus notre grand Dieu et Sauveur Jésus-Christ, précision qui n’est pas inutile dans ce contexte de la fin du 1er siècle où de « faux docteurs » (8) développaient diverses théories sur la nature du Christ. Au chapitre 1, Paul dénonce en outre d’autres faux docteurs qui « bouleversent des familles entières en enseignant des fables juives ». (9)

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La lettre à Tite exprime l’attente de l’accomplissement de la promesse de Jésus que l’on retrouve dans le dernier chapitre du N.T., Voici, je viens bientôt (10).

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La lettre donne à Noël son véritable sens.

Cette fête à laquelle nous nous sommes préparés dans le temps de l’Avent, n’est pas un aboutissement. Elle s’inscrit dans un projet plus global de Dieu pour l’Humanité, dont Noël, noyé dans des « fêtes de fin d’année », est un commencement : La naissance de Jésus inaugure un nouveau temps, le temps où Dieu vient partager la condition humaine et nous faire accéder à sa divinité, non pas par nos propres mérites, mais par son amour pour l’Humanité. Par cette grâce, nous obtenons notre Salut, mot que chacun essaie de traduire à sa façon, dont Jésus nous donne la clé par ces deux affirmations : Ta foi t’a sauvé(e) (11) et Ma grâce te suffit (12).

Noël ouvre le temps de la « nouvelle alliance » dont l’accomplissement final sera le jour où « Jésus-Christ paraîtra dans sa Gloire ».

Aujourd’hui, nous sommes dans cet entre-deux, dans cette temporalité inaugurée par Noël, munis comme Paul de ce seul viatique pour suivre les pas du Christ : Ta foi t’a sauvé(e) et Ma Grâce te suffit.

Certains parmi nous sont dans l’attente d’un retour, conforme à la parousie dont parle l’Apocalypse (13), annonciatrice de la fin des temps dont ils croient discerner les prémices en ces temps troublés.

D’autres ont la conviction que ce retour en gloire du Christ sera accompli lorsque nos requêtes du Notre Père : Que ton Règne vienne, que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel, seront exaucées, ici et maintenant. Et notre foi fait de nous chaque jour des acteurs de nos propres requêtes. Notre foi nous inscrit dans cette Histoire, et donne sens à notre vie : une direction, et une signification.

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Le comportement de l’Église

Les Actes des Apôtres nous présentaient une Église en phase avec cette exigence, une Église de témoins, drainant chaque jour de nouveaux disciples, prenant soin les uns des autres dans une diaconie qu’il fallut organiser, dans une fusion toute fraternelle.

La tonalité de la lettre montre bien que nous sommes déjà assez loin de ce temps béni de l’Église primitive. En effet, la lettre n’insiste plus sur « l’ardente obligation » d’aller annoncer la bonne nouvelle de Noël au monde dans lequel Jésus a souhaité que nous restions immergés, mais elle insiste sur la piété du fidèle et sur la structuration des communautés, avec des épiscopes (les futurs évêques) et des presbytres (les anciens). Curieusement elle ne parle pas des diacres. La diaconie serait-elle donc devenue seconde ?

Ainsi les auteurs de la lettre donnent leur définition de la piété qui se traduit par une norme de comportement détaillée à l’extrême pour chaque groupe de fidèles : les responsables des communautés, les vieillards hommes et femmes, les jeunes gens, et y compris les esclaves, à qui il est recommandé de rester soumis à leurs maître en toutes choses.

Chacun est exhorté à entrer dans la norme, à devenir un citoyen « bien sous tous rap-ports », mais est-ce bien cela que Jésus nous demande ? Jésus n’a pas besoin de gens « pieux », mais de témoins.

Cette piété qui va conduire insensiblement les églises à se retirer du monde à l’abri de leurs murs, alors que notre foi évangélique nous enjoint de vivre dans ce monde en citoyens responsables, au risque de notre vulnérabilité.

Oui, dès la fin du 1er siècle l’Église se normalise, s’institutionnalise, et ce mouvement trouvera son terme lorsque l’Église chrétienne sera officiellement reconnue par Constantin 1er (14) après sa conversion.

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La soumission aux autorités

Cette lente évolution point déjà dans les recommandations du chapitre 3, et en particulier celle d’être soumis aux autorités et aux magistrats, comme l’esclave devait l’être à son maître.

Le souvenir de Pierre, Jacques et Jean devant le Sanhédrin se serait-il déjà à ce point effacé (15) ?

Ces 3 apôtres préférés de Jésus qui profitent de leur élargissement miraculeux de la prison de Jérusalem pour aussitôt retourner au Temple annoncer la résurrection du Christ, et qui, de nouveau devant le Sanhédrin, proclament qu’ils doivent obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes (16) et qui en sortent tout heureux d’avoir été flagellés au nom de Jésus, reprenant de maison en maison l’enseignement et l’annonce de la bonne nouvelle de Jésus Christ.

Cette injonction de soumission aux autorités aura été largement utilisée au cours des siècles pour couper court à toute velléité de parole libre. Elle est aussi la source de comportements hasardeux, y compris chez les protestants, en particulier dans l’attitude de l’Église luthérienne allemande face au nazisme (17), aidée en cela par les libelles de Luther contre les juifs (18).

Conclusion

Pour conclure, nous nous rappellerons que Paul fut, à partir de Damas, un serviteur zélé, pugnace et infatigable, sillonnant l’Asie Mineure et la Grèce pour proclamer la Grâce divine, ce don, source d’une joie qui peut transformer toute une vie, exhortant chacun à abandonner son vieil homme, à naître de nouveau (19) dans l’espérance de la Vie Éternelle, créant en chaque lieu des communautés de fidèles qui à leur tour annonceront le même message dont Noël est le point de départ !

Même si nous pouvons difficilement imaginer mettre nos pas dans ceux de Paul, ce 2021ème Noël que nous venons de célébrer ne doit pas être une commémoration festive de plus, mais un nouveau départ pour chacun de nous, pour notre Église. Chaque matin nous poser cette question : Que puis-je faire pour élargir le règne de Dieu ici et maintenant ? Où est ma place dans ce combat avec le monde ?

Annoncer chaque jour autour de nous le véritable sens de Noël par des gestes concrets, c’est à ce prix que notre foi sera ravivée.

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Amen !

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François PUJOL

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1. Ce qui ne l’empêche pas d’être théologiquement la plus aboutie : Paul y développe sa conviction centrale : le salut par la foi seule, principe qui fut la pierre d’achoppement entre l’Église Romaine et Luther avant la déclaration commune du 31 Octobre 1999 (date anniversaire des 95 thèses de Luther en 1517) à Augsburg (autre symbole) selon laquelle La justification par la foi est la voie du Salut.

2. Comme celle à Philémon

3. Dans les actuelles Turquie et Grèce

4. Voir 2 Corinthiens 8, 7-15 (Méditation du 27 Juin 2021)

5. Lettre aux Galates 2, 3

6. 2 Corinthiens 7,6-7 & 13-14

7. Voir Philippiens 2, 9

8. Voir méditation du 07 Novembre 2021

9. Voir chapitre 1, v.10 à 14, signe que « l’incident d’Antioche » a laissé quelques séquelles plusieurs décennies plus tard (voir Galates 2, 11-21) et que la discorde persiste.

10. Apocalypse 22, 12

11. Voir parmi d’autres versets, Luc 7,50, Marc 5,34 et Luc 17,19, Luc 18,42.

12. Voir 2 Corinthiens 12,9.

13. Apocalypse 21,4 : Il essuiera toute larme de leurs yeux, la mort ne sera plus. Il n’y aura plus ni deuil, ni cri, ni souffrance, car le monde ancien aura disparu.

14. Édit de Milan en Mars 312. A cette date, 1/3 de la population était chrétienne, malgré la récente “Grande persécution” sous l’empereur Dioclétien, (303-311), dernière et la plus sanglante persécution officielle du christianisme.

15. Actes 5, 17-42

16. Injonction que « quelques-uns » ont prise à leur compte à partir de 1941 (voir «La résistance spirituelle 1941-1944» à partir des cahiers clandestins de Témoignage Chrétien, chez Albin Michel-2001 et les Thèses de Pomeyrol sur le site-Menu Histoire) et que nous pourrions opportunément reprendre à notre compte aujourd’hui, dans un contexte qui prétend le contraire, au nom de la clause de conscience.

17. Influencée par la théorie des 2 règnes de Luther : il n’entre pas dans la vocation des chrétiens de vouloir instaurer le règne de Dieu « sur la terre comme au ciel », le monde séculier étant un monde profane suivant ses propres règles. Les dirigeants en place le sont indirectement par la volonté de Dieu. Il faut donc leur être soumis.

18. Après un essai de 1523 « Que Jésus-Christ est né juif », très favorable aux juifs qu’il espérait convertir et devant l’échec de cette illusion, il publiera le très violent « Des juifs et de leurs mensonges » - 1543.

19. Expression utilisée par Jésus lors de sa rencontre nocturne avec Nicodème (Jean 3, 1-10).